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Prix Nobel

Shirine Ebadi : «<i>La démocratie est notre devoir national et patriotique</i>»

L’avocate iranienne Shirine Ebadi a reçu mercredi son prix Nobel de la paix. Cette récompense obtenue pour son combat en faveur des droits de l’homme, des femmes et des enfants ne change rien à son engagement et à la manière dont elle tient à l’exprimer. Shirine Ebadi ne veut pas devenir une «héroïne», ni entrer en politique. Sa seule ambition est de continuer sa lutte en faveur de la liberté «parmi» les Iraniens. D’ailleurs elle a décidé d’offrir le chèque de 1,1 million d’euros qui accompagne le Nobel aux associations humanitaires auxquelles elle participe, notamment pour pouvoir prendre en charge la défense des prisonniers politiques.
«Il y a des couleurs très différentes dans le monde et, ensemble, elles forment un très bel arc-en-ciel. Il n’y a pas besoin d’une seule couleur». Envers et contre tous Shirine Ebadi veut défendre la tolérance et la liberté. Sa liberté à elle, c’est d’être venue à Oslo pour recevoir le prix Nobel de la paix qui lui a été attribué en octobre, la tête nue. Car si elle met un voile en Iran, c’est, comme elle aime à le rappeler, pour respecter la loi de son pays qui oblige depuis 1979 les femmes à porter le «hidjab» [foulard islamique]. «A l’étranger, je ne suis pas soumise à cette loi».

Pour cette femme qui défend depuis de nombreuses années les droits des Iraniennes et autour de la laquelle la pression s’est accentuée depuis l’annonce du choix du comité Nobel, il s’agit d’une initiative particulièrement symbolique. Les conservateurs de son pays avaient déjà critiqué très vivement Shirine Ebadi parce qu’elle avait répondu sans foulard, à Paris, à des interviews télévisées après l’annonce de l’attribution du prix Nobel ou encore parce qu’elle avait serré la main d’un homme en public à l’université de Téhéran. Ils ont même menacé l’avocate avant qu’elle ne se rende à Oslo pour la décourager de se présenter sans voile et de provoquer ainsi de nouvelles tensions dans le pays.

Fidèle à ses convictions, Shirine Ebadi n’a pas cédé aux pressions. Mais cela ne signifie pas qu’elle veut combattre le port du foulard coûte que coûte. Ce qu’elle défend avant tout, c’est la possibilité pour les femmes de vivre leur religion comme elles l’entendent : «Les femmes devraient être libres de choisir». De ce point de vue, elle estime qu’en France, par exemple, il ne faut pas empêcher les jeunes filles qui le souhaitent de porter le voile à l’école car «c’est une entrave à leur liberté».

«La liberté et la démocratie ne s’offrent pas sur un plateau d’argent»

Car Shirine Ebadi est musulmane et refuse la mise en cause de cette religion pour expliquer les atteintes aux droits des femmes. Elle l’a répété dans le discours qu’elle a prononcé à Oslo, lors de la remise de son prix : «La condition de discrimination des femmes dans les pays musulmans, que ce soit dans le droit civil ou dans le domaine de la justice sociale, politique et culturelle, a ses racines dans la culture patriarcale et essentiellement masculine de ces pays, pas dans l’islam».

Forte de cette conviction, Shirine Ebadi entend donc expliquer à tous ceux qui l’écoutent qu’islam et démocratie ne sont pas opposés et que cette dernière ne peut être imposée de l’extérieur sous un prétexte ou un autre. «La réalisation de la démocratie est notre devoir national et patriotique». Mais c’est un combat qui doit se mener «de l’intérieur» et «sans violence». La prix Nobel de la paix croit au pouvoir des réformes parlementaires mais pas du tout à celui des armes. Du coup, son message s’adresse aussi aux Occidentaux et surtout aux Etats-Unis qui ont classé l’Iran parmi les régimes de «l’axe du mal» : «Toute forme d’attaque militaire est nulle et non avenue». Faisant référence indirectement aux interventions en Afghanistan et en Irak sous la houlette des Etats-Unis, Shirine Ebadi a déclaré : «Au cours des deux dernières années, certains Etats ont violé les principes universels et les droits de l’homme en utilisant les événements du 11 septembre et la guerre contre le terrorisme international comme prétexte».

Elle a aussi dénoncé la morale à double vitesse des Occidentaux et leur tendance à ne faire respecter que les résolutions de l’Organisation des Nations unies qui les intéressent. «Pourquoi certaines décisions et résolutions de l’ONU sont contraignantes alors que d’autres ne le sont pas ?», a demandé Shirine Ebadi en comparant celles qui concernent l’occupation des territoires palestiniens avec celles sur l’Irak.

Si elle s’est attaquée à certaines démocraties occidentales qui, «elles aussi violent les droits de l’homme», la nouvelle prix Nobel de la paix n’a pas épargné non plus le gouvernement de son pays qu’elle a appelé à aller le sens de la démocratie : «Le peuple d’Iran, en particulier ces dernières années, a démontré que la participation aux affaires publiques était un droit et qu’il souhaitait devenir maître de son destin». Shirine Ebadi estime que même s’il y a eu une détérioration de la situation des droits de l’homme ces deux dernières années en Iran et que «dans bien des domaines, les libertés sont encore limitées», des progrès ont tout de même été réalisés depuis vingt ans. Notamment grâce à la nouvelle loi sur le divorce qui accorde la garde des enfants à la mère jusqu’à sept ans et au recul de l’âge légal du mariage pour les jeunes filles de 9 à 13 ans.

Shirine Ebadi reste convaincue que c’est à chacun de participer à son niveau à la lutte pour la démocratie : «Les gens doivent se battre eux-mêmes pour leurs droits, et beaucoup de gens le font. La liberté et la démocratie ne s’offrent pas sur un plateau d’argent.» Même si certains, dans son pays et ailleurs, lui reprochent de ne pas profiter de son nouveau statut «intouchable» de prix Nobel pour s’engager pas plus avant dans le combat politique en Iran, elle veut continuer à lutter avec les armes qu’elle a choisies : la justice et la loi. En acceptant de représenter la famille de Zahra Kazemi, cette journaliste irano-canadienne morte en prison à Téhéran, en novembre 2002, des suites d’une fracture du crâne, dans la procédure engagée dans cette affaire, Shirine Ebadi entend bien d’ailleurs poursuivre ce combat en dénonçant les abus d’un système dans lequel «tout le monde s’est cru au-dessus des lois». Quels que soient les risques encourus.

A écouter :
Shirine Ebadi qui remettra son prix à des associations (10/12/2003).

Franck Weil Rabaud, journaliste à RFI revient sur la déclaration de Shirine Ebadi à Oslo, la veille de la remise du prix (Invité du journal de 8h00 de Raphaël Reynes, le 10/12/2003).

Sorour Kasmaï, romancière iranienne qui vit en France. Elle réagit au micro d'Adallah Benraad (10/12/2003).



par Valérie  Gas

Article publié le 10/12/2003