Irak
Allaoui cherche à s’imposer
(Photo: AFP)
Depuis son installation fin juin par les Américains à la tête de l’exécutif irakien, Iyad Allaoui a davantage donné l’impression de gérer les relations extérieures du pays que de s’occuper du quotidien de ses concitoyens. Le Premier ministre a en effet été absent d’Irak pendant plus de deux semaines, occupé à une tournée régionale alors que les attentats se multipliaient à travers le pays, frappant notamment –et c’était une première– la petite communauté chrétienne. Mais face à la dégradation de la situation, illustrée par la reprise des combats entre miliciens chiites radicaux et forces irakiennes soutenues par les troupes de la Force multinationale, il semblerait que le chef du gouvernement ait décidé de reprendre personnellement les choses en main. L’homme fort du nouvel Irak, dont la réputation d’homme à poigne n’est plus à faire –il aurait selon certaines rumeurs récemment abattu froidement plusieurs terroristes présumés– a créé la surprise en se rendant dimanche à Najaf, théâtre de violents combats, pour tenter de désamorcer la crise.
Le Premier ministre a certes essayé d’infléchir la position de Moqtada al-Sadr en proposant à ce jeune imam radical, dont les miliciens sont engagés dans les affrontements qui ensanglantent la ville sainte du chiisme, de déposer les armes et de participer au processus politique. Son gouvernement avait d’ailleurs promulgué la veille une loi d’amnistie partielle qui lui aurait permis d’abandonner la lutte armée mais c’était compter sans l’intransigeance de ce chef rebelle.
Mais la promulgation même de cette loi, prévue il y a plus d’un mois et sans cesse reportée, n’en demeure pas moins un geste politique fort du gouvernement envers une population meurtrie qui attend depuis des mois que soit mis fin au chaos qui règne en Irak. Ses dispositions en disent toutefois long sur la mainmise des Américains dans la gestion des affaires de sécurité en Irak. Prévue dans ses premières versions pour concerner la plupart des Irakiens partie prenante de l’insurrection, elle ne s’applique désormais plus qu’aux «personnes ayant commis des crimes mineurs et qui n’ont pas été interpellées ou mises en accusation» et à celles qui sont «impliquées dans la détention d’armes légères ou d’informations en vue de perpétrer des actes terroristes». Bref toute personne n’ayant pas commis de meurtre, ce qui réduit considérablement le nombre de personnes concernées.
Autoritarisme inquiétantAvec cette loi d’amnistie, limitée à trente jours et présentée comme un signe d’ouverture et une volonté de réconciliation nationale, Iyad Allaoui a affirmé chercher à encourager «les citoyens à réintégrer la vie civile au lieu de perdre leur vie pour une cause perdue». Mais parallèlement, son gouvernement a également rétabli la peine de mort, suspendue en avril 2003 après la chute du régime de Saddam Hussein par les forces de la coalition sur injonction des Britanniques. Cette mesure, au sujet de laquelle les Américains n’ont rien trouvé à redire, concerne les meurtriers et les individus représentant une menace pour le pays. Une formulation très vague qui peut laisser place à bien des interprétations et qui d’ores et déjà inquiète les défenseurs des libertés en Irak.
«M. Allaoui cherche à se donner une image d'homme fort pour plaire à la population, exaspérée par le chaos actuel, et montrer que c'est lui qui est aux commandes et non les Américains», relève ainsi un professeur de l'Université de Bagdad, Hassan Alany. Plusieurs sondages récents ont en effet révélé que la majorité des Irakiens –confrontés quotidiennement aux enlèvements et à la délinquance– étaient favorables au rétablissement de la peine capitale. La mesure prise par le Premier ministre devrait donc accroître sa popularité. Depuis son entrée en fonction, son gouvernement avait d’ailleurs déjà proclamé la loi martiale dans certains districts s’attirant la sympathie de la population pour qui les droits de l’homme et les libertés ne constituent pour l’instant pas une priorité.
A l’instar du président de l'Institut irakien pour la démocratie, Hussein Sinjari qui estime qu’Iyad Allaoui n'a pas d’autres choix que celui de prendre des mesures musclées, les Irakiens ferment volontiers les yeux sur les méthodes musclées du nouveau pouvoir, pourvu que soit mis un terme à l’insécurité. «Nous avons besoin d'un leader fort pour mater les guérillas. Quand la sécurité sera rétablie, nous pourrons alors instaurer une vraie démocratie», a-t-il notamment justifié. Dans ce contexte, la décision de fermer un mois durant le bureau à Bagdad de la chaîne de télévision qatarienne al-Jazira, accusée d’«incitation à la haine et aux tensions raciales», n’avait que très peu de chances d’émouvoir des Irakiens préoccupés avant tout par leur sécurité. Mais peut-être seront-ils plus sensibles aux premiers cas de tortures enregistrés dans les prisons irakiennes ? Car même si elles n’en ont pour l’instant ni la cruauté ni la démesure, les méthodes d’Iyad Allaoui rappellent à bien des égards celles utilisées par l’ancien dictateur déchu.
par Mounia Daoudi
Article publié le 09/08/2004 Dernière mise à jour le 10/08/2004 à 10:17 TU