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Irak

La disgrâce d’Ahmed Chalabi

La CIA va chercher à déterminer si l'Irakien Ahmed Chalabi, ancien allié de Washington, a révélé des secrets américains. 

		(Photo: AFP)
La CIA va chercher à déterminer si l'Irakien Ahmed Chalabi, ancien allié de Washington, a révélé des secrets américains.
(Photo: AFP)
L’homme qui a le plus contribué à l’invasion de l’Irak et à la chute du régime de Saddam Hussein est aujourd’hui considéré comme un moins que rien par l’administration Bush. Encore invité d’honneur de la Maison Blanche il y a quatre mois -il avait assisté aux premières loges au discours de George Bush sur l’état de l’Union à Washington- Ahmed Chalabi fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du FBI et de la CIA, les services de renseignement américains. Il aurait, à en croire Washington, révélé des secrets américains à l’Iran, considéré par le président américain comme faisant partie de l’axe du mal.

L’accusation est grave. Ahmed Chalabi, l’homme en qui l’administration Bush, et plus particulièrement le Pentagone, avait placé toute sa confiance aurait trahi les Etats-Unis avec l’un de leurs pires ennemis, l’Iran. Le président du Congrès national irakien (CNI), qui il y a encore quelques jours siégeait au sein du défunt Conseil de gouvernement irakien, aurait ainsi informé le responsable du bureau de Bagdad du ministère iranien des Renseignements et de la Sécurité que les services américains avaient réussi à déchiffrer le code que Téhéran utilisait pour ses communications secrètes. Ce responsable aurait envoyé un câble à ses supérieurs, en utilisant ce même code, pour leur rapporter sa présumée conversation avec Ahmed Chalabi qui affirmait détenir l’information d’«un Américain saoul».

L’information, révélée au compte-gouttes par la presse américaine –la chaîne CBS avait dans un premier temps affirmé qu’Ahmed Chalabi avait fourni des informations sensibles à l’Iran pouvant «entraîner la mort d’Américains» – a coïncidé avec la perquisition le 20 mai dernier des bureaux et du domicile de l’homme politique irakien. Une centaine de soldats américains et de policiers irakiens avaient encerclé à l’aube les locaux du CNI, avant d’y pénétrer et de confisquer des documents et des ordinateurs. Officiellement, l’opération ne visait pas Ahmed Chalabi mais une quinzaine de ses collaborateurs soupçonnés de «kidnapping, torture, détournement de fonds et vol de biens publics».

Quoi qu’il en soit, la façon spectaculaire dont s’est déroulée cette opération, qui a été largement médiatisée, n’a fait que creuser le fossé entre l’administration Bush et un homme qu’elle espérait pourtant dans un premier temps installer à la tête de l’exécutif irakien. Elle a surtout entériné une rupture qui depuis quelques semaines déjà semblait inévitable tant les positions d’Ahmed Chalabi étaient devenues diamétralement opposées à celles de l’administrateur américain Paul Bremer et à celles des responsables du Pentagone. Sans compter que quelques jours auparavant, le numéro 2 du département de la Défense, Paul Wolfowitz, avait annoncé que les Etats-Unis allaient cesser de financer le parti de M. Chalabi, comme ils le faisaient depuis plus de deux ans déjà à hauteur de 340 000 dollars par mois. Officiellement, l’arrêt de cette aide se justifie dans le cadre du processus de transfert de la souveraineté aux Irakiens.  

Une rupture à double tranchant pour Washington

En multipliant les fuites dans, semble-t-il, l’unique but d’accabler l’ancien protégé du vice-président Dick Cheney –il voyait en lui un possible De Gaulle irakien– l’administration Bush a cherché avant tout à se démarquer d’un allié devenu encombrant. Le patron du CNI était en effet à l’origine des informations sur le présumé arsenal d’armes de destruction massive de Saddam Hussein, principal justification d’une guerre en Irak. Son entourage avait notamment révélé au renseignement américain l’existence de laboratoires mobiles d’armes chimiques et biologiques sur lesquels l’armée américaine n’a toujours pas mis la main. Ahmed Chalabi est également accusé d’avoir plaidé pour une purge en profondeur des membres du parti Baas de l’armée et de l’administration irakiennes. Une décision qui s’est révélée contre-productive et sur laquelle les Etats-Unis ont depuis fait marche arrière.

Plus embarrassant pour Washington, son ancien allié est entré depuis quelques semaines dans une opposition frontale avec l’administration de la coalition dirigée par Paul Bremer, multipliant les critiques sur le processus politique en cours qui doit aboutir le 30 juin au transfert de la souveraineté aux Irakiens. Mais paradoxalement, sa mise à l’écart pourrait servir Ahmed Chalabi en le libérant de son image de marionnette des Américains. L’homme ne s’est d’ailleurs pas privé de claironner son indépendance, affirmant que l’acharnement de Washington à l’écarter en était bien la preuve. Selon lui en effet, l’administration Bush est agacée par ses prises de position contre les baasistes et par ses appels répétés en faveur d’un contrôle total des forces armées par les Irakiens après le 30 juin.

Mais le passé sulfureux du patron de la CNI pourrait bien jouer en sa défaveur. Car si les Irakiens le connaissent mal –il a vécu quarante ans en exil– ils sont parfaitement au fait de son passé judiciaire. Ahmed Chalabi a été condamné en 1992 par un tribunal militaire jordanien à 18 ans de réclusion pour fraude bancaire.

par Mounia  Daoudi

Article publié le 03/06/2004 Dernière mise à jour le 03/06/2004 à 16:38 TU