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Liban

Les Syriens se retirent mais la crise s’aggrave

Les pro-syriens ont largement manifesté dans la ville de Nabatiyé.(Photo: AFP)
Les pro-syriens ont largement manifesté dans la ville de Nabatiyé.
(Photo: AFP)
Loyalistes et opposants se disputent la rue alors que les Syriens achèvent la première phase de leur repli et s’engagent à retirer la totalité de leurs troupes. Pendant ce temps, la crie politique se complique et les problèmes économiques s’aggravent.
De notre correspondant à Beyrouth

Mission accomplie en Syrie pour l’envoyé spécial des Nations unies chargé de l’application de la résolution 1559 de l’Onu. Après un entretien samedi à Alep avec le président syrien Bachar al-Assad, Terje Roed-Larsen a réussi à obtenir un calendrier de retrait complet des troupes de Damas du Liban qu’il transmettra à Kofi Annan en milieu de semaine prochaine. Si les détails de ce retrait total ne sont pas encore connus, il est désormais certain que le gros des troupes syriennes se retirera d’ici fin avril, avant la date des élections législatives prévues en mai. L’armée syrienne a déjà évacué la totalité de ses unités combattantes du Nord-Liban et la plupart de ses positions sur les hauteurs du Mont-Liban. Mais les permanences des services de renseignements syriens dans ces deux régions et à Beyrouth n’ont toujours pas été fermées. Elles devraient être évacuées avant la fin de ce mois.

A Beyrouth aussi Terje Roed-Larsen semblait satisfait de ses entretiens. Après avoir été reçu par le président de la république, Emile Lahoud, et le ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Hammoud, il a affirmé que «les points de vue étaient proches sur tous les sujets abordés». En plus du retrait syrien, la 1559 exige «le désarmement de toutes les milices», c’est à dire la branche armée du Hezbollah. «Nous devons prendre en considération la stabilité du Liban», a ainsi déclaré Roed-Larsen, en allusion à la question du désarmement de la milice chiite qui divise profondément les Libanais. «Il y a plusieurs options à envisager. Je suis convaincu que nous pourrons trouver une solution à toutes ces questions», a-t-il ajouté.

La crise s’installe

Mais au lieu de se décrisper après le début du retrait syrien, la situation se complique de jour en jour. Des dizaines de milliers de personnes sont tous les jours dans la rue. Rien que pendant la semaine qui vient de s’écouler, trois manifestations ont eu lieu. Après avoir cédé la rue à l’opposition depuis l’assassinat le 14 février de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri,  le Hezbollah et les partis pro-syriens sont passés à la contre-attaque. Au lendemain d’une grande manifestation de l’opposition, les pro-syriens ont rassemblé, mardi 8 mars, plus d’un million de partisans. Ils ont récidivé ce dimanche dans la ville de Nabatiyé, au Liban-Sud. Une foule imposante brandissant des drapeaux libanais et des portraits des présidents Assad et Lahoud, et parfois de Rafic Hariri, a scandé des slogans contre «l’intervention étrangère» et la 1559. Des jeunes gens portaient des banderoles dénonçant les chefs de l’opposition. Lundi, ce sera au tour de l’opposition de «relever le défi». Les préparatifs et la mobilisation battent leur plein pour tenter de rassembler une foule aussi importante sinon plus que celle qui a répondu à l’appel des pro-syriens.

L’échauffement des esprits et la polarisation de l’opinion publique s’accompagnent d’incidents violents de plus en plus fréquents. Plusieurs partisans de l’opposition ont été blessés, dont un par balle, par des personnes affiliées à des partis pro-syriens. Un jeune homme a été agressé par des jeunes opposants qui l’avait pris pour un ouvrier syrien. Plus grave encore: un ressortissant syrien a été poignardé à mort dans un quartier sunnite de Beyrouth.

Ce climat malsain inquiète le président Emile Lahoud et le patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Les deux hommes ont lancé des appels au calme et la prélat maronite, considéré comme le chef spirituel de l’opposition, a demandé la fin des manifestations. «Maintenant que l’armée syrienne se retire, il faut cesser la mobilisation dans la rue», a-t-il dit. Mais les esprits sont tellement échauffés que les deux hommes ont peu de chance d’être écoutés.

L’économie tourne au ralenti

La crise politique qui secoue le pays depuis maintenant un mois a de graves répercussions sur la vie économique qui tourne au ralenti. Les hôtels et les restaurants du centre-ville sont vides. Les pressions s’accentuent sur la monnaie nationale, obligeant la banque centrale à injecter des centaines de millions de dollars pour empêcher son effondrement. Certains investisseurs arabes commencent à envisager sérieusement le retrait de leurs capitaux. Pire encore: le cabinet se contente d’expédier les affaires courantes et si un gouvernement n’est pas formé avant le 10 avril, le Liban sera plongé dans le noir. Les réserves de fioul qui alimentent les centrales électriques auront, en effet, été épuisées.

Omar Karamé a été réinvesti par une majorité de députés pour former le nouveau gouvernement. Il a tendu la main à l’opposition l’invitant à siéger dans un cabinet d’union nationale. Le Premier ministre sortant qui a démissionné il y a dix jours sous la pression de la rue a même déclaré qu’il rendrait le tablier s’il n’arrivait pas à former un gouvernement d’entente nationale. Mais pour l’instant, l’opposition n’a pas répondu favorablement à ses offres. Elle réclame le limogeage ou la démission des chefs des services de sécurité «pour leur responsabilité» dans l’assassinat de Rafic Hariri avant d’accepter de participer au pouvoir.

Il y a plus grave encore: sans gouvernement, le Parlement ne peut pas examiner la nouvelle loi électorale. Et si celle-ci n’est pas approuvée avant le 12 avril, les délais constitutionnels pour la tenue du scrutin auront été dépassés. Sans gouvernement, sans Parlement, avec un président au mandat prorogé et un peuple dans la rue, le Liban va à la dérive.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 13/03/2005 Dernière mise à jour le 13/03/2005 à 16:37 TU