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Ukraine

L’Occident va-t-il céder à Poutine ?

Le président russe Vladimir Poutine (G) s'est rendu à Kiev le 12 novembre avant le deuxième tour de l'élection présidentielle pour soutenir Viktor Ianoukovitch (D). 

		(Photo : AFP)
Le président russe Vladimir Poutine (G) s'est rendu à Kiev le 12 novembre avant le deuxième tour de l'élection présidentielle pour soutenir Viktor Ianoukovitch (D).
(Photo : AFP)
En soutenant ouvertement Viktor Ianoukovitch, le candidat pro-russe à la présidentielle ukrainienne, Vladimir Poutine a couru le risque de s’aliéner ses alliés occidentaux -Européens mais aussi Américains- qui ne semblent visiblement pas prêts à abandonner au Kremlin un pays qui cherche à s’émanciper de l’influence du grand frère russe en s’ancrant plus à l’Ouest. Alors que le président russe a été l’un des très rares chefs d’Etat à féliciter le Premier ministre sortant d’une victoire pourtant vigoureusement contestée par les partisans de son rival Viktor Iouchtchenko, l’Union européenne et les Etats-Unis ont multiplié ces derniers jours les déclarations dénonçant les fraudes massives qui selon eux ont marqué cette élection.

L’ambiance risque d’être tendue jeudi à La Haye où les Pays-Bas, qui assurent actuellement la présidence de l’Union européenne, accueillent le sommet UE-Russie. Coupant court à toute tentative de défilement de la part de Moscou, le Premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende, a en effet indiqué dès mardi soir que le sujet de l’élection ukrainienne serait «certainement» au menu des discussions entre responsables russes et européens. «Nous devons être honnêtes et dire qu’une démocratie ne fonctionne que quand les élections se passent de manière honnête et correcte», avait-il également souligné ajoutant que ces appels téléphoniques aux dirigeants ukrainiens allaient tous dans ce sens. Jan Peter Balkenende a en outre saisi l’occasion pour rappeler que le premier tour de ce scrutin avait déjà provoqué des critiques de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE, qui a été chargée d’observer le bon déroulement de la présidentielle ukrainienne). Enfonçant le clou mercredi, le président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso dont ce sera la première grande sortie jeudi à La Haye, a affirmé qu’il exprimerait «haut, clair et fort» les désaccords de l’Union sur le déroulement de l’élection ukrainienne. «En faisant cette déclaration, a-t-il toutefois précisé, nous avons dans l’intention de trouver une solution afin que soient évitées les violences. Nous sommes dans un état d’esprit constructif».

Vladimir Poutine est donc prévenu côté européen. Mais le président russe a également dû subir parallèlement les pressions de son grand allié dans la lutte contre le terrorisme. Washington s’est en effet montré ces derniers jours particulièrement agacé par les premiers commentaires du chef du Kremlin qui s’était empressé de féliciter Viktor Ianoukovitch alors que la communauté internationale mettait en garde l’Ukraine contre toute précipitation dans l’annonce des résultats d’un scrutin suspecté d’être entaché par des truquages massifs. Le sénateur Richard Lugar, envoyé par le président Bush sur place pour observer le scrutin, avait en effet affirmé dès lundi à Kiev, qu’il était «clair qu’il y avait eu un programme vaste et concerté de fraudes le jour de l’élection, soit sous la direction des autorités gouvernementales soit avec leur complicité». Signe du mécontentement américain, le département d’Etat a convoqué mardi l’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis pour lui exprimer sa préoccupation. Et la Maison Blanche a menacé de revoir ses relations avec l’Ukraine et de prendre des mesures de représailles si une enquête sur les allégations de fraudes n’était pas immédiatement ouverte.

Enjeux stratégiques

Cette mobilisation de l’Occident –sans précédent avec une telle vigueur– face à la volonté de Moscou de maintenir dans son giron l’Ukraine a sans conteste un parfum de guerre froide. Et si la Russie a sans trop de difficultés laissé la Géorgie mener à bien sa révolution de la rose, elle ne semble visiblement pas prête à lâcher un pays qui représente un enjeu stratégique de taille dans la diplomatie telle qu’envisagée par Vladimir Poutine. Second pays en superficie d’Europe (après la Russie), l’Ukraine est en effet le siège de quelques-uns des fleurons du complexe militaro-industriel soviétique dont celui de l’avionneur Antonov qui continue à fournir l’armée russe. Elle possède également de grandes aciéries, dont le spectaculaire renouveau ces dernières années –dû en grande partie à l'appétit de l’économie chinoise– est à l'origine du redressement économique du pays dont la croissance est estimée cette année à près de 13%. L’Ukraine est enfin le lieu de transit pour le pétrole et le gaz de Sibérie en direction de l’Ouest. Ce commerce se fait pour le moment aux conditions de Moscou qui n’a aucun intérêt à ce que cela change.

Mais l’enjeu sécuritaire reste sans doute aux yeux du Kremlin encore plus prioritaire. Les Russes ont déjà assisté avec répugnance à l'adhésion de leurs anciens pions baltes à l’Otan et voient d’un très mauvais œil l’admission au sein de l'Alliance atlantique de la Géorgie, prochain pays sur la liste, tout comme celle de l’Azerbaïdjan. Les visites menées ces derniers mois dans ce pays par de hauts gradés du Pentagone n’ont en effet guère été appréciées à Moscou qui répugne à voir s’installer dans sa zone d’influence traditionnelle des bases militaires américaines que Washington cherche à mettre en place pour officiellement surveiller l'Asie centrale et son islamisme proliférant.

Dans ce contexte, Vladimir Poutine, qui cherche avant tout à restaurer l’influence de la Russie sur les anciennes provinces soviétiques, peut difficilement accepter que l’Ukraine soit de moins en moins sous son contrôle. Moscou qui a déjà perdu de nombreux ports stratégiques sur la Baltique avec l'émancipation de la Lituanie, de la Lettonie et de l'Estonie ne peut en effet se résoudre à envisager l'idée d'une éventuelle présence américaine dans le port en eaux profondes de Sébastopol.

La confirmation officielle par la commission électorale de la victoire du candidat pro-russe à l’élection ukrainienne semble donc confirmer la volonté du Kremlin de mettre l’Occident devant le fait accompli.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 24/11/2004 Dernière mise à jour le 24/11/2004 à 17:53 TU

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Envoyé spécial aux Pays-Bas

«Ce sont des frontières de l'Europe qui sont en train de se dessiner à Kiev. Entre une Europe démocratique membre ou proche de l'Union européenne et une Europe plus autoritaire qui passe par la Biélorussie et la Russie.»

[25/11/2004]

Thijs Berman

Député européen socialiste des Pays-Bas

«Il y a tant de fraudes, c'est inextricable. Il faut refaire le deuxième tour. L'opposition, Iouchtchenko a raison, il faut faire un deuxième tour.»

[25/11/2004]

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