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Guantanamo

Bush désavoué par la cour suprême

La base américaine de Guantanamo Bay. <EM>Amnesty international </EM>dénonce l'existence de prisons secrètes où seraient également torturés des prisonniers soupçonnés d'activité terroriste. 

		(Photo : AFP)
La base américaine de Guantanamo Bay. Amnesty international dénonce l'existence de prisons secrètes où seraient également torturés des prisonniers soupçonnés d'activité terroriste.
(Photo : AFP)
Contrairement aux arguments avancés par l’administration Bush, la plus haute juridiction américaine a déterminé que les quelque 600 prisonniers détenus sans limite et sans avocat à Guantanamo Bay ont le droit d’être entendus par une cour américaine. Ce jugement historique limite les pouvoirs du président en temps de guerre.
De notre correspondant à New York

 Les stratèges du Pentagone avaient choisi la base de Guantanamo Bay pour détenir les « ennemis combattants » de la guerre contre le terrorisme parce qu’ils pensaient pouvoir ainsi empêcher la justice de mettre son nez dans leurs affaires. La base américaine de Guantanamo Bay est en territoire cubain, faisaient-ils valoir, hors de portée des tribunaux américains. Les avocats des prisonniers répondaient que la base est louée de force à Cuba depuis plus de 100 ans. Bien qu’étant juridiquement sous souveraineté cubaine, elle est selon eux sous contrôle total des forces américaines qui en limitent l’accès et y font régner leurs propres lois, circuler leur monnaie et flotter leur drapeau. La Cour suprême leur a donné raison. Par six voix contre trois, les juges ont décidé que tous les détenus de Guantanamo Bay avaient le droit de contester leur emprisonnement devant un tribunal fédéral américain. « Les tribunaux américains ont la possibilité d'examiner la légalité de la détention de détenus étrangers capturés à l'étranger en relation avec des hostilités et incarcérés à la base de Guantanamo » ont-ils estimé.

La Maison blanche faisait valoir que depuis les attentats du 11 septembre, le pays était en guerre contre le terrorisme, ce qui donnait au gouvernement l’autorité d’arrêter et de détenir des terroristes présumés de manière indéfinie, en leur refusant tout accès à un avocat ou à un juge. Le président américain avait seul déterminé que les détenus de Guantanamo étaient des « ennemis combattants » et non des « prisonniers de guerre », protégés en tant que tels par les conventions de Genève. Pour ses juristes, il s’agissait simplement de les empêcher de retourner sur le « champ de bataille » immatériel le temps de la durée de « la guerre contre le terrorisme », une guerre sans début ni fin précise. Plus de six cents hommes sont ainsi détenus depuis plus de deux ans, sans accès à un avocat, sans savoir de quoi ils sont accusés, et sans aucun contact avec le monde extérieur. Plus de 140 ont été relâchés sans procès, ce qui accrédite la thèse que beaucoup de ces prisonniers sont des innocents.

«Un état de guerre n’est pas un chèque en blanc»

Seul point positif pour l’administration Bush : les juges reconnaissent au gouvernement le droit d’arrêter  et de détenir des citoyens américains qualifiés d’« ennemis combattants ». Ce jugement concerne plus particulièrement Yaser Hamdi, un citoyen américain capturé aux côtés de combattants taliban en Afghanistan et détenu dans une prison militaire en Caroline du Sud. Mais lui aussi peut être entendu par une cour américaine pour contester le bien-fondé de son internement. La juge Sandra O’Connor a dans cette affaire affirmé que la Cour « a clairement dit qu’un état de guerre n’est pas un chèque en blanc pour le président lorsqu’il est question des droits des citoyens de la Nation ». Les juges estiment que les tribunaux américains seront capables de gérer convenablement au cas par cas les éventuelles questions de sécurité nationale, tout en sauvegardant les libertés élémentaires, qui « restent vibrantes, même à une époque d’inquiétude quant à la sécurité ». La Cour suprême renverse ainsi les décisions de tribunaux inférieurs favorables à l’administration.

Ce jugement « contredit fermement l’argument de l’administration qui prétendait que ces activités dans le cadre de la guerre contre le terrorisme sont hors de portée de la loi et non sujettes à un examen des tribunaux américains » a déclaré Steven Shapiro, directeur juridique de l'ACLU, la plus grande organisation américaine de protection des libertés individuelles. Michael Ratner, du Centre pour les droits constitutionnels qui faisait partie des plaignants, estime que « c’est une victoire majeure pour la justice qui affirme le droit de chacun, citoyen ou non et détenu par les États-Unis de tester la légalité de sa détention devant un tribunal américain.» Trois des juges, les plus conservateurs, ont exprimé leur désaccord avec ce jugement, qui est selon le juge Scalia « la répudiation irresponsable d’une loi établie, sur une question d’extrême importance pour nos forces actuellement sur le terrain ». « Aujourd’hui, la cour piège l’exécutif en soumettant Guantanamo Bay à la revue des tribunaux fédéraux, même si cet endroit n’a jamais été avant cela considéré comme relevant de leur juridiction. Elle rend ainsi idiot le choix de cet endroit pour accueillir des détenus étrangers en temps de guerre » a-t-il ajouté.

Et maintenant ? Les avocats des détenus de Guantanamo vont certainement commencer par demander l’autorisation de rencontrer leurs clients, qu’ils n’ont jamais vus, à l’exception d’une poignée d’entre eux, que le Pentagone a décidé de juger devant des commissions militaires, dont le fonctionnement ne garantit pas les droits élémentaires de l’accusé selon les organisation de défense des libertés civiles. Attention, la décision de la cour suprême ne veut pas dire que ces commissions militaires sont remises en cause, que les détenus sont blanchis ou que leur arrestation et leur détention est illégale.

Simplement, on leur offre une chance de prouver qu’ils sont innocents devant une instance neutre. De son côté, l’administration Bush prend le temps d’examiner le jugement avec soin avant de réagir. Mais le gouvernement américain va certainement devoir monter des dossiers pour prouver qu’il détient ces hommes pour des raisons valables. Ou peut-être préfèrera-t-il libérer en masse les détenus.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 29/06/2004 Dernière mise à jour le 29/06/2004 à 13:18 TU