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Retraites : à quand la fin des régimes spéciaux ?

En 1995, la tentative de réforme des retraites menée par Alain Juppé s’était heurtée à la forte mobilisation des syndicats. 

		(Photo : AFP)
En 1995, la tentative de réforme des retraites menée par Alain Juppé s’était heurtée à la forte mobilisation des syndicats.
(Photo : AFP)
Les déclarations de François Fillon, le conseiller politique de Nicolas Sarkozy, sur la nécessité de réformer, dès 2007, les régimes spéciaux de retraites, dont bénéficient certains salariés du secteur public (EDF-GDF, RATP, SNCF, La Poste, Banque de France, Comédie française, Chambre de commerce et d’industrie de Paris…), ont lancé le débat sur ce dossier sensible. L’alignement sur le régime général a déjà été évoqué mais n’a jamais pu être mis en place à cause de l’opposition farouche des salariés des entreprises concernées et des syndicats. A quelques mois de la présidentielle, mettre sur la table cette question est un coup de poker politique, risqué mais qui peut porter ses fruits. Car beaucoup de Français salariés dans le privé ont un sentiment d’injustice face aux privilèges de ceux qui travaillent dans ces secteurs protégés. Nicolas Sarkozy a confirmé qu'il allait le tenter en déclarant qu'il ferait la réforme s'il était élu.

Sur le principe, tout le monde ou presque (le Parti communiste et la Ligue communiste révolutionnaire ne veulent pas en entendre parler) est d’accord : la réforme des régimes spéciaux est inévitable. Leur financement est trop lourd. La Cour des comptes vient de le confirmer dans son dernier rapport sur la sécurité sociale. Mais en plus, ce système particulier donne aux salariés qui en bénéficient des «avantages importants» par rapport à ceux qui sont affiliés au régime général, dont les conditions d’accès à la retraite ont été modifiées depuis 2003. Ce qui constitue pour ces derniers une forme d’injustice de plus en plus difficilement acceptable.

Lorsqu’ils ont été mis en place, il y a plus d’un siècle, ces droits spécifiques visaient à compenser la pénibilité des taches, les risques encourus ou le dévouement de ceux qui acceptaient de travailler dans des domaines vitaux pour l’Etat. Ces avantages ont perduré malgré l’amélioration générale des conditions de travail dans les principaux secteurs concernés : transports publics (SNCF, RATP) ou industries électrique et gazière (EDF-GDF), par exemple. Ils permettent notamment aux salariés de partir plus tôt à la retraite (de 50 à 55 ans à la SNCF et la RATP) ou de cotiser moins longtemps pour toucher une retraite pleine (37,5 ans au lieu de 40 ans dans le privé et la fonction publique). Pour certaines catégories de personnel, c’est même moins : 25 ans pour les conducteurs SNCF.

Juppé s’y est cassé les dents

Ces régimes, qui concernent aujourd’hui environ 500 000 actifs, parmi lesquels 178 000 travaillent à la SNCF, 150 000 à EDF et GDF, 43 500 à la RATP, 320 000 à La Poste, ont jusqu’ici résisté à toutes les tentatives de réforme. La dernière en date, menée en 1995 par Alain Juppé, a représenté un échec cuisant pour la droite. Le plan proposé par le Premier ministre, notamment pour allonger la durée des cotisations, a déclenché un mouvement social de très grande ampleur. Le pays a été paralysé pendant trois semaines par les grèves des cheminots et des agents de la RATP et a dû faire face à des manifestations monstres. Au bout du compte, le gouvernement a retiré le projet.

Dans ce contexte et à huit mois à peine de l’élection présidentielle, les déclarations de François Fillon au Parisien, publiées le 12 septembre, dans lesquelles il affirme que la question des régimes spéciaux doit être mise à l’ordre du jour dès la nouvelle législature de 2007, donc sans attendre le bilan de la réforme des retraites de 2003 prévu en 2008, ont immédiatement relancé la polémique entre la droite et la gauche, mais aussi au sein de la droite. D’autant que venant d’un proche conseiller de Nicolas Sarkozy, candidat probable de l’UMP, on peut difficilement imaginer qu’elles ont été faites sans arrière-pensées électorales. Le président de l’UMP a d’ailleurs rapidement confirmé qu'il entendait s'attaquer au problème s'il était élu en 2007 : «Nous ferons la réforme parce que la réforme doit être faite». Et il a salué l'initiative de François Fillon en déclarant : «Le courage en politique, c'est de dire aux Français la vérité». 

François Hollande, le Premier secrétaire du Parti socialiste, a tout de suite réagi en s’efforçant de se montrer rassurant pour les salariés concernés, tout en ne remettant pas en cause la nécessité de s’attaquer au problème : «Bien sûr qu’il faudra réformer ces régimes [mais] ça se fera dans un cadre concerté, au moment où le rendez-vous a été fixé, en 2008, [et] en fonction des acquis de ces secteurs-là». A droite non plus, tout le monde n’a pas apprécié les déclarations de François Fillon. Le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, n’y est pas allé par quatre chemins : «Ces propos sont inutiles, inopportuns et maladroits». L’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, plus mesuré, a tout de même lui aussi incité à la prudence sur un terrain aussi glissant que celui-ci : «La question posée par François Fillon est fondée. Mais je crois que l’annonce est quelque peu prématurée. Je demande qu’on respecte la clause préalable du dialogue sociale».

Le gouvernement prend ses distances

Au gouvernement aussi, on a senti le danger d’une déclaration qui est intervenue alors même que le projet de fusion entre Suez et GDF est en cours d’examen à l’Assemblée nationale et qu’il provoque de nombreuses critiques sur le thème de l’abandon d’une entreprise de service public. Jean-François Copé, le porte-parole, a donc essayé de couper court à ce nouveau débat social en déclarant que l’alignement des régimes spéciaux de retraites sur le régime général «n’est en aucun cas un projet du gouvernement». Ce que Dominique de Villepin a confirmé ensuite, avant d’appeler à ne pas «monter certains Français contre d’autres».

Reste que les syndicats ne s’y sont pas trompés et ont compris que les régimes spéciaux feraient partie des thèmes de la campagne électorale. Le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Didier Le Reste, syndicat majoritaire à la SNCF, a d’ailleurs affirmé qu’il allait demander à tous les candidats de «prendre position, avec des engagements par écrit, sur ce qu’ils feront de notre retraite».



par Valérie  Gas

Article publié le 14/09/2006 Dernière mise à jour le 14/09/2006 à 17:14 TU