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Pakistan

Les extrémistes à pied d’œuvre

Masood Azhar (à droite), s'est vu interdire ses activités en 2002.Photo : AFP
Masood Azhar (à droite), s'est vu interdire ses activités en 2002.
Photo : AFP
Retranchés dans les zones tribales, le long de l’Afghanistan, quelques centaines de combattants franchissent quotidiennement la frontière pour affronter les troupes américaines. Aidés par des groupes religieux extrémistes, ces islamistes continuent de recevoir des aides financières. Malgré les mises en garde du président pakistanais. Un scénario qui inquiète de plus en plus les Etats-Unis, toujours à la recherche d’Oussama ben Laden, dans les montagnes afghanes.
De notre envoyé spécial à Peshawar

 «Les militaires et les mollahs sont en train de mettre en place un scénario fondamentaliste dans la province parce qu’ils ont besoin de cette base arrière face à l’Afghanistan. Et d’un réservoir pour le Cachemire. Un réservoir de mauvais garçons, une sorte de zone incontrôlable pour continuer d’affirmer au monde : vous devez nous aider, nous ne pouvons tenir seuls ces gens-là», confie, dépité, Tariq Ahmad Khan, coordinateur à Peshawar de la Commission pakistanaise de droits de l’homme. Tariq travaille depuis toujours à Peshawar, autrefois base arrière des moudjahidin durant le conflit afghan. Une ville dans les tons ocre, écrasée par la chaleur, où bruissent mille rumeurs. Des talibans se cacheraient pas centaines dans les camps de réfugiés afghans, des espions à la recherche d’Oussama ben Laden parcourraient les rues de la ville quémandant des informations et des combattants étrangers parlant couramment pashtou, la langue locale, auraient infiltré la ville. Le tout sous l’œil inquisiteur des puissants services secrets pakistanais, l’Inter Service Intelligence, l’ISI, car Peshawar est également une ville de garnison. Mais depuis quelques semaines, une seule et même conversation traverse la ville ; le regroupement, dans les zones tribales, de combattants prêt à faire le coup de feu en Afghanistan. Des combattants que l’on pensait réduits depuis un an à quelques dizaines à peine. «Ils se sont réorganisés, ils ont reçu de l’aide de nouvelles recrues formées en Irak et ils sont animés d’un sentiment de haine très intense contre la présence étrangère à Kaboul», mentionne le brigadier Mahmood Shah, en charge de la sécurité frontalière jusqu’en 2003.

Réduire le dernier sanctuaire d’Al-Qaïda,

Début 2004, sur la demande des soldats américains déployés en Afghanistan, les autorités pakistanaises ont lancé des opérations dans les zones tribales, sur la frontière afghane. «Une première dans l’histoire. Même les Britanniques n’avaient pas été jusque-là. Normalement, ces zones sont administrées par les tribus et ne répondent pas aux lois pakistanaises», admet le brigadier Mahmood Shah. Enjeu : réduire le dernier sanctuaire d’Al-Qaïda, l’organisation d’Oussama ben Laden et de son bras droit Ayman Al-Zawahiri qui, selon Gary Schroen, ex-responsable de l’antenne de la CIA à Islamabad, se cacheraient dans les zones tribales entre le Pakistan et l’Afghanistan. 70 000 soldats sont donc entrés d’abord au Sud-Waziristan, l’une des six agences tribales (1), puis un an après dans le Nord-Waziristan. Ils ont découvert une quinzaine de camps d’entraînement installés à l’intérieur de fermes forteresses, habitat traditionnel dans les montagnes qui séparent les deux pays, où chaque leader tribal possède plusieurs kalachnikovs, de l’armement lourd, des missiles, etc.

«Nous avons des rapports qui affirment que les combattants traversent la frontière afghane, depuis le nord-Waziristan. L’armée a donc fait mouvement vers cette frontière, alors qu’elle tentait surtout de sécuriser les villages. Mais elle ne peut tenir toute cette zone, qui est vaste et poreuse», affirme Assad Mounir, secrétaire général du Fatah, l’organisme étatique chargé d’établir le lien entre les chefs de tribus et le gouvernement pakistanais. «Nous savons qu’il reste à peu près trois cents combattants étrangers, surtout des Tchétchènes, des Ouzbeks, des Tadjiks, des Soudanais, des Yéménites, des Libyens et des Algériens. Nous n’avons en revanche aucune information sur ceux qui protège ben Laden et leur localisation. Mais ce que nous savons, c’est que sans la protection des chefs de tribus et de groupes extrémistes, ils ne pourraient aller nulle part», ajoute-t-il. Ce qu’affirme également Tariq Ahmad Khan : «J’étais hier à Malakand. J’ai vu le bureau de l’organisation Jaish-e-Mohamed, collectant des fonds, proposant ouvertement à de nouvelles recrues un entraînement pour les envoyer ensuite en Afghanistan ou au Cachemire indien».

Des fonds pour les combattants

Direction Malakand, à peu près à trois heures de route au nord-ouest d’Islamabad. Malakand est une petite ville traversée par une unique rue, au début de la chaîne de montagne de l’Hindu Koush. Une voiture officielle aux vitres teintées permet au journaliste de passage de franchir les nombreux barrages militaires sur la route. En mai dernier, c’est à une cinquantaine de kilomètres au sud de Malakand, à Mardan, que le présumé numéro trois d’Al-Qaïda, le libyen Abou Faraj al-Libbi, a été arrêté. Depuis, la route est surveillée. La maison du Jaish-e-Mohamed est vide ; les derniers membres de l’organisation ont quitté la ville quelques jours à peine avant mon arrivée. «Pour se réfugier dans les montagnes», me confirme-t-on sur place. Le groupe a été fondé en 2000 par Masood Azhar, fraîchement échangé par des pirates de l’air contre les passagers d’un vol d’Air India détourné sur la ville afghane de Kandahar, l’homme était alors en prison en Inde pour activités terroristes. On le retrouve entre l’Afghanistan et le Pakistan, à la tête d’une nouvelle organisation affiliée à d’Al-Qaïda, le Jaish-e-Mohamed, l’Armée de Mohamed.

En 2002, les autorités pakistanaises interdisent ses activités. Et pourtant, à Malakand, jusqu’au début du mois d’août 2005, les extrémistes avaient pignon sur rue. Restent des boîtes posées dans les magasins de la ville, sortes de tirelires destinées à recueillir des fonds pour les combattants. Et des affichettes élimées dans les rues, avec les portraits des hommes morts en martyrs dans les pays voisins. «Dans cette région, tous les gens sont très religieux. Certains financent le djihad depuis plus de vingt ans. Pourquoi ça changerait ? Et avec la présence américaine à quelques kilomètres (2), les tensions sont toujours vives ici. Vous savez, fin 2001, même des enfants sont partis se battre contre la Coalition en Afghanistan», confie Leakat, rencontré à Malakand. Les cartes sont désormais entre les mains du président pakistanais Pervez Musharraf, qui a déclaré la guerre au fondamentalisme. Un pari déjà avancé en 2002 et qui finalement n’avait pas donné grand-chose. On se demande à la Commission pakistanaise des droits de l’homme s’il y a une réelle volonté politique d’en finir avec l’extrémiste, qui nourrit notamment le conflit du Cachemire. Avec l’Afghanistan, l’une des deux zones cruciales pour le gouvernement pakistanais.


par Eric  de Lavarène

Article publié le 08/08/2005 Dernière mise à jour le 08/08/2005 à 13:59 TU

(1) Les agences tribales sous administration fédérale du Pakistan ont un statut constitutionnel à part au Pakistan ; elles sont dirigées par des «agents politiques» et soumises à une ordonnance de 1901 relative aux crimes commis dans la zone-frontière qui accepte le principe de la responsabilité collective et des châtiments collectifs.

(2) La frontière avec l’Afghanistan est à 70 km à vol d’oiseau de Malakand