Environnement
Les grands fleuves malades de l’homme
(Photo: AFP)
«Tous les fleuves, dans le rapport, symbolisent la crise de l’eau douce signalée depuis des années, mais l’avertissement tombe dans l’oreille d’un sourd», déplore le Fond mondial pour la nature ( WWF). Pourtant, l’état des lieux n’est pas réjouissant. L’organisation internationale de protection de l’environnement signale, dans un rapport d’expertise, que seul un tiers environ des 177 grands fleuves du monde peuvent encore couler librement vers la mer sans être entravés par des constructions humaines du type de barrages, par exemple. Et, sur la soixantaine qui reste, seuls vingt-et-un d’entre eux coulent librement, depuis leur source jusqu’à leur embouchure. Les quarante-trois autres fleuves non aménagés sont, en fait, des affluents de grands fleuves comme le Congo, l’Amazone ou la Léna.
La construction de barrages, par exemple, menace les espèces sauvages. Ainsi, les populations de dauphins du Gange et de l’Indus sont passées de 5 000 individus dans les années 1980 à 1 500, actuellement. Ces installations perturbent aussi la reproduction et l’équilibre des réserves halieutiques, alors qu’elles constituent la principale source de protéines pour des centaines de milliers de personnes dans le monde. En quelque sorte l’homme agit pour son propre malheur : «Souvent les fleuves n’atteignent plus la mer comme l’Indus au Pakistan, le Nil en Afrique, le Salouen et le Gange en Asie. (…). Les moyens d’existence de millions de personnes sont menacés», a déclaré Jamie Pittock, directeur du programme d’eau douce du WWF.
A titre d’exemple, le Gange, qui prend sa source à quelque 6 600 mètres d’altitude dans l’Himalaya et qui est formé de la réunion de plusieurs torrents, alimentés par les neiges et les glaciers, est victime du réchauffement climatique, sur lequel l’activité humaine a une incidence notoire, et souffre de la pollution également liée à l’activité humaine. Chaque jour, outre une moyenne de quatre cents cadavres humains, ce sont mille cinq cents tonnes de bois et presque le même poids de carcasses animales qui sont déversées dans le fleuve et viennent y pourrir. A ces décompositions s’ajoutent les déchets urbains et industriels qui, à eux seuls, sont responsables de 75% de la destruction de l’écosystème du Gange.
La Péchora, fleuve libre qui se jette dans une mer contaminée
Des barrages ont coupé les fleuves de leurs plaines alluviales. Ainsi, sur le Mississipi. Et Philippe Weiler, responsable du programme d’eau douce du WWF-Belgique, de souligner que le cyclone Katrina nous a douloureusement rappelé les risques auxquels on s’exposait en altérant ainsi le cours d’un fleuve : «les barrages construits en amont du Mississipi ont empêché celui-ci de déposer en aval les sédiments nécessaires pour fixer les zones humides côtières, ce qui a été un des facteurs les plus importants ayant provoqué une telle dévastation, qui a coûté tant de vies humaines».
Le Gange, pour poursuivre l’exemple, ne peut plus continuer de s’asphyxier en recevant des eaux usées, que ce soit celles des eaux polluées par les phosphates de lessives ou celles souillées par des excréments –sachant qu’un gramme d’excrément humain dans de l’eau non traitée peut contenir jusqu’à mille parasites, un million de bactéries et dix millions de virus. L’homme met en péril son approvisionnement vital en eau potable et en eaux destinées tant aux besoins sanitaires qu’à l’agriculture. Le WWF exhorte donc les gouvernements à conclure au plus vite des accords internationaux afin que l’activité humaine cesse de «perturber un processus naturel sans en avoir bien compris les conséquences [pour l’environnement et pour sa propre survie], et avant qu’il ne soit trop tard».
Le seul grand fleuve européen qui peut encore couler librement depuis les sources jusqu’à l’embouchure, est la Péchora : il se jette dans la mer de Barents, située au nord de la Norvège et de la Russie occidentale. A noter cependant que la mer dans laquelle se jette ce fleuve est elle-même contaminée par des déchets nucléaires provenant des réacteurs nucléaires de la marine russe, un problème écologique extrêmement préoccupant.par Dominique Raizon
Article publié le 24/03/2007 Dernière mise à jour le 24/03/2007 à 15:23 TU