Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liban

Démission d'Omar Karamé

Le bras de fer entre le régime pro-syrien et l’opposition avait pour théâtre, ce lundi, le Parlement et la rue.(Photo : AFP)
Le bras de fer entre le régime pro-syrien et l’opposition avait pour théâtre, ce lundi, le Parlement et la rue.
(Photo : AFP)
Contesté dans la rue, critiqué par une grande partie de la classe politique, de plus en plus isolé sur les plans local et international, le régime libanais perd l’initiative. Le Premier ministre pro-syrien Omar Karamé a démissionné lundi après-midi à l'ouverture de la seconde séance consacrée à la motion de censure contre son gouvernement.

De notre correspondant à Beyrouth

Jamais un gouvernement libanais n’aura été aussi détesté et isolé dans la rue et au sein de la classe politique. Et pourtant, il s’accroche, refuse de démissionner, par crainte de provoquer un «vide institutionnel», comme l’explique le Premier ministre Omar Karamé. Ce n’est plus une crise de gouvernement, mais celle du régime que le pays est en train de vivre. Et tous les jours, les indices indiquant que le Liban est à l’aube d’un grand changement se multiplient.

Le bras de fer entre le régime pro-syrien et l’opposition avait pour théâtre, ce lundi, le Parlement et la rue. A la chambre, les députés de l’opposition ont imputé au pouvoir actuel tous les maux dont souffre le pays. Lors d’une séance de débat général consacrée à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, retransmise en direct par toutes les télévisions, l’opposition a dénoncé, dans des termes d’une extrême sévérité, le «noyautage par les services de renseignements syriens et libanais de toutes les institutions de l’État». Ils ont réclamé haut et fort la fin de la «tutelle syrienne et de la dictature militaire» et demandé que toute la vérité soit faite sur l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à 17 autres personnes, le 14 février dernier. L’ancien ministre de l’Économie, Marwan Hamadé, qui avait lui-même échappé à un attentat début octobre, a accusé le pouvoir d’être «au moins responsable sinon complice dans la planification et l’exécution» de l’attentat contre Hariri. Le débat était houleux et le président de l’Assemblée a dû frapper du poing sur la table plusieurs fois pour ramener le calme.

La rue bouillonne

Le débat parlementaire qui doit se poursuivre au moins jusqu’à mercredi, est retransmis sur un écran géant installé Place des martyrs à 30 mètres de la tombe de Hariri, située à moins d’un kilomètre du Parlement. Plusieurs dizaines de milliers de partisans de l’opposition entonnaient des chants patriotiques et scandaient des slogans anti-syriens. La ferveur des manifestants était entretenue par des tribuns qui se relayaient sans relâche au microphone.

L’opposition a réussi à mobiliser une foule immense alors que le ministre de l’Intérieur Sleiman Frangié avait interdit dimanche soir toute manifestation et avait chargé l’armée et les forces de sécurité d’appliquer sa décision. Toutefois, l’armée qui a déployé des milliers d’hommes, a fait preuve, lundi matin, de beaucoup de flexibilité et de tolérance. Non seulement elle n’a pas cherché à disperser les manifestants, mais elle les a autorisé à se rassembler par petits groupes, sur la Place des martyrs. Au bout de trois heures, ils étaient des milliers.

Comment expliquer le fait que l’armée n’ait pas mis en œuvre la décision du pouvoir politique ? A-t-elle choisi la neutralité dans le bras de fer entre pouvoir et opposition ? A-t-elle reçu des «conseils» de ne pas s’impliquer dans une éventuelle répression? On ne le saura peut-être jamais. Mais une chose est certaine: l’armée a décidé de ne pas réprimer les manifestants... jusqu’à nouvel ordre.

Quoi qu’il en soit, ce développement intervient alors que le sous-secrétaire d’État américain pour le Proche-Orient se trouve à Beyrouth pour une visite de quatre jours. David Satterfield, qui connaît bien le Liban pour y avoir été ambassadeur jusqu’en 2001, n’a demandé qu’un seul rendez-vous officiel avec le ministre libanais des Affaires étrangères. Par contre, il a vu presque tous les chefs de l’opposition, ainsi que le Patriarche maronite et le mufti sunnite de la République.

Plus important encore. Dans une déclaration à la presse, Satterfield a déclaré que le désarmement du Hezbollah, pourtant prévu par la résolution 1559 de l’Onu, n’était pas une priorité. Ce propos rejoint ceux de plusieurs opposants qui font la distinction entre le parti islamiste et le pouvoir pro-syrien. Nous sommes vraisemblablement devant une tentative de neutralisation du Hezbollah en essayant de le rassurer sur son avenir en tant que formation politique. Sachant que le régime actuel repose sur deux piliers essentiels, l’armée et le Hezbollah, on devine une tentative visant à l’affaiblir en le privant de ses deux principaux alliés. Détesté par la rue, isolé sur les plans local et international, abandonné par ses deux derniers supports, le régime n’aura plus aucun moyen de survivre.

Avec son effondrement, s’achèvera l’ère syrienne au Liban. Mais nul ne sait ce que l’avenir réserve au pays des cèdres.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 28/02/2005 Dernière mise à jour le 28/02/2005 à 17:53 TU