Chronique Médias
Le procès de La face cachée du Monde n’aura finalement pas lieu. Ce livre de Pierre Péan et Philippe Cohen avait été lancé il y a dix huit mois par l’éditeur Fayard. Il avait provoqué une tempête médiatique pour les révélations, plus ou moins étayées, plus ou moins contestables, qui y étaient données.
Péan et Cohen accusaient Jean-Marie Colombani, Alain Minc et Edwy Plenel, le trio dirigeant du Monde, d’avoir verrouillé le pouvoir au sein du quotidien. Ils reprochaient notamment à la direction du Monde de financer son développement en mettant la main sur des tiroirs-caisses que seraient les Publications de la vie catholique ou encore Le Midi libre.
Plus grave, ils accusaient Jean-Marie Colombani, le patron du Monde, d’avoir instrumentalisé en faveur des nationalistes le gouvernement Jospin sur le dossier corse, d’avoir monnayé son influence intellectuelle auprès du journal gratuit 20 Minutes, d’avoir facturé aux NMPP une action de lobyying pour une aide à la distribution de la presse. Sans parler d’attaques plus personnelles affirmant que Jean-Marie Colombani aurait placé une partie de ses revenus en Corse pour payer moins d’impôt, ou qu’il aurait reçu pendant deux ans une rémunération pour une émission, L’heure de Vérité, qui n’était plus diffusée.
Bref, Le patron du Monde était sans doute celui qui avait de quoi être le plus déstabilisé par La Face cachée du Monde et qui était sans doute le plus fondé à demander réparation d’un préjudice subi devant le tribunal. Or, c’est exactement le contraire qui vient de se passer.Jean-Marie Colombani a accepté de tirer un trait sur le procès qui devait laver l’honneur du Monde en laissant le mot de la fin à une médiation judiciaire et à un communiqué soupesé par des avocats.
Et cette médiation judiciaire aboutit à un compromis qui satisfait les deux parties, c'est-à-dire la direction du Monde et les auteurs de La Face cachée du Monde.
Effectivement, on attendait un duel au chant du coq, et c’est un compromis très prudent qui ressort de cette affaire. La médiation a été menée à l’initiative du premier président de la Cour de Cassation Guy Canivet, qui avait déjà débloqué un contentieux en 1997 entre Le Monde et Jean-Luc Lagardère. Chacune des parties y trouve son compte.
Le groupe Le Monde d’abord, qui est confronté à une grave crise financière puisqu’il a perdu 25 millions d’euros en 2003. Pour lui, prendre le risque d’un procès prévu pendant deux mois, en septembre-octobre prochain, c’était s’exposer à des comptes-rendus d’audience tous les jours, à voir de nouveau son image écornée alors que ses ventes sont en baisse.
En outre, Le Monde négocie actuellement le départ de 130 ouvriers de son imprimerie qui a été déclarée en état de quasi faillite. Pour cela, le quotidien souhaiterait voir Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Economie, soutenir financièrement son plan social régional. Inutile de préciser qu’il lui faut pour cela un climat interne apaisé.
De leur côté, Pierre Péan et Philippe Cohen, qui ont été jusqu’à parler de comptes «à la Enron» à propos du bilan du Monde, savent très bien qu’un procès en diffamation peut être perdu sur la moindre formulation. De plus, afin de faire face à des demandes de dommages et intérêts estimés à 2,5 millions d’euros, Claude Durand, le patron de Fayard, a gelé avec l’accord des intéressés les droits d’auteurs du livre qui s’est vendu à 200 000 exemplaires.
Désormais, les auteurs vont pouvoir toucher leur dû. Mais le livre ne pourra être réimprimé et surtout… il se referme sur un secret de famille.
par Amaury de Rochegonde
[14/06/2004]
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