Immigration
Sarkozy et les immigrés «qui n'aiment pas» la France
(Photo : AFP)
Bon retour chez… vous. Nicolas Sarkozy n’a décidément pas son pareil pour faire éclater des polémiques. Il l’a encore prouvé ce week-end en lançant une petite phrase pas du tout insignifiante : «S’il y en a que cela gêne d’être en France, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas». Le président de l’UMP s’adressait aux nouveaux adhérents de l’UMP et a fait un tabac. Tonnerre d’applaudissements, sourire satisfait, Nicolas Sarkozy a obtenu l’effet souhaité dans la salle, puis certainement aussi ensuite dans le microcosme politique.
Car ses propos ont, une fois de plus, fait bondir ses adversaires de gauche. François Hollande, le Premier secrétaire du Parti socialiste, estime que «la droite n’a pas de bilan à présenter qui soit celui de la confiance et de la crédibilité. A partir de là, elle essaie d’aller sur des registres qui sont ceux de la peur, de l’affrontement». Claude Bartolone, proche de Laurent Fabius, y est allé de sa petite phrase piquante : «On savait que Sarkozy rythmait avec démagogie, voilà maintenant que cela rythme avec xénophobie». Moins enlevée et plus solennelle, la réaction de Jack Lang dénonce la même tendance : «Pourquoi cette dérive xénophobe ? Quand on prétend aux plus hautes fonctions de l’Etat, on ne peut pas ainsi draguer sur les terres du Front national». Quant au Parti communiste, il s’émeut et s’interroge : «Loin de combattre Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy est prêt à épouser ses idées pour le pouvoir», et de poursuivre en se demandant si «l’immigré hongrois Sarkozy pourrait encore entrer en France avec un tel ministre de l’Intérieur ?»
Une «villiérisation des esprits»
Du côté de l’extrême-droite, le ton est plutôt à la raillerie. Philippe de Villiers, le président du Mouvement pour la France (MPF), a ironisé sur la «villiérisation des esprits» que traduit l’invitation au départ lancée par Nicolas Sarkozy aux immigrés insatisfaits. Il est vrai que l’emprunt au slogan de son parti, «La France, tu l’aimes ou tu la quittes», saute aux oreilles. Reste que malgré ce simili-plagiat, Nicolas Sarkozy est encore loin d’être aussi radical que Philippe de Villiers dont le fond de commerce est la dénonciation de l’islamisation de la société française. Il a ainsi déclaré que s’il y a «des musulmans modérés», il ne pense pas qu’il y ait «un islam modéré», pour en tirer la conclusion que «l’islam est incompatible avec la République». Dans un livre à paraître le 26 avril, intitulé Les Mosquées de Roissy, il affirme même que les réseaux islamistes ont infiltré l’aéroport parisien et menacent les transports aériens. Citant des notes des renseignements généraux, il a mis au défi le ministre de l’Intérieur de les rendre publiques pour démentir ses informations et d’en débattre avec lui.
En avançant sur le terrain miné de l’immigration, où l’on se bouscule déjà, à quoi joue donc Sarkozy ? A essayer de devenir président. Et pour y parvenir, il estime qu’il lui faut donner des gages de fermeté afin d’essayer de convaincre les électeurs séduits par les partis d’extrême-droite. Il est vrai que le jeu en vaut la chandelle. Un sondage de l’institut CSA pour Le Parisien, publié le 24 avril, indique que Jean-Marie Le Pen (FN) et Philippe de Villiers (MPF) représentent ensemble 18% des intentions de vote (14% pour le premier, 4% pour le deuxième). De quoi faire la différence, s’il arrive à en convaincre certains. Et Nicolas Sarkozy ne voit pas ce qu’il y a à critiquer dans cette stratégie. Au contraire, il la revendique et répond à tous ceux qui l’accusent de chasser sur les terres du Front national : «On devrait plutôt se réjouir qu’un dirigeant d’une formation républicaine aille les [les électeurs] chercher un par un pour les convaincre que Le Pen, c’est une impasse».
Le président de l’UMP ne veut d’ailleurs pas limiter son opération séduction aux électeurs de l’extrême-droite. Il compte bien aussi ratisser du côté des déçus du Parti communiste : «Je veux aussi m’adresser à la gauche populaire, à tous ces gens qui vivent dans les quartiers et qui ont le sentiment d’être abandonnés par la République, à tous ces gens qui ont cru au Parti communiste». Une manière de montrer qu’il ne raisonne pas en fonction des clivages politiques traditionnels mais essaie de placer le débat sur les enjeux de société.
Sarkozy fait-il le bon calcul ?
En essayant de rameuter la France «populaire» de droite et de gauche, Sarkozy adopte-t-il la stratégie la plus efficace en vue de l’élection présidentielle de 2007 ? On dit en général que les scrutins se gagnent au centre au deuxième tour. En prônant le strict contrôle et la sélection des candidats à l’immigration en France, le durcissement des conditions d’accès au regroupement familial, le renvoi systématique des sans-papiers, il ne semble pas se positionner dans ce créneau politique et rend difficile un revirement le moment venu. L’un de ses proches, le ministre délégué à l’Aménagement du territoire, Christian Estrosi, explique pourquoi en déclarant que justement la politique de l’immigration à la mode Sarkozy est «une formule parfaitement en phase avec ce que ressentent les Français». Un sondage récent (Ifop/Acteurs publics publié le 21 avril) indique aussi qu’un tiers d’entre eux pensent que l’extrême-droite enrichit le débat politique, notamment sur l’immigration et la sécurité, et qu’elle est proche de leurs préoccupations. Le calcul est donc peut-être qu’aujourd’hui, la majorité des Français n’est plus au centre. En tout cas sur certains sujets, parmi lesquels l’immigration.
Reste qu’en adoptant cette démarche, Nicolas Sarkozy prend le risque de brouiller les pistes dans l’esprit d’un certain nombre d’électeurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles Jean-Marie Le Pen se veut serein : «On peut venir à la chasse aux voix du Front national et perdre sa place. On gagne une voix du FN et on en perd trois à son bénéfice». Philippe de Villiers pense, pour sa part, que Sarkozy n’a aucune chance de convaincre parce qu’il pratique un «double langage», et demande : «Depuis qu’il est au pouvoir qu’attend-il pour stopper l’immigration ?» Une question à laquelle le ministre de l’Intérieur donnera certainement des éléments de réponse lors du débat sur son projet de loi sur l’immigration, qui débute le 2 mai à l’Assemblée nationale.
par Valérie Gas
Article publié le 24/04/2006 Dernière mise à jour le 24/04/2006 à 15:11 TU