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Chronique Médias

La crise du journal «Libération» prend une tournure politique

Cette semaine, c’était le branle-bas de combat dans les rangs du parti socialiste. Pas pour prendre position en faveur de l’un des candidats à l’investiture du parti, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius, mais pour se porter au secours d’un symbole de la gauche française : le journal Libération, qui traverse depuis maintenant plus de six mois une grave crise financière. «La disparition de Libération serait un jour noir pour le mouvement des idées dans notre pays», a déclaré Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Ce dernier a interpellé publiquement Dominique de Villepin, pour qu’il «se saisisse de l’avenir de Libération». Le Premier ministre n’a pas été en reste, puisqu’il a reçu des représentants du personnel, tout en se disant «très attaché à la diversité dans la presse».

Le journal Le Monde s’interroge : le sort de Libération va-t-il devenir un enjeu de la prochaine campagne électorale ? Certains en tout cas, comme Arnaud Montebourg, le porte-parole de Ségolène Royal, n’hésitent pas à voir de la mauvaise volonté politique dans le blocage de la situation du journal. Montebourg s’est en effet déclaré en faveur du plan de relance proposé par Edwy Plenel, l’ancien directeur de la rédaction du Monde, et par la SCPL, la Société civile des personnels de Libération. La proposition de Plenel table sur 10 millions d’économies en 2007 grâce à une relance des ventes et une cinquantaine de départs volontaires. Elle a été retoquée fin octobre par Edouard de Rothschild, actionnaire principal de Libération, qui trouvait le projet «pas réaliste». «Comme par hasard, - s’étonne Arnaud  Montebourg dans Le Monde, - un projet qui cherche à sauver le journal en affichant une ligne éditoriale de gauche, ouvertement anti-Sarkozy, en garantissant l’indépendance rédactionnelle, ne trouve pas d’argent».

Sans être aussi offensive vis-à-vis de l’opposition, la secrétaire générale chargée de la culture et des médias au PS, Anne Hidalgo, profite de l’actualité portant sur Libération pour souligner un projet des socialistes : une refonte des aides à la presse qui iraient en priorité aux journaux indépendants.

L’équipe de Libération n’est arrivée à aucun accord avec son actionnaire principal

Le projet d’Edwy Plenel, on l’a dit, a été refusé par Edouard de Rothschild, malgré le savoir-faire du journaliste. Et c’est maintenant au tour du comité d’entreprise de Libération de s’opposer au plan de son actionnaire. Le financier a confié un audit à François Le Hodey, administrateur délégué de la Libre Belgique et actionnaire à 1 %  de Libération. Le rapport préconise, avant toute chose, une réduction de plus de 100 salariés sur une équipe qui compte 280 personnes. Une telle masse de licenciements n’est pas tenable, selon le comité d’entreprise, qui estime, je cite, qu’«une telle casse sociale ne peut signifier que la mort de Libération».

On a l’impression que les antagonismes entre ceux qui détiennent le capital social, la Société Civile des Personnels de Libération et ceux qui détiennent le capital financier, au premier rang desquels Edouard de Rothschild, sont tellement forts qu’on ne voit pas bien comment le conflit va se résoudre. Aujourd’hui, l’équipe du quotidien est au pied du mur. Soit elle va devoir accepter de négocier avec Rothschild, soit c’est le redressement judiciaire qui se profile. Et un redressement judiciaire, suivi d’un dépôt de bilan, on sait ce que ça veut dire dans la presse. Tout le monde a encore en tête l’interminable descente aux enfers d’un autre fleuron de la presse quotidienne française, ballotté de repreneur en repreneur et aujourd’hui totalement exsangue : le mythique France Soir.

par Delphine   Le Goff

[11/11/2006]

Chronique réalisée en partenariat avec l’hebdomadaire Stratégies