France
A Verdun, Chirac regarde l’histoire «en face»
(Photo : AFP)
Jacques Chirac n’a jamais dévié sur les symboles et les principes. Depuis son arrivée à l’Elysée en 1995, il a pris position sur les grandes questions qui taraudent la société française et hantent les mémoires en tentant de faire avancer les choses. Il a recadré le débat sur la laïcité, fondement de l’organisation sociale et politique du pays, en faisant voter une loi. Il a engagé la réflexion autour du passé colonial de la France et de la reconnaissance des méfaits de l’esclavage. Il a, par exemple, tranché sur un article de loi controversé qui évoquait le «rôle positif de la France» dans les anciennes colonies en demandant sa suppression, quitte à être fortement critiqué dans son camp. Et il a choisi la date du 10 mai pour rendre hommage aux victimes de l’esclavage, reconnu comme un crime contre l’humanité. Son hommage aux combattants musulmans morts pour la France, comme ses déclarations sur le rôle du régime de Vichy et du maréchal Pétain, à l’occasion de l’anniversaire de la bataille de Verdun, ne sont donc pas arrivés par hasard.
Bien souvent accusé de n’avoir à son actif qu’un maigre bilan fait de promesses oubliées et de renoncements en matière de politique économique et sociale, Jacques Chirac pourra au moins se targuer d’avoir brisé certains tabous et tenté de regarder l’histoire nationale en face. Et on ne pourra pas lui reprocher de s’être positionné de manière opportuniste et tardive sur ce créneau. Dès juillet 1995, soit quelques semaines après son élection, il a annoncé la couleur en déclarant qu’avec la rafle du Vélodrome d’Hiver (16, 17 juillet 1942), la France «accomplissait l’irréparable». Cet événement tragique, au cours duquel la police française a aidé à regrouper plus de 12 000 juifs de la région parisienne qui ont été déportés vers les camps de concentration, fait partie des pages honteuses de l’histoire contemporaine française. Jusqu’à Jacques Chirac, il n’avait pas été condamné publiquement par un chef de l’Etat.
Pas de fleurs pour Pétain
Des déclarations sur le Vel d’Hiv à celles de Verdun, il y aura eu un peu plus de dix ans mais une seule ligne directrice pour le président de la République : «accepter l’histoire» avec «ses zones remarquables et ses zones d’ombre» pour favoriser «la cohésion nationale». Cela s’est traduit par quelques ruptures symboliques. Jacques Chirac a ainsi été le premier chef de l’Etat à refuser de fleurir la tombe du maréchal Pétain, à l’île d’Yeu. La tradition, respectée jusqu’à lui, que ce soit par Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand, voulait qu’une gerbe soit déposée tous les dix ans sur le lieu de sépulture du vainqueur de Verdun. Jacques Chirac y a mis un terme.
Lors de son discours du 25 juin 2006, à l’ossuaire de Douaumont, le président de la République a franchi un nouveau cap. Il a condamné la dérive d’un héros de la Première Guerre mondiale, devenu complice des nazis lors de la seconde : «Un homme a su prendre les décisions qui conduiront à la victoire. Il restera comme le vainqueur de Verdun. Cet homme, c’est Philippe Pétain. Hélas, en juin 1940, le même homme, parvenu à l’hiver de sa vie, couvrira de sa gloire le choix funeste de l’armistice et le déshonneur de la collaboration». Ces paroles ont été appréciées par Serge Klarsfeld. Le président de l’association des Fils et Filles de déportés juifs de France a salué la «cohérence» du chef de l’Etat, qui a «rompu avec ses prédécesseurs» et a eu «le courage de dire la vérité et d’en tirer les conséquences».
Réconcilier le passé et le présent
Pour assumer le passé, Jacques Chirac a aussi choisi de saluer la mémoire de tous ceux qui ont payé de leur vie leur engagement pour la défense de la nation agressée. A l’ossuaire de Douaumont, où reposent les soldats morts au front entre 1914 et 1918, une stèle rendait hommage aux israélites, une chapelle marquait la présence des catholiques. Il manquait donc un monument pour les musulmans. Désormais à côté du carré musulman, où sont regroupés les tombes de 592 soldats (orientées vers la Mecque), a été édifié un mémorial, déambulatoire de 25 mètres en pierre blanche, de style islamique, avec une koubba (coupole).
Ce monument, qui rend hommage aux combattants musulmans, envoie un double message. Il vise d’abord à manifester publiquement la reconnaissance de leur contribution à l’effort de guerre. Jacques Chirac a ainsi déclaré : «Enfants de France tombés à Verdun, hommes de toutes conditions et de toutes convictions, mais Français d’abord dans l’épreuve, je m’incline devant vous au nom de la Nation». Mais ce mémorial est aussi destiné à prouver à leurs descendants, pour certains en quête d’identité, que la France n’a pas oublié le rôle de leurs aînés. Donc à réaffirmer qu’ils font partie intégrante de la nation. C’est d’ailleurs avant tout comme un effort pour réconcilier l’ensemble des composantes actuelles de la communauté nationale que Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), a interprété la décision de construire ce monument. Pour lui, il s’agit d’«une réponse officielle, et (il l’espère) d’avenir, pour une plus grande intégration de l’ensemble de la communauté musulmane de France».
par Valérie Gas
Article publié le 26/06/2006Dernière mise à jour le 26/06/2006 à TU