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Espagne

Le dernier franquiste tire sa révérence

Manuel Fraga Iribarne présidait la Galice depuis 1989, son parti, le Parti populaire, a perdu la majorité absolue aux législatives du 19 juin 2005.(Photo: AFP)
Manuel Fraga Iribarne présidait la Galice depuis 1989, son parti, le Parti populaire, a perdu la majorité absolue aux législatives du 19 juin 2005.
(Photo: AFP)
Après avoir traversé un demi-siècle de l’histoire politique de son pays, l’ancien ministre de Franco a été battu de justesse aux élections régionales dans son fief de Galice, dans le nord-ouest du pays. Agé aujourd’hui de 82 ans, Manuel Fraga Iribarne restera comme l’une des grandes figures conservatrices de l’Espagne moderne dont il a su accompagner les évolutions sans jamais rien renier.

Il s’en est fallu de très peu pour qu’il accède à un cinquième mandat à la tête de sa région de Galice qu’il présidait depuis 1989. Ce sont en effet les voix des Galiciens de l’étranger, exilés de la guerre civile et de la misère, qui ont fait basculer le scrutin au profit de la coalition de ses adversaires de gauche, socialistes et régionalistes. Certes son parti, le Parti populaire (PP) de José Maria Aznar demeure le plus puissant sur l’échiquier politique local, avec 37 représentants élus sur une assemblée de 75 députés, mais il perd la majorité absolue. Le Parti socialiste obtient 25 sièges et le Bloc nationaliste galicien en gagne 13.

A l’échelle du pays, c’est donc un nouveau coup dur pour la droite espagnole dont la perte de la Galice confirme le déclin de l’influence, après la défaite enregistré l’année dernière aux élections législatives. Sur les 17 régions autonomes qui constituent le royaume, le PP n’en contrôle plus aujourd’hui que 8.

Mais c’est également une page de l’histoire de l’Espagne qui se tourne. Depuis un demi-siècle, Manuel Fraga Iribarne incarne en effet cette aventure politique singulière que traverse son pays et qui l’a conduit successivement à se soumettre à la brutalité des vainqueurs de la guerre civile, à partir de 1939, puis à un régime militaire de type autoritaire, enfin à se plier tardivement, après la mort du dictateur Francisco Franco en 1975, aux critères européens en vigueur dans la région.

Vacances sur la Costa Brava

Né en 1922, Manuel Fraga Iribarne milite tout d’abord au sein de la Phalange, le mouvement franquiste nationaliste d’extrême droite dont il deviendra l’un des responsables nationaux. Juriste de formation, professeur de droit, il entre en politique à l’âge de 27 ans et se fait très vite remarquer par le Caudillo qui fera de lui l’ambassadeur d’Espagne en Angleterre. En 1962, le général Franco le nomme ministre du Tourisme et de l’Information.

Fidèle au régime, il n’en est pas moins conscient que son pays doit rompre avec l’isolement dans lequel l’a plongé la fin de la seconde guerre mondiale. Anciennement alliée des régimes fascistes vaincus, jusque dans les années 50 l’Espagne vit en autarcie et son économie fonctionne en circuit fermé. Malgré l’embargo et sa mauvaise réputation, il va donc s’employer à désenclaver son pays en attirant les capitaux européens et en faisant de l’Espagne l’une des premières destinations touristiques mondiales. Nous sommes dans les années 60 : la classe moyenne européenne s’enrichit et passe ses vacances sur la Costa Brava où, peu à peu, les infrastructures débordent et grignotent le littoral, de la Costa del Sol jusqu’en Andalousie. Pour répondre à une demande de plus en plus forte et diversifiée, le ministre transforme d’anciens monuments historiques en hôtels de luxe : les « paradores » apparaissent.

L’un des pères de la Constitution

Ministre de l’Information, Manuel Fraga Iribarne continue de surveiller la presse de très près, mais il supprime la censure préalable. Il fait un bref passage au ministère de l’Intérieur, puis quitte le gouvernement du général Franco en 1969. Il n’y reviendra, à nouveau au ministère de l’Intérieur, qu’après la disparition de Francisco Franco pour y assurer la transition démocratique. En 1978, il est ainsi l’un des sept pères de la Constitution démocratique dont se dote le pays, sous la monarchie restaurée de Juan Carlos d’Espagne, conformément aux perspectives dressées par le dictateur disparu. Entre-temps il a fondé le grand parti conservateur Alliance populaire qu’il préside jusqu’en 1986, date à laquelle il confie la formation à José Maria Aznar. L‘Alliance populaire devient Parti populaire en 1989. Iribarne accompagne son jeune dauphin, mais réserve désormais ses ambitions à sa Galice natale. Il commence à décevoir pourtant en 2002, lors de la catastrophe du pétrolier Prestige qui s’abîme sur les côtes de sa province. Il n’est pas à la hauteur de la situation dont il sous-estime la gravité. Alors que toute l’Europe se mobilise, il joue au golf et censure la presse locale.

Province rurale, conservatrice, austère, le Finistère espagnol, haut lieu de pèlerinage tout au bout de l’Europe, balayé par les tempêtes de l’Atlantique est son fief, héritier d’un ancien régime dont il est rompu à toutes les subtilités populistes et clientélistes. On y décrit une mentalité archaïque renforcée par l’épisode franquiste et soumise à l’autorité des notables locaux, les caciques. Le paternalisme réactionnaire, machiste, homophobe d’un Iribarne y prospère sans entrave jusqu’à cet épisode final, en forme de désaveu.


par Georges  Abou

Article publié le 28/06/2005 Dernière mise à jour le 29/06/2005 à 14:16 TU

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Benoit Pellistrandi

Agrégé et docteur en histoire, directeur des études à l'École des Hautes Études Hispaniques

«Manuel Fraga a commencé sa carrière sous le franquisme.»

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