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Kosovo

Les Albanais refusent la décentralisation

Les délégations serbes et albanaises aux négociations sur le statut du Kosovo qui ont débuté en février à Vienne. 

		(Photo : AFP)
Les délégations serbes et albanaises aux négociations sur le statut du Kosovo qui ont débuté en février à Vienne.
(Photo : AFP)
La région de Gnjilane, dans l’est du Kosovo, passait jusqu’à présent pour un modèle de cohabitation entre Albanais et Serbes. Les projets de décentralisation, qui prévoient la création de nouvelles communes serbes, ont mis le feu aux poudres.

De notre correspondant dans les Balkans

Les derniers Serbes ont fui la grande ville de Gnjilane après les émeutes de mars 2004, mais dans les campagnes, villages serbes et albanais continuent de se jouxter. Avant la guerre, sur le vaste territoire de la commune, on comptait 35 000 Serbes sur un total de quelque 150 000 habitants. Aujourd’hui, les Serbes ne sont plus que 15 000, confinés dans une série de gros villages qui entourent le chef-lieu.

La décentralisation, dont les délégations de Belgrade et de Pristina discutent depuis des semaines à Vienne, doit théoriquement permettre aux Serbes et autres minorités de demeurer dans un Kosovo dont le statut doit rapidement évoluer. Il s’agit de créer de nouvelles communes dans les zones où les Serbes sont majoritaires, qui disposeraient d’une autonomie relativement avancée, sans former pour autant une “ République serbe ”, comme celle de Bosnie-Herzégovine.

Shkurtë Aliu et Vedat Xhymshiti sont les deux animateurs de la section de Gnjilane du mouvement Autodétermination, qui dénonce le principe même de négociations avec Belgrade sur l’avenir du Kosovo. «Avec l’autonomie, les nouvelles communes auront des compétences en matière d’éducation. Cela veut dire que les écoles continueront à suivre les programmes de Belgrade, et que les enfants albanais qui vivront dans ces communes majoritairement serbes recevront des cours glorifiant les criminels de guerre serbes», s’indigne Shkurtë, une jeune femme d’une trentaine d’années. «La police sera serbe», poursuit Vedat. «Et ces communes encercleront la ville de Gnjilane : pourrons-nous circuler librement ?»

«Le mécontentement social grandit»

Depuis leur petit bureau installé à trois pas du lycée de la ville, les militants d’Autodétermination organisent la mobilisation. Le 9 octobre, ils ont appelé à une manifestation, qui a réuni plusieurs milliers de personnes. Le maire de la ville et tous les partis politiques albanais s’étaient joints à la manifestation, alors que les représentants de ces mêmes partis poursuivent les négociations à Vienne. «La population albanaise vit de plus en plus mal. Le mécontentement social grandit. Rajouter la perspective d’une décentralisation mal conçue, c’est souffler sur les braises», avertit Enver Kqiku, le responsable d’une association locale qui affirme militer pour l’amélioration des relations intercommunautaires. Ces derniers jours, trois explosions ont soufflé les voitures de responsables politiques albanais importants originaires de la ville.

Neuf villages situés au nord de Gnjilane pourraient être rattachés à la commune déjà existante et majoritairement serbe de Novo Brdo. «Cela représente près de 200 kilomètres carrés, avec des pâturages et des forêts qui appartiennent parfois à des citoyens de Gnjilane», poursuit Enver Kqiku. «Nous ne sommes pas au courant du détail des tractations de Vienne, les responsables locaux ne sont pas informés, mais comment une commune pourrait-elle accepter que l’on dépèce ainsi son territoire ?»

Les militants du mouvement Autodétermination ont apposé une grande carte des éventuelles nouvelles communes serbes sur la façade du théâtre de Gnjilane : la ville apparaît entièrement entourée de taches rouges. En plus des neuf villages qui seraient attribués à Novo Brdo, une commune serait formée autour du village de Partes, au sud de la ville, et deux autres communes serbes pourraient également être créées autour du village de Ranilug, sur le territoire de la commune voisine de Kamenica, et de celui de Klokot, sur la commune de Vitina. Ces projets encore incertains excluraient a priori le gros village serbe de Silovo qui, avec ses 1 500 habitants, touche la commune de Gnjilane : le cadastre attribue en effet à ce village les terrains où commence à s’édifier la zone industrielle de la ville. Pas question que le premier hypermarché de la ville, encore en construction, se trouve en territoire serbe !

Les «marchandages» de Vienne

Même si toute hypothèse de «cantons» ethniques est écartée, les Albanais de Gnjilane sont convaincus que les nouvelles communes échapperont à l’autorité du gouvernement du Kosovo et formeront des enclaves dépendant de Belgrade. Certains imaginent même que les axes de circulation pourraient être coupés.Selon les militants d’Autodétermination, la question du statut des Serbes ne doit être évoquée qu’après l’indépendance du Kosovo. Ils ne voient pas la nécessité d’envisager le moindre compromis : «les Albanais sont majoritaires au Kosovo, c’est à eux de décider de leur destin», assure Shkurtë Aliu. La communauté internationale estime pourtant que la décentralisation est la seule garantie qui puisse permettre aux Serbes de ne pas fuir massivement le Kosovo dans cette hypothèse.

Dragan Petkovic, l’un des trois élus serbes au conseil municipal de Gnjilane, militant du Parti démocratique (DS) et partisan résolu de la coopération avec la communauté internationale et les institutions du Kosovo, est plus sceptique. Lui non plus n’est pas au courant du détail des «marchandages» de Vienne, mais il rappelle que les Serbes vivent toujours dans des ghettos sans avenir. «Les Albanais nous reprochent de vouloir appuyer le territoire des nouvelles communes sur la frontière avec la Serbie, et de chercher, autant que possible, à créer des liens entre ces communes. Mais autrement, elles n’auront aucunement viabilité», déplore-t-il. De toute façon, selon Dragan Petkovic, si le Kosovo devient indépendant, ce n’est pas une décentralisation au contenu flou qui rassurera sa communauté.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 24/09/2006 Dernière mise à jour le 24/09/2006 à 16:33 TU