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Immigration

Kidal, la porte du désert

Le Mali est considéré comme un pays de transit, parce que les immigrants accèdent facilement en Algérie par le nord, puis au Maroc, avant de rejoindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.(Cartographie: RFI)
Le Mali est considéré comme un pays de transit, parce que les immigrants accèdent facilement en Algérie par le nord, puis au Maroc, avant de rejoindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
(Cartographie: RFI)
Deuxième volet du «carnet de route» de Serge Daniel avec les candidats africains à l’immigration en Europe. Aujourd’hui, escale à Kidal sur la route de Tamanrasset.

De notre envoyé spécial

Kidal, au coeur du désert malien, à 1 800 kilomètres au nord de Bamako. Les Africains tentés par le rêve européen transitent aussi par ici pour gagner l'Algérie voisine. Kidal est en réalité un bourg de quelques milliers d'habitants. A l'entrée, un drôle de poste de sécurité: deux ou trois fûts métalliques pour contrôler les entrées. Un gendarme plutôt nonchalant se lève. Il contrôle mes papiers, ceux du véhicule 4X4. «C'est bon», le sol sablonneux de cette contrée touareg nous accueille.

On parle souvent des mystères de Tombouctou, autre ville malienne du Nord. Mais Kidal, a aussi les siens. Il y a d'abord, pour faire plaisir aux défenseurs des animaux, un crocodile «protecteur» qui y vit depuis un demi-siècle. Apporté dans la ville par un ancien administrateur colonial, le saurien est «chouchouté» par tous les préfets successifs de Kidal, d'abord par peur. «Les préfets successifs se disent que si l'animal meure sous leur règne, c'est un malheur pour eux», me confie Sékou, une vieille connaissance originaire du sud du Mali. Il est dans le commerce, les «affaires» comme on le dit ici. Mais mon ami Sékou, est surtout entrain de blanchir sous le harnais ici, depuis 16 ans. «Dieu Merci», ses affaires marchent. Mais ici on ne rentre pas trop dans des détails. Autre mystère.

Des fruits d’Algérie

Kidal, c'est aussi les vestiges d'un bagne transformés en musée, comme pour dire «plus jamais ça». Dans ce bagne, les murs, le sol parlent des milliers de morts atroces. Ce lieu où étaient déportées «les ennemis de la révolution», les «renégats», vocable révolutionnaire de l'époque, ou encore termes à la mode lors du régime de plomb, quand un adversaire devait être poussé de l'autre côté de la rive, la rive de la mort.

Parmi les Kidalois que je tutoie, il y en a un qui connaît par coeur l'organisation et le déclenchement de la quasi la totalité des rébellions touaregs contre le pouvoir central de Bamako et en a peut être même été l'initiateur. Mais il ne veut plus entendre parler de cette période. Pour être plus précis, il en fait également un mystère. Le nom de cet ex-chef rebelle de Kidal est Iyad Ag Agaly. Depuis, il a élu domicile à Kidal dans une maison plutôt cossue et ranger les armes contre la mosquée.

Justement non loin de la mosquée de Kidal, Je trouve des fruits: raisin, pommes, oranges. Mais là, il n'y a pas de mystère: ces fruits, plutôt un luxe dans une zone désertique, ne viennent pas du sud du pays mais plutôt, pour la quasi totalité d’entre eux, de l'Algérie voisine.

Un oued sépare les deux localités frontalières

C’est ce chemin de l'Algérie voisine que prennent les Africains, aspirants à l'émigration clandestine en Europe. Deux chemins. Soit ils montent vers la ville malienne de Tessalit, pour déboucher sur la localité de Inhallil, pour atterrir à Borjn, localité algérienne. Soit, deuxième piste, de Kidal les aventuriers foncent vers Tizaouatine. Il y a deux Tizaouatine: Tizaouatine-Mali et Tizaouatine-Algérie. Un oued sépare les deux localités frontalières.

J'achève d'interroger trois de ces candidats à l'aventure. Ils prendront demain la direction de Tiza. Inutile de revenir sur leurs motivations : pauvreté, mal de vivre, espoir d’une vie meilleure.

Bon, il est 16 heures TU, ce lundi. Il y a à peine deux heures que j'ai achevé de faire le trajet Gao-Kidal. Sept heures de route, en réalité de piste, où parfois on tombe dans des nids-de-poule profonds comme un puits. Mes deux carcasses (mon corps et mon véhicule) sont fatiguées. Un repos est nécessaire. Dormir et lire me calme. Mais sous les turbans, une nouvelle fait le tour de la ville de Kidal : des ressortissants africains expulsés d'Algérie. L'information se précise. Certains de ces Africains de retour forcé sont non loin de l'aéroport, disons plutôt de la piste d'atterrissage de Kidal. Ici, la bonne blague est d’affirmer qu’à chaque fois «qu'un avion doit atterrir ici, la tour demande à l'appareil de survoler un moment la ville, le temps qu'on chasse les troupeaux de moutons, ou de boeufs qui envahissent souvent la piste».

En haillons sous un soleil implacable

Revenons quand même aux Africains de retour forcé. Ils sont là, visibles. Habillés en haillons, sous un soleil implacable. C'est Diallo, un ressortissant guinéen qui a la force de prendre la parole. «Nous étions, à Gardhaia en Algérie», commence t-il. Rafles de dizaines de personnes par la gendarmerie. Toutes les personnes arrêtées sont des ressortissants africains en route pour le Maroc, dernière étape du périple, avant les enclaves espagnoles de Ceuta, et de Melilla.

«Crac», «crac», et «crac», les personnes arrêtées entendent les bruits de menottes à leurs poignets. La douleur vient ensuite, secondée par un séjour en prison. Plusieurs jours, selon les témoignages. Une semaine après, de gros bus se garent devant cette prison. Direction Insalat, plus au sud de l'Algérie. Et là, transbordement dans des camions, toujours avec les menottes. La décision de les expulser vers la frontière malienne est prise. En réalité déjà mise en exécution. Un opulent gendarme algérien, selon les témoignages recueillis, vocifère: «Vous repartez chez vous par le Mali, c'est tout, et ne faites pas le malin. L'Algérie n'est pas un dépotoir». Silence dans les rangs. Deux, trois, quatre récalcitrants. Des coups de matraques pleuvent.

Le convoi se dirige vers la ville algérienne du sud: Tamanrasset. Trajet difficile. Un pain, toute les 24 heures par passagers. Un peu d'eau. La solidarité africaine montre son véritable visage. James ne comprend vraiment pas: «En Europe, on nous déconsidère. Dans nos pays frères en Afrique, c'est pire». Il revoie encore le regard assassin posé sur lui par un flic algérien: «Il y avait de la haine pour moi, quand il me regardait», dit-il. Un autre expulsé se souvient aussi qu’à Tamanrasset un policier algérien, doté d'une force herculéenne, avait le coup de poing facile.

Jetés à la frontière avec le Mali

Trois jours après, c'est-à-dire le week-end dernier, ce sont plusieurs centaines d'Africains qui sont jetés à la frontière avec le Mali. Sans le sous, ils vont travailler ici sur place pour avoir un peu d'argent et repartir, ou du moins tenter de le faire. Certains ont déjà commencé. Aliou, ressortissant Gambien, est l'un d'eux. Il serre le manche d'un lourd marteau. Il tape sur un fer dans un chantier en construction. Le propriétaire du chantier, un notable du coin explique qu’il gagnera, s'il apprend vite, 1 000 francs CFA par jour. Sur ces mots, on entend crisser des pas sur le gravier du chantier. Deux autres Africains, en retour forcé, cherchent du travail.

Non loin de là, trois chameaux, le regard aussi fier que celui de leur maître, comme le disait l'une des défenseurs de la cause touareg, Danielle Miterrand. C'est vrai que les Africains fraîchement expulsés d'Algérie sont actuellement dans une ville de gens «fiers». Je me souviens de ce que Chériff, l'un des intellectuels de la région me disait avant mon départ de Bamako. Chez eux, il y a deux types de noblesse. La noblesse de robe avec sur place, par exemple, la famille des Intalla, et la noblesse d'épée, avec par exemple Iyad Ag Agaly, l'ancien chef rebelle. Mais ce que Chériff ne m'a pas dit, ou du moins n’a pas voulu me dire, je le sais maintenant. N'étant pas nombreux dans la zone, par crainte de voir s'éteindre la lignée de noblesse, on assiste actuellement à un croisement de noblesse de robe et d'épée. Je m'explique: Les enfants des deux lignées, se marient ou de remarient de plus en plus entre elles.

Bref, il est l'heure de rompre le jeune. La vie à Kidal va s'arrêter un bon moment, donc forcément le cyber dans lequel je me trouve. Alors j'arrête: c’est ma manière d'observer la rupture du jeune. Pour être plus précis: respecter la rupture du carême.

(Demain, suite du périple)


par Serge  Daniel

Article publié le 18/10/2005 Dernière mise à jour le 18/10/2005 à 13:01 TU

Audio

Laurent Correau

Envoyé spécial de RFI dans le nord du Maroc et dans les enclaves espagnoles

«Si l’Europe veut aller plus loin, elle devra s’attaquer à la question des subventions agricoles…»

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