Comores
La défaite du colonel Azali
(Photo: AFP)
Dans les rues, c’est la liesse générale qui l’emporte sur tout le reste. Azali et son clan ont subi une défaite historique, aussi bien au niveau des parlements des îles que du parlement de l’Union. Les exécutifs autonomes de la Grande-Comore, d’Anjouan et de Mohéli ont fait le plein des voix. Après avoir remporté une majorité absolue dans leurs assemblées respectives (42 sièges sur un total de 55) en mars dernier, ils ont cette fois-ci imposé leurs candidats au niveau national face au camp de l’Union. M. Hamadi Madi Bolero, ministre de la sécurité intérieure et de la défense de l’Union et numéro deux du pouvoir Azali, a lui-même été battu dans une circonscription de Mohéli, son île natale. Tout un symbole…
En attendant les résultats officiels de la Commission nationale indépendante (CNEI) mercredi prochain, il semble d’ores et déjà que cinq sièges sur dix, qui étaient à pourvoir lors de ce second tour, reviennent au camp des «îliens» contre quatre pour leurs adversaires «unionistes». Au premier tour, qui s’est déroulé le 18 avril dernier, ils avaient également remporté cinq sièges contre trois. Quinze autres sièges devraient par ailleurs être désignés par les assemblées des îles, où ils sont largement majoritaires. Dans une assemblée fédérale prévue pour fonctionner avec trente trois élus, les pouvoirs exécutifs des îles autonomes apparaissent renforcés dans leurs volontés politiques. Reste à savoir de quelle manière vont s’établir désormais les liens –jusqu’alors tendus– entre les «élus» au niveau de chaque île et ceux qui dirigent l’exécutif national.
Ali Toihir, porte-parole de la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), le parti du président, ne cache son appréhension: «Nous craignons qu’une Assemblée de l’Union à forte coloration néo-séparatiste ne constitue une menace sérieuse pour l’unité nationale». Ces élections, qui ont connu plus de 60% de taux de participation, sont censées représenter la dernière étape du processus de réconciliation nationale mis en place par la communauté internationale, afin de mettre fin à la crise séparatiste et institutionnelle déclenchée en 1997 par les «indépendantistes» anjouanais. Cependant, la situation est loin d’être totalement stabilisée. Sur les îles de la Grande-Comore, d’Anjouan et de Mohéli, le pouvoir de l’Union a eu du mal à défendre ses prérogatives jusqu’à très récemment. Un conflit de compétences a perduré entre les «îliens» et les «unionistes». Un conflit que les nouveaux parlementaires doivent théoriquement désamorcer, en mettant en place une série de lois organiques, susceptible de faciliter la gestion du jeune Etat aux quatre exécutifs.
Dans un pays, où il n’y a pratiquement plus d’opposition d’envergure nationale, où l’on ne parle plus qu’en termes d’appartenance insulaire, et où les Anjouanais et les Grand-Comoriens s’accusent mutuellement d’être les responsables du naufrage de l’Etat depuis plus de vingt-cinq ans, pendant que les Mohéliens se plaignent de n’avoir jamais eu leur part du gâteau, la suite des événements ne paraît donc pas aussi simple que le laisse croire la mise en place des nouvelles institutions parlementaires. «S’il suffisait d’une baguette magique pour que ça aille mieux, confie S. Ahmed, assesseur dans un bureau de vote sur l’île d’Anjouan, on pourrait le croire. Mais c’est plus compliqué. Ceux qui ont gagné ces élections, non seulement, n’ont aucun projet de société à caractère national, mais en plus de ça ils ne rêvent que d’une chose, c’est de pouvoir disposer d’une manne financière, qui ne soit pas contrôlé par l’Etat ou par les hommes d’Azali. Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure manière de gérer l’avenir de nos concitoyens».
La peur d'un nouveau conflit entre les élus insulaires
Les citoyens de la nouvelle Union des Comores ne semblent effectivement pas tous convaincus de la nécessité de garder les îles de ce petit archipel unis, à un moment où Mayotte, l’île soeur demeurée française, donne l’impression de prendre de plus en plus le large. A la moindre contrariété, Mohéli et Anjouan menacent de quitter l’ensemble constitué. Avec le soutien de leurs «populations respectives». C’est ce que nous confie un membre de l’entourage de Abdou Soulé Elbak, qui renchérit aussitôt: «les guillemets sont de rigueur, parce qu’il n’y a pas trois populations différentes mais une seule. Disons que le discours que la France a instillé dans les esprits pour encourager le départ de Mayotte il y a trente ans a bien pris. Mes camarades disent «nous, les Grand-Comoriens» à présent. Je serais surpris de voir nos parlementaires défendre un autre discours. Ils risqueraient de perdre les promesses de privilèges qui leur sont fait chaque jour par notre exécutif à Moroni. Or c’est là le premier problème qui risque de se poser. Comment faire fonctionner un pays aussi minuscule avec quatre exécutifs aux sensibilités différentes». Par prudence et par peur de se faire éjecter du staff «présidentiel» de son île, notre interlocuteur souhaite garder l’anonymat.
On se rappelle alors que A. Mchangama, journaliste indépendant, rendait compte de cette «difficulté» dans un éditorial du journal l’Archipel au tout début de la crise en 1997: «les rapports, écrivait-il, entre Comoriens – si tant est que l’on puisse parler de Comoriens – sont en train de pourrir, infectés par le doute. Dans les bureaux, dans la rue, dans les taxis et les lieux publics, la même fiente suspicieuse irrigue les propos et les commentaires – vite tus dès que «l’étranger» apparaît […] Progressivement, la méfiance et la peur installent un peu partout des frontières invisibles, engendrant un malaise indéfinissable et indéchiffrable. Une gêne. Quelle qu’en sera l’issue, rien ne sera plus comme avant». La peur de voir surgir un nouveau conflit entre des élus insulaires, qui ne pensent qu’à défendre leur terre d’appartenance, et un pouvoir fédéral, qui rame à imposer un idéal national, n’est donc pas tout à fait écartée. Tout se décide désormais comme sur un mode caricatural. Soit vous êtes pour le clan Azali, soit vous êtes contre lui et vous êtes alors applaudi par les «îliens», aussi appelé «mdji djengo» sur la Grande-Comore. A se demander si le citoyen comorien est véritablement le gagnant de ces élections, qui sont les premières à se dérouler presque sans incident majeur depuis la création de l’Union des Comores en décembre 2001.par Soeuf Elbadawi
Article publié le 26/04/2004 Dernière mise à jour le 26/04/2004 à 18:33 TU