Liban
Manifestation monstre de l’opposition
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Sans l’ombre d’un doute, l’opposition libanaise vient de pulvériser ce lundi le record du nombre de manifestants, détenu depuis le 8 mars par les alliés de la Syrie conduits par le Hezbollah. La foule qui s’est rassemblée sur la grande Place des martyrs a débordé sur celle de Riad el-Solh, où les pro-syriens s’étaient massés, il y a moins d’une semaine.
Le spectacle était impressionnant. Deux heures avant le début de la manifestation, organisée un mois jour pour jour après l’assassinat de Rafic Hariri, des centaines de milliers de personnes étaient déjà rassemblées dans le périmètre de la sépulture de l'ancien Premier ministre, tué le 14 février dans un attentat à l'explosif. Des dizaines de milliers d’autres continuaient d’affluer de toutes les régions en voiture, en bus, en camion ou même à bicyclette. Des bouchons de plusieurs kilomètres de long bloquaient la circulation sur toutes les entrées de Beyrouth. Laissant leurs véhicules sur place, des milliers de manifestants ont poursuivi leur chemin à pied, parcourant parfois une vingtaine de kilomètres pour rejoindre le centre-ville. D’autres ont fait le trajet par voie de mer en embarquant sur des bateaux de pêcheurs.
A l'appel des associations économiques et des professions libérales, banques, bureaux, commerces, écoles et universités ont fermé leurs portes en milieu de journée, permettant aux «cols blancs», aux lycéens et aux étudiants de se joindre à la foule.
Un millier d'autobus ont été affrétés pour transporter les habitants de la Békaa. Même à Baalbek, un bastion du Hezbollah, des milliers de personnes se sont joints aux convois. De Saïda, ville natale de Hariri, des convois de centaines de voitures et de bus, ornés de drapeaux libanais, se sont dirigés vers Beyrouth, rejoignant les convois formés dans la montagne du Chouf, le fief du chef druze Walid Joumblatt. Dans la capitale, les quartiers résidentiels huppés et les autres plus populaires étaient quasiment vides, sillonnés par des voitures, klaxons bloqués, drapeaux libanais rouges et blancs au vent. Venant de tout le Liban, la foule multiconfessionnelle est venue exprimer son attachement à la souveraineté, l’indépendance et la liberté du Liban.
Une immense banderole bleue, pour «la vérité», recouvrait un pan de la mosquée el-Amine près de laquelle ont été inhumés Rafic Hariri et ses sept gardes de corps tués avec lui. «Dans ce pays, la vérité finira toujours par apparaître», «le Liban ne peut pas vivre sans démocratie», pouvait-on entendre de la voix enregistrée de l’ancien Premier ministre, dont des extraits de discours étaient diffusés par de puissants haut-parleurs.
Brandissant des drapeaux libanais, des portraits de Rafic Hariri ou des banderoles dénonçant le régime libanais et son allié syrien, les manifestants étaient essentiellement formée de chrétiens, de sunnites et de druzes. Les chiites, eux, appuient dans leur majorité le Hezbollah.
Les messages de Bahia Hariri
Les principaux chefs de l’opposition se sont succédé à la tribune pour haranguer la foule survoltée. Ils ont réitéré leurs principales revendications: formation d’une commission internationale d’enquête et démission des responsables des services de sécurité à qui ils font assumer la responsabilité de l’assassinat de Hariri. Certains ont aussi demandé le départ du président de la République, Émile Lahoud. Mais le discours le plus important a été prononcé par Bahia Hariri. S’engageant à ne jamais abandonner sa quête de la vérité pour identifier les assassins de son frère, elle a adopté un ton conciliant envers la Syrie, affirmant qu’elle restera à ses côtés «jusqu’à la libération du Golan occupé». Elle a également rendu hommage au Hezbollah et à la Résistance, dont le désarmement est exigé par la résolution 1559 de l’Onu. La députée de Saïda a par ailleurs exprimé son attachement à la tenue des élections législatives dont le report est de plus en plus envisagé.
Cette grande manifestation ainsi que celles qui les ont précédées sont une expression de la vie démocratique au Liban. Mais elles constituent également une source d’inquiétudes. Le président Émile Lahoud a réclamé ce week-end l'arrêt des rassemblements loyalistes et opposants de peur de débordements violents. Le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, considéré comme le guide spirituel de l'opposition, a lui aussi demandé la fin «des démonstrations de force dans la rue», mettant en garde contre leurs conséquences négatives sur la stabilité et l'économie du Liban.
Selon des sources politiques citées par la presse, l’armée libanaise aurait reçu l’ordre d’interdire dorénavant tout rassemblement et de démonter les tentes installées par l’opposition sur la Place des martyrs. Ces mesures visent à détendre le climat après la multiplication des clashs entre les partisans des deux camps ainsi que les incidents à connotation confessionnelle.
par Paul Khalifeh
Article publié le 14/03/2005 Dernière mise à jour le 14/03/2005 à 17:52 TU