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Indonésie

Radio Prima, la voix des Achénais

«Nous devons être la voix des Achénais. Si un réfugié cherche quelqu'un de sa famille, il doit pouvoir le dire à l'antenne.»(Photo : Jocelyn Grange/RFI)
«Nous devons être la voix des Achénais. Si un réfugié cherche quelqu'un de sa famille, il doit pouvoir le dire à l'antenne.»
(Photo : Jocelyn Grange/RFI)
Les médias d’Aceh jouent un rôle important dans la reconstruction de leur province dévastée par le tsunam. Mais ils se sentent négligés par les personnels humanitaires étrangers.

De notre envoyé spécial à Aceh.

Radio Prima est l’une des sept radios privées de Banda Aceh. Irwan, son créateur, directeur et unique financier, a voulu contribuer au développement de sa province, une des plus pauvres d’Indonésie « Lorsque j’ai fini mes études universitaires, je me suis dit qu’il était important de construire les ressources humaines d’Aceh. Un des moyens de le faire, c’est l’information. Mais les Achénais ne lisent pas beaucoup, nous sommes plutôt une société de la parole », explique Irwan. Radio Prima est créé en 1996. Ses programmes sont axés principalement sur les informations locales. Les journalistes, qui enquêtent sur le terrain, ou les invités, qui s’expriment en direct, se font l’échos des problèmes quotidiens des Achénais.

Mais le tsunami du 26 décembre 2004 a bouleversé le destin de cette petite radio. Ses bâtiments, situés dans le centre-ville de Banda Aceh, ont été entièrement dévastés par les vagues de vingt mètres de haut qui ont déferlé jusqu’à cinq kilomètres à l’intérieur des terres. Plusieurs journalistes et animateurs étaient dans les studios le jour de la catastrophe. Quatre d’entre eux sont morts. La quinzaine de survivants s’est retrouvée une semaine plus tard chez Irwan, dont la maison, située loin des cotes, a été épargnée. « Je leur ai dit que nous devions continuer » raconte Irwan « que notre peuple avait besoin de nous ». Chacun s’est alors employé à trouver un peu de matériel – ordinateur, micro ou table de mixage – tandis qu’un média international livrait rapidement un nouvel émetteur.

Celui-ci a été installé dans le garage d’Irwan transformé en studios. Ceux qui ont perdu leur maison ont planté une tente dans le jardin. Tout cela n’est pas très confortable, mais tous le monde s’en accommode, conscient de l’enjeu. Mi-janvier, les programmes de Radio Prima étaient de nouveau sur les ondes et ses journalistes sur le terrain. « Nous devons être la voix des Achénais » explique l’un d’eux. « Nous allons dans les camps de réfugiés pour savoir si tout le monde a de quoi vivre, et si ce n’est pas le cas, nous le disons à la radio. De même que si un réfugié cherche quelqu’un de sa famille, il doit pouvoir le dire à l’antenne. »

Les épreuves ont forgé la crédibilité de Radio Prima

Si les trois-quarts des informations diffusées aujourd’hui sont consacrés à la situation des 600 000 sans-abri, Radio Prima n’en a pas pour autant délaissé le dossier politique le plus sensible de la province: le conflit qui oppose depuis trente ans l’armée indonésienne au mouvement séparatiste achénais (GAM). Les journalistes de Radio Prima sont achénais, ils ont donc un accès au Gam plus facile que les autres journalistes indonésiens souvent accusés d’être des instruments de propagande au service de Djakarta. La Radio ne soutient aucun des deux adversaires en dépit des pressions exercées par l’un et par l’autre. « En 2001, lorsque la tension du conflit était à son plus haut niveau, les deux camps me téléphonaient chaque jour pour que je diffuse les informations qui les arrangeaient », se souvient Irwan. Mais il n’a jamais cédé malgré le prix très élevé qu’il a du parfois payer pour son engagement : « Mon père a été assassiné à coup de pistolet en mai 2001 », se rappelle-t-il, les larmes aux yeux.

Les épreuves ont forgé la crédibilité dont bénéficie aujourd’hui Radio Prima. Elle est la plus écoutée des radios locales de Banda Aceh et ses journalistes sont appréciés par la population autant qu’ils sont craints par les autorités. Seules les organisations internationales, arrivées massivement dans le sillage du tsunami, semblent ignorer l’importance que peut avoir ce genre de média dans la gestion quotidienne de la reconstruction. « C’est vraiment difficile pour nous de parler au plus haut responsable d’une Ong internationale ou d’une agence de l’ONU », confirme Liza Cici, une des quatre reporters de Radio Prima. « Quand on a besoin d’une information on nous répond souvent : « vous pouvez lire nos communiqués dans les journaux, nos avons déjà fait une conférence de presse, vous n’avez pas besoin de nous le redemander.»

Les organisations internationales semblent avoir pris conscience du problème. « J’ai organisé une grande réunion avec les journalistes locaux en mars dernier » explique Imogen Wall, la porte parole du programme des Nations unies pour le développement. « Ils nous ont dit qu’ils se sentaient déconsidérés, qu’ils avaient l’impression que nous étions uniquement intéressés par la BBC ou CNN… Nous avons donc décidé, après cette réunion, que nous prendrions toujours en premier les questions des journalistes locaux lors des conférences de presse. »

Le tsunami a ouvert à Aceh, province soumis pendant trente ans à l’Etat d’urgence, un nouvel espace de liberté. Radio Prima veut s’en servir pour contribuer à la reconstruction. Ses moyens sont limités mais sa connaissance du terrain et la confiance dont elle bénéficie dans la population, la rendent utile, sinon indispensable. Locale et privée, elle n’en assure pas moins une mission de service public.


par Jocelyn  Grange

Article publié le 09/06/2005 Dernière mise à jour le 09/06/2005 à 12:12 TU