Afghanistan
Ahmad Shah Massoud, «héros national afghan»
(Photo: Anne Le Troquer/RFI)
A l’image de son pays, le tombeau de Massoud au cœur de son fief de la vallée du Panshir, est en construction. Mais même s’il n’y a que des échafaudages à observer, un homme costaud, le pakol vissé sur le crâne (couvre-chef de laine favori du célèbre moudjahidine) s’effondre: «Je suis venu des Etats-unis pour donner mon respect à notre martyr, sanglote Zacharia qui n’a jamais combattu à ses côtés, il a fui l’Afghanistan à l’arrivée des talibans en 1996. Un de mes rêves aurait été de le rencontrer. Il voulait que ce pays vive en paix, uni, il ne voulait pas que n'importe qui utilise notre pays au nom du fanatisme… Il a sacrifié sa vie pour tous les Afghans et pour l'humanité.»
Cette paisible vallée, à trois heures de route au nord de Kaboul, est devenu un lieu de pèlerinage pour les anciens moudjahiddines et les exilés qui ont les moyens de s’offrir le voyage. Ils viennent voir à quoi ressemble cette passe étroite qui marque l’entrée de la vallée que ni les Soviétiques ni les talibans n’ont réussi à franchir, se faire prendre en photo devant une des nombreuses carcasses rouillées de chars ou apprécier le calme et la sérénité de ces petits villages de terre accrochés au flanc des montagnes baignées par les eaux claires de la rivière Panshir.
«Je suis heureux et fier que le Panshir et d’autres provinces soient en train d’être reconstruits, raconte Nazim Akrami qui a combattu pendant 10 ans aux côtés de Massoud. Aujourd’hui j’ai pu quitter ma vallée, aller vivre ailleurs. Je ne veux plus me battre, mais travailler pour un meilleur avenir.» Ce trentenaire est logisticien pour une ONG franco-afghane qui s’occupe de plusieurs écoles de filles et de centres de santé dans les provinces autour de Kaboul. La fondatrice d’Afghanistan libre a rencontré plusieurs fois Massoud alors que ce dernier luttait seul contre les talibans dans sa vallée entre 1999 et 2001. «J’ai été très impressionnée, se souvient Chekeba Hashemi, car je pensais que c’était un commandant et qu’il n’allait me parler que de la guerre, mais pas du tout, il me parlait dispensaires pour femmes, de projets d’écoles.»… Des idées qu’elle met en œuvre comme d’autres associations françaises, allemandes, italiennes. La vallée en profite et dispose déjà de nombreuses infrastructures.
«Personne pour le remplacer vraiment»
Mais il n’y a pas que dans son fief que le «Lion du Panshir» a laissé sa griffe. À Kaboul, son image est partout : bâtiments publics, échoppes, voitures. «C’est parce que je suis Panshiri et que je l’aime du fond du cœur», explique Mohammad Daoud, un chauffeur de taxi, coincé dans les éternels bouchons de la capitale. Deux photos de Massoud défraîchies ornent son pare-brise. Il n’osera pas l’avouer, mais ces images sont aussi un laisser-passer. La police n’arrête pas une voiture sur laquelle il y a le héros national, d’autant plus que beaucoup d’anciens soldats de l’Alliance du Nord sont maintenant dans les forces de sécurité.
Ces derniers ne sont pas forcément appréciés par toute la population, mais personne n’ose le dire. Akbar, un employé de bureau, dénonce, dans une cour à l’abri de la foule, des hommes qui se comportent comme tous les autres anciens combattants, qui ne veulent pas rendre leurs armes et abusent de leur pouvoir. «Peut-être, mais au niveau politique, le Jamiat, parti de Massoud, a une forte assise populaire, explique Neik Kabouli, journaliste et analyste. Et Younes Qanooni, son bras droit, a été élu à la tête du Parlement.» En revanche, les autres héritiers, membre du gouvernement intérimaire, ont petit à petit été écartés. «Nous n’avons pas su nous organiser, il n’y avait personne pour le remplacer vraiment, avoue Ahmad Walid Massoud, un de ses frères, président de la fondation qui porte son nom. Plein de gens se sont proclamés proches de lui, on a choisi de suivre Karzaï, mais finalement étant donné la dégradation de la situation, c’est sans doute bien de ne plus être trop proche de lui.»
Ceci étant, en ce jour de commémoration de son assassinat, l’unité est de mise, les héritiers de Massoud devraient s’afficher au côté d’Hamid Karzaï au stade de Kaboul lors de la cérémonie en l’honneur du «héros national afghan», titre officiel octroyé par le président.
par Anne Le Troquer
Article publié le 09/09/2006 Dernière mise à jour le 09/09/2006 à 11:00 TU