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France

Le génocide arménien devant l'Assemblée

Dimanche dans le centre d'Istanbul, des militants d'un petit parti de gauche turc ont manifesté contre le projet de loi français, brandissant des banderoles et clamant «<em>France stop! Le boycott arrive</em>» et «<em>Le génocide est un mensonge</em>». 

		(Photo : AFP)
Dimanche dans le centre d'Istanbul, des militants d'un petit parti de gauche turc ont manifesté contre le projet de loi français, brandissant des banderoles et clamant «France stop! Le boycott arrive» et «Le génocide est un mensonge».
(Photo : AFP)
Les députés examineront jeudi à l’Assemblée nationale (chambre basse du Parlement français) une proposition de loi socialiste qui prévoit de punir d’une année de prison et d’une amende de 45 000 euros toute personne niant que les Arméniens ont été victimes d’un génocide, en 1915, sous l’empire ottoman. En France, le texte divise et embarrasse tous les groupes politiques. A Ankara, il suscite la colère : la Turquie refuse toujours de parler de génocide et réagit très vivement en menaçant la France de représailles économiques si le Parlement décidait de pénaliser sa négation.

Une loi française adoptée le 29 janvier qualifie de «génocide» les massacres d’Arméniens entre 1915 et 1923 à la fin de l’empire ottoman. Une proposition de loi socialiste vise à compléter cette loi en pénalisant la négation du «génocide» d’une année de prison et d’une amende de 45 000 euros. Si la Turquie reconnaît l’existence de massacres, elle affirme qu’ils ont eu lieu des deux côtés, conteste les chiffres et récuse le terme de «génocide». Opposée au projet de loi français, Ankara a demandé lundi 9 octobre à l’Union européenne (UE) de se prononcer contre cette proposition qui «limite la liberté d’expression», selon les déclarations du porte-parole du gouvernement, Cemil Cicek, également ministre de la Justice. Des manifestations de protestation ont été organisées en Turquie. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, déplore une «éclipse de raison» en France, tandis que son gouvernement brandit la menace de représailles économiques.

«Que ferez-vous lorsqu’un Premier ministre de Turquie se rendra en France et dira qu’il n’y a pas eu de génocide arménien ? Vous le mettrez en prison ?», interrogeait mardi le Premier ministre turc, déterminé à combattre «une machine mensongère systématique». Le même jour, la police anti-émeutes était déployée aux abords du consulat de France à Istanbul tandis que des manifestations étaient organisées derrière le slogan : «France, stop, le boycott arrive». Les dirigeants turcs ont de fait prévenu la France qu’une crise pouvait survenir dans les relations bilatérales et qu’Ankara pourrait prendre des mesures de rétorsion si le texte était adopté. 

L’examen du texte au parlement français avait commencé le 18 mai dernier, mais la discussion avait été interrompue faute de temps, députés de la majorité gouvernementale (UMP, droite) et gouvernement ayant usé d’artifices de procédure pour retarder les débats. Ceci étant, à gauche comme à droite, les partis étaient et restent divisés au sein de chaque camp sur le texte, ce qui alimente le suspense quant au résultat final. Les différents groupes politiques ont décidé de laisser leurs élus respectifs se déterminer librement sur ce texte déposé par l’opposition socialiste nettement minoritaire dans l’hémicycle avec 141 députés sur 577.

«Tout pays se grandit en reconnaissant ses erreurs»

A droite, une soixantaine de députés UMP sont ouvertement favorables au texte. Ainsi, Patrick Devedjian, d’origine arménienne, estime que ce texte est «une loi de paix civile» qui pourrait empêcher l’organisation, par la Turquie, de «manifestations négationnistes parfois violentes sur le territoire français». Bernard Accoyer, chef de file des députés UMP, a annoncé cependant qu’«une grande partie» des troupes «ne participera pas au vote», ce qui pourrait aller dans le sens d’une possible adoption en l’absence de consignes de vote. Bernard Accoyer se rallie par ailleurs aux préoccupations des historiens qui considèrent que «la loi n’est pas l’outil adopté pour écrire l’Histoire».  D'après le Monde, l'UMP soutiendra donc un amendement dont Patrick Devedjian est l'auteur, qui indique que «ces dispositions ne s'appliquent pas aux recherches scolaires, universitaires ou scientifiques». Cet amendement permet ainsi d'«atténuer la portée» des sanctions, déclare Bernard Accoyer.

Quant au quai d’Orsay, il prend ses distances avec la proposition qui fâche les Turcs et qui fait peser la menace de rétorsions économiques : le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi, a estimé devant la presse que le «texte n’était pas nécessaire» et qu’il «n’engageait pas le gouvernement». Lors de sa visite en Arménie, Jacques Chirac s’est livré à un exercice de funambule, soucieux à la fois de tempérer la colère d’Ankara et de ménager les intérêts économiques des entreprises françaises basées en Turquie, d’une part, et de ne pas décevoir l’attente des Arméniens, d’autre part. La diaspora arménienne française représente quelque 500 000 personnes soit un électorat non négligeable à quelques mois de la présidentielle du printemps 2007 en France. Le chef de l’Etat a jugé la proposition socialiste «inutile» car «relevant de la polémique» tout en exhortant Ankara à assumer ce volet de son histoire. «Faut-il que la Turquie reconnaisse le génocide arménien pour entrer dans l’Union ? Honnêtement, je le crois… Tout pays se grandit en reconnaissant (…) ses erreurs», a déclaré Jacques Chirac.

Dans le cas où le texte serait voté jeudi, il n’entrera pas pour autant aussitôt en vigueur. Il devra encore être adopté par le Sénat (chambre haute du Parlement) avant une deuxième lecture et ce à condition qu’il soit inscrit à l’ordre du jour -ce que les partis politiques pourraient décider de ne pas faire afin de ne pas envenimer les relations avec la Turquie.



par Dominique  Raizon

Article publié le 11/10/2006 Dernière mise à jour le 11/10/2006 à 16:39 TU