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Guantanamo

La parade du Pentagone face à la Cour suprême

Les «tribunaux d'examen de statut» ont commencé ce vendredi 30 juillet 2004 à examiner le statut juridique des prisonniers de Guantanamo. 

		(Photo : AFP)
Les «tribunaux d'examen de statut» ont commencé ce vendredi 30 juillet 2004 à examiner le statut juridique des prisonniers de Guantanamo.
(Photo : AFP)
Les «tribunaux d’examen de statut», mis en place par le Pentagone après que la Cour suprême des Etats-Unis eut autorisé les «combattants ennemis» détenus sur la base de Guantanamo à contester leur incarcération devant une juridiction civile américaine, ont commencé la semaine dernière à examiner les recours des prisonniers. Ces tribunaux d’exception sont dénoncés par plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme qui y voient une parade de l’administration Bush et du Pentagone, soucieux de garder le contrôle sur ce dossier délicat. Plusieurs détenus de Guantanamo remis aux autorités de leur pays ont en effet dénoncé leurs conditions de détentions, accusant les militaires américains d’avoir eu recours à la torture physique et psychologique pour leur extorquer des aveux.

L’arrêt prononcé le 28 juin dernier par la Cour suprême des Etats-Unis a été un désaveu cinglant pour la politique menée depuis janvier 2002 par le Pentagone sur sa base navale de l’île de Cuba transformée en centre de détention sous très haute sécurité. Estimant que «l’état de guerre n’était pas un chèque en blanc au président» Bush, la plus haute juridiction du pays avait en effet donné accès aux quelque six cents «combattants ennemis», qui croupissent depuis plus de deux ans et demi à Guantanamo, aux instances judiciaires civiles américaines de leur choix. La riposte du Pentagone a cependant été quasi-immédiate, le département de la Défense annonçant vingt-quatre heures après la décision de la Cour suprême son intention de mettre en place des «tribunaux d’examen de statut».

Ces tribunaux d’exception, parade à peine voilée face à l’avalanche de procédures qui n’auraient pas manqué d’être introduites auprès des juridictions civiles, sont chargés de d’examiner le statut juridique des prisonniers incarcérés sur la base cubaine. Il s’agit de savoir si «les individus détenus par le département de la Défense sur la base navale américaine de Guantanamo sont correctement classés dans la catégorie des combattants ennemis –qui autorise la justice militaire américaine de détenir un suspect sans inculpation formelle et sans possibilité de se choisir un avocat– et de donner la possibilité à chaque détenu de contester une telle désignation», a expliqué le Pentagone.

Cette procédure est entrée en vigueur la semaine dernière, les premiers tribunaux ayant commencé à siéger vendredi. Elle devrait permettre de faire un tri entre «les cas sérieux» qui seront alors traduits devant la «commission militaire» chargée de juger les détenus inculpés –et cela en dépit d’éventuels recours devant les tribunaux civils– et ceux qui n’ont jamais vraiment constitué une menace terroriste réelle pour les Etats-Unis. A l’instar de ce qui s’est produit la semaine dernière pour les quatre Français de Guantanamo, ces détenus de moindre importance pourraient être remis aux autorités de leur pays qui pourront soit les poursuivre soit les relâcher comme ce fut le cas pour quatre prisonniers britanniques remis en liberté vingt-quatre heures après leur arrivée à Londres.

Une «mascarade» pour les défenseurs de droits de l’Homme

La mise en place des «tribunaux d’examen de statut» a été vivement dénoncée par plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme. Ces juridictions d’exception, composés de trois officiers de l’armée américaine, n’autorisent pas en effet les détenus à faire appel à un avocat. Les prisonniers ont tout au plus le droit de se faire assister par un «représentant personnel», un militaire qui n’est en rien un conseiller juridique et qui surtout n’est pas lié par les règles de confidentialités. Au cours de leur passage devant ce tribunal, ils pourront certes prendre la parole ou faire citer des témoins –essentiellement leurs codétenus– mais ils ne pourront en revanche pas avoir accès aux informations classées secrètes dans leur dossier. Leur représentant pourra éventuellement leur fournir un résumé des accusations portées à leur encontre.

Pour Human Rights Watch, le but de cette procédure engagée par le département de la Défense est avant tout de laisser dans les mains du Pentagone le contrôle de la situation. «Le fait que les détenus n’aient pas accès à un avocat, condition première de l’habeas corpus, lui ôte toute légalité et toute crédibilité», a ainsi dénoncé Stephen Watt un mmbre de cette organisation . Selon lui, malgré la «neutralité» promise des officiers devant siéger dans ces tribunaux, rien ne garantit que leur loyauté envers l’armée n’influence leur jugement. Le Centre américain pour les droits constitutionnels (CCR) a pour sa part dénoncé «une mascarade de justice». Un de ses juristes a d’ailleurs estimé qu’en mettant en place ces juridictions, l’administration Bush cherchait à «empêcher les juges fédéraux de statuer et de prendre des décisions qui ne lui conviendront pas». Selon lui «ces instances ne sont qu’une tentative de plus pour faire perdurer un trou noir juridique à Guantanamo».   

Le Pentagone qui s’était déclaré la semaine dernière confiant dans le bon déroulement des auditions devant ses «tribunaux d’examen de statut» –son objectif était de faire examiner jusqu’à soixante-douze dossiers– a dû revoir ses ambitions à la baisse. Quatre des six premiers détenus à comparaître ont en effet refusé de participer aux auditions. Quelque 585 prisonniers sont appelés à défendre leur dossier devant ces juridictions et certains ont d’ores et déjà refusé toute coopération avec l’armée américaine.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 05/08/2004 Dernière mise à jour le 05/08/2004 à 14:16 TU