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Indonésie

Bashir arrêté dès sa sortie de prison

Le chef islamiste indonésien Abou Bakar Bashir (à gauche) au côté de son avocat. 

		(Photo : AFP)
Le chef islamiste indonésien Abou Bakar Bashir (à gauche) au côté de son avocat.
(Photo : AFP)
La police indonésienne a arrêté Abou Bakar Bashir à sa sortie de prison provoquant quelques échauffourées avec ses partisans venus le soutenir. Les policiers affirment disposer de nouveaux indices accablants pour l’émir présumé de la Jemaah Islamiyah.

De notre correspondant à Djakarta

Une centaine de militants islamistes s’étaient réunis vendredi matin devant la prison centrale de Jakarta. Certains étaient en tenue paramilitaire quand d’autres arboraient les habits traditionnelles musulman, calot et djellabah blanche, sous lesquels étaient dissimulés des bâtons et des pierres. Car les fidèles d’Abou Bakar Bashir, dont l’arrestation, dès sa sortie de prison, avait été annoncé la veille par la police, étaient venus pour en découdre avec les forces de l’ordre.

Cinq cents policiers et trois véhicules anti-émeutes avaient été mobilisés pour empêcher les manifestants d’approcher la voiture blindé devant transporter le chef présumé de la Jemaah Islamiyah au quartier général de police pour y être interrogé. Et lorsque le cortège franchit, sirène hurlante, les portes de la prison, la réaction fut presque immédiate. Aux cris d’«Allah o Akbar» (Dieu est le plus grand), les manifestants se sont rués contre les policiers qui ont répliqué à la matraque, aux canons à eau et aux gaz lacrymogènes. Les forces de sécurité ont rapidement pris le dessus mais dans les rangs islamistes, la colère sera longue à retomber. Tous promettent de nouvelles manifestations et profèrent des menaces contre un gouvernement accusé d’être à la botte des États-Unis, les plus virulents allant même jusqu’à se déclarer candidats à l’attentat suicide.

Cette nouvelle arrestation est le dernier rebondissement d’un feuilleton judiciaire qui alimente depuis plusieurs années la chronique juridico-politique indonésienne. Abou Bakar Bashir est un prédicateur musulman d’origine yéménite, militant pour l'instauration de la Charia (loi islamique). Il veut purifier l’Islam traditionnel indonésien au profit d’un Islam ultra-rigoriste inspiré par le wahhabisme, la doctrine née en Arabie saoudite au XVIIIe siècle. Il met l’accent sur la supériorité de l’islam et les menaces qui l’entourent dans un monde qu’il voit dominé par des pouvoirs occultes anti-islamiques. Il est ouvertement antichrétien, antisémite et antioccidental. Son modèle de gouvernement est l’Afghanistan taliban. C’est ce régime qu’il voudrait voir instaurer dans toute l’Asie du Sud-Est. Bashir a toujours nié toute implication dans le terrorisme, affirmant même que la Jemaah Islamiyah n'existait pas.

Lavé de tout soupçon

Le vieux prédicateur dirige pourtant une école coranique qui apparaît depuis le début des années 70 au centre d'un réseau informel de partisans islamistes. Certains se retrouvent en Malaisie à la fin des années 80 après avoir fui, comme lui, la répression de la dictature Suharto. Bashir revient d’exil après la chute du dictateur en 1998. Certains de ses étudiants rentrent avec lui alors que d’autres prennent le chemin de l’Afghanistan pour s’entraîner dans les camps d’al-Qaïda. Après les attentats du 11 septembre, la Malaisie, Singapour et les États-Unis se persuadent qu'il existe bien un réseau régional structuré en Asie du Sud-Est, lié à Oussama Ben Laden. En décembre 2001, les autorités de Singapour ont arrêté 15 personnes, dont 13 appartenant à une cellule d'un groupe qu'elles identifient comme la Jemaah Islamiyah. Les services de renseignements de la Ville–Etat accuse alors Bashir d’être le chef de l’organisation et demande son extradition au gouvernement indonésien. Celui-ci refuse estimant qu’aucune preuve solide n’existe contre lui. Il faudra attendre la double-attaque suicide contre des touristes étrangers, qui avait fait 202 morts à Bali en octobre 2002, pour que la police indonésienne se décide à l’arrêter et qu’une enquête soit ouverte contre lui. On l’accuse notamment d'avoir autorisé une vague d'attentats contre des églises le soir de Noël 2000, qui avait fait 19 morts. En revanche, il n’est pas mis en cause pour le carnage de Bali, dont les exécutants sont pourtant presque tous des anciens étudiants de son école.

Son procès débute au printemps 2003 mais se conclu, quelques mois plus tard, par un coup de théâtre. Contre toute attente, Bashir est lavé de tout soupçon de terrorisme et n’est finalement condamné qu’à quatre de prison pour une infraction à la législation sur l’immigration. «Que tous les suspects de l’attentat de Bali soient des anciens étudiants de Bashir est une chose; mais cela ne suffit pas à le rendre responsable de leur engagement dans le terrorisme» explique alors le tribunal. Cette condamnation, ramenée à 18 mois de prison en appel au début de l’année 2004, provoque la colère des voisins asiatiques de Jakarta mais également des États-Unis qui seraient à l’origine de la réouverture de son dossier judiciaire. Les services secrets américains qui détiennent plusieurs membres de la Jemaah Islamiyah, auraient en effet transmis à leurs homologues indonésiens des informations accablantes pour Bashir. «Nous disposons aussi d’éléments nouveaux en provenance de Malaisie et des Philippines» a ajouté le chef de la police indonésienne, précisant que ces informations émanaient d’islamistes repentis et qu’elles pouvaient conduire à démontrer que le vieux prédicateur était bien le chef de la Jemaah Islamiyah, et qu’à ce titre il pourrait être impliqué pour les attentats de Bali. Abou Bakar Bashir, dont la peine de prison arrivait à terme, restera donc sous les verrous au moins six mois de plus comme l’autorise la loi anti-terroriste indonésienne.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 30/04/2004 Dernière mise à jour le 30/04/2004 à 12:23 TU