Union africaine
L’UA installe son Conseil de paix et de sécurité
UA
Est-ce la première fois qu’on crée une institution panafricaine dédiée à la prévention des conflits et au maintien de la paix?
La charte de l’OUA de 1963 prévoyait déjà la création d’une commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage. Celle-ci devait même être l’un des quatre principaux organes de l’OUA. Mais l’organisation de l’Unité africaine n’est pas parvenu à la rendre opérationnelle. Des troupes pour le maintien de la paix ou des observateurs militaires ont été déployés par l’OUA au Tchad (fin des années 70, début des années 80) ou au Rwanda (début des années 90), mais ces déploiements ont été décidés sans que l’OUA possède une structure dédiée au maintien de la paix. La première tentative réellement concluante pour institutionnaliser un mécanisme remonte à juin 93 quand le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Caire a décidé la mise en place du «mécanisme pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits».
Quelles sont les principales différence entre ce Conseil de paix et de sécurité et ce «mécanisme» de l’OUA?
La première différence importante est une différence de mandat. Le mécanisme pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits obéissait aux principes de la charte de l’OUA, et notamment à celui de non ingérence. Le Conseil de paix et de sécurité ouvre une brèchejuridique dans cette neutralité entre Etats membres : certes, l’article 4 (f) du protocole instituant le Conseil de paix et de sécurité mentionne comme principe de base «la non ingérence d’un Etat membre [souligné par nous] dans les affaires intérieures d’un autre Etat membre», mais le texte prévoit quatre alinéas plus bas «le droit de l’Union [toujours souligné par nous] d’intervenir dans un Etat membre sur décision de la conférence dans certaines circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le génocide, les crimes contre l’humanité, conformément à l’article 4(h) de l’acte constitutif».Le pouvoir de décision échappe au Conseil de paix et de sécurité en ce domaine, puisque le Conseil ne fait que formuler des recommandations à la conférence des chefs d’Etat (article 7(e) du protocole).
La deuxième grande différence concerne les outils dont disposent les deux structures. Le Conseil de paix et de sécurité est beaucoup mieux appuyé. Il est secondé par un groupe des sages composé de cinq personnalités africaines nommé pour trois ans et susceptible de mener des actions de prévention. Il est doté d’un outil militaire que n’avait pas le mécanisme, à savoir la «force africaine prépositionnée»: des troupes susceptibles d’être mobilisées en cas de crise seront en principe désignées par les Etats membres. Le Conseil de paix et de sécurité travaillera également sur les informations que lui fournira un «système continental d’alerte rapide» chargé d’identifier les crises naissantes. Ce système est en cours de constitution.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine est-il l’exacte transposition, à l’échelle du continent, du Conseil de sécurité des Nations unies?
Il existe quelques points communs: tout comme le Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine compte 15 membres. Les vocations des deux organes sont relativement similaires: promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité; anticiper et prévenir les conflits ou encore faciliter la consolidation de la paix dans les pays qui sortent d’une période de conflit. Pour autant, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine est très différent du Conseil de sécurité de l’ONU: tous ses membres sont élus, aucun n’est permanent, aucun ne dispose du droit de veto. Pour assurer une continuité dans l’action du Conseil, il a été décidé que cinq membres seraient élus par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement pour une durée de trois ans, les dix autres pour deux ans. Mais la principale différence entre les deux institutions se trouve dans leurs pouvoirs respectifs:A la différence du Conseil de sécurité de l’ONU, le Conseil de paix et de sécurité partage la maîtrise des actions de prévention, de gestion des conflits et de maintien de la paix avec le président de la commission de l’Union africaine (actuellement Alpha Oumar Konaré, NdlR). Par ailleurs, le Conseil de paix et de sécurité doit s’en remettre à la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement dès qu’il s’agit d’intervenir au sein d’un Etat membre pour répondre à une situation de crimes de guerre, de génocide, de crimes contre l’humanité. Il ne peut décider seul d’une telle intervention. (voir plus haut).
Y a-t-il un risque de voir le Conseil de paix et de sécurité neutralisé par les Etats membresde l’Union ?
Ce Conseil de paix et de sécurité est né d’un projet politique fort des Etats membres, sur le papier, c’est un outil ambitieux. Il n’obtiendra des résultats que si les responsables lui donnent les marges de manœuvre nécessaires.
Tout d’abord financièrement. L’Union africaine va devoir convaincre les chefs d’Etat et de gouvernement d’adopter un budget nettement plus élevé que les précédents, alors que l’OUA a constamment souffert des arriérés de paiement de ses Etats membres.
Politiquement, les chefs d’Etat et de gouvernement laisseront-ils l’organisation user de ses prérogatives, la suivront-ils dans ses décisions et recommandations? Le passé a prouvé qu’un texte institutionnel pouvait facilement rester lettre morte: «l’expérience de l’OUA nous a montré des Etats violant les accords, quand ils n’ont pas simplement omis de les signer, avoue un haut responsable de l’Union africaine. Le passage de l’OUA à l’UA traduit la conscience par les Etats africains qu’il faut changer. La crainte de la globalisation et l’exemple de l’Union européenne devraient être des ciments pour l’UA. Mais la survivance des égoïsmes nationaux peut être une menace pour le Conseil de paix et de sécurité».
Quelle est la place du Conseil de paix et de sécurité par rapport aux organisations régionales? Par rapport à l’ONU?
Cette articulation entre différents niveaux d’institutions (mondiale, continentale, organisations sous régionales) est l’une des inconnues qui restent à lever. L’article 17 du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité se contente de stipuler: «le Conseil de paix et de sécurité coopère et travaille en étroite collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations unies.» Comment l’ONU va-t-elle travailler désormais sur le continent? Devra-t-elle en référer au Conseil de paix et de sécuritéde l’Union Africaine avant tout déploiement ? L’ONU pourra-t-elle directement s’appuyer sur les organisations régionales, ou devra-t-elle passer par l’intermédiaire du Conseil de Paix et de Sécurité?
Quels sont les premiers pays choisis par les chefs d’Etat et de gouvernement pour siéger au sein du Conseil de paix et de sécurité?
Siégeront pour les trois ans à venir le Gabon, l’Ethiopie, l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Ont été élus pour deux ans le Cameroun, le Congo, le Kenya, le Soudan, la Libye, le Lesotho, le Mozambique, le Ghana, le Sénégal et le Togo.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union est-il la dernière institution de l’Union africaine qui restait à mettre en place?
Le protocole créant la Cour africaine pour les droits de l’Homme et des peuples est entré en vigueur le 25 janvier 2004, mais il faudra encore du temps avant que cette cour ne puisse examiner ses premières affaires. Le protocole instituant la Cour de justice de l’Union africaine est en cours de ratification. On attend également les statuts du Conseil économique et social qui offrira une représentation aux organisations de la société civile. Le Conseil économique et social sera officiellement créé dès l’adoption de ses statuts. Les textes créant les institutions financières panafricaines (banque centrale africaine, fonds monétaire africain, banque africaine d’investissement) restent encore à élaborer.
La réunion du Conseil de paix et de sécurité ce 25 mai est-elle sa toute première réunion?
Le protocole qui institue le Conseil de paix et de sécurité est entré en vigueur le 26 décembre 2003. Juridiquement, c’est à cette date que le Conseil a remplacé le mécanisme pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits. Les pays appelés à siéger au sein du Conseil ont été choisis à la mi-mars par le Conseil exécutif de l’Union. Depuis, le Conseil de paix et de sécurité s’est réuni plusieurs fois et s’est exprimé sur le déploiement d’une force de maintien de la paix de l’ONU au Burundi, les violences de la fin mars à Abidjan, ou la situation aux Comores…
par Laurent Correau
Article publié le 24/05/2004 Dernière mise à jour le 24/05/2004 à 16:15 TU