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Irak

Des prises d’otages multiples pour des motifs divers

Une trentaine d'otages étrangers ont été tués depuis le mois d'avril; vingt-cinq sont toujours entre les mains de leurs ravisseurs. 

		(Photo : AFP)
Une trentaine d'otages étrangers ont été tués depuis le mois d'avril; vingt-cinq sont toujours entre les mains de leurs ravisseurs.
(Photo : AFP)
La libération des deux humanitaires italiennes, enlevées au siège de leur association Un pont pour Bagdad, et la mort de deux ingénieurs américains, enlevés dans les mêmes conditions au cœur de la capitale irakienne avant d’être décapités par le groupe d’Abou Moussab al-Zarqaoui, montrent à quel point les prises d’otages en Irak obéissent à des logiques différentes selon les motivations des ravisseurs. Dans un pays en proie à une très grande insécurité -l’administration Bush a récemment admis que la situation allait probablement s’aggraver dans les prochaines semaines- les enlèvements d’Occidentaux mais aussi de ressortissants arabes majoritairement irakiens sont devenus, selon les cas, soit une stratégie pour la guérilla, soit un marché florissant pour les groupes crapuleux.

Les cibles des preneurs d’otages

Les premiers enlèvements médiatisés en Irak remontent au mois d’avril, quelques jours après la fin du siège de Falloujah, devenue depuis la ville symbole de la rébellion irakienne. Ces prises d’otages ont ciblé dans un premier temps les alliés de la coalition avec des issues différentes selon que les ravisseurs aient ou non obtenu la satisfaction de leurs revendications. Le refus de certains pays, comme l’Italie ou la Corée du Sud, de retirer leurs troupes d’Irak a ainsi coûté très tôt la vie à un expatrié italien Fabrizio Quattrochi, enlevé et tué en avril, et à un traducteur sud-coréen, Kim Sun-Il, que la forte mobilisation de ses concitoyens majoritairement hostiles à la guerre en Irak n’a pas réussi à empêcher. A l’inverse, le retrait du petit contingent philippin d’une cinquantaine de militaire ordonné par la présidente Gloria Aroyo en juillet a permis de sauver la vie du chauffeur Angelo de la Cruz. Et contre toute logique, la position ferme du Japon qui a refusé de céder aux exigences des ravisseurs de trois de ses ressortissants qui demandaient également le retrait de ses troupes a porté ses fruits puisque les prisonniers ont été libérés.

Les prises d’otages se sont ensuite étendues à toutes personnes accusées de collaboration avec les forces d’occupation. Elles ont ainsi frappé des civils étrangers travaillant pour des entreprises américaines ou pour des sociétés investissant en Irak. Ce fut le cas pour les douze otages népalais employés comme cuisiniers et agents d’entretien dans une entreprise jordanienne avant leur macabre exécution filmée par le groupe Ansar al-Sunna qui se réclame d’al-Qaïda. Le scénario a été le même pour plusieurs chauffeurs turcs travaillant pour des sociétés de travaux publics américaines ou turques ou encore pour deux Pakistanais qui, avant leur assassinat, étaient salariés d’une entreprise saoudienne. Dans la plupart de ces cas, les ravisseurs ont réclamé le départ des investisseurs étrangers d’Irak. Plusieurs entreprises, dont une égyptienne et koweïtienne, ont d’ailleurs quitté le pays pour sauver la vie de leurs employés.

Mais les étrangers ne sont pas les seuls visés par ces enlèvements même si leur cas est plus médiatisé que celui des Irakiens. L’insécurité qui règne depuis des mois en Irak –consécutive au démantèlement de l’armée et des services de sécurité de Saddam– a créé un climat propice au développement de groupes crapuleux. Des centaines d’Irakiens –hommes d’affaires, médecins ou simples commerçants ainsi que des proches (femmes ou enfants) de personnes considérées comme nanties– ont été enlevés ces dernières semaines avant d’être libérés en échange du versement d’une rançon plus ou moins importante. Un recteur d’université est ainsi toujours retenu par ses ravisseurs qui réclament depuis bientôt un mois 50 000 dollars à ses proches tandis qu’un commerçant a pu libérer son fils contre une somme beaucoup moins importante.

Une méthode en évolution

Les enlèvements d’étrangers ont dans un premier temps visé des voyageurs pris au hasard sur les routes. Cela a été le cas pour le diplomate iranien aux mains de l’Armée islamique en Irak pendant cinquante et un jours avant sa libération lundi. Fereydoun Jahani se rendait à Kerbala pour prendre ses fonctions de consul dans cette ville chiite lorsqu’il a été enlevé, ses ravisseurs réclamant la libération de quelque 500 Irakiens détenus selon eux dans les prisons iraniennes depuis la guerre qui a opposé le régime de Saddam Hussein à Téhéran. Le même scénario s’est sans doute produit lors du rapt du reporter italien Enzo Baldoni, exécuté par ses ravisseurs quelques jours après sa disparition et lors de l’enlèvement des deux journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Comme leur confrère italien, ils ont semble-t-il été enlevés sur la route qui les menait à la ville sainte de Najaf où ils se rendaient pour couvrir les affrontements entre les partisans du chef radical Moqtada al-Sadr et les soldats irakiens soutenus par l’armée américaine.

La situation a radicalement évolué avec le rapt des deux humanitaires italiennes, Simona Torretta et Simona Pari, enlevées le 7 septembre dans les bureaux de leur association en plein jour et au cœur de Bagdad, à quelques pâtés de maisons du ministère de l’Intérieur. Contrairement aux prises d’otages précédentes qui semblaient relever plus du hasard, le spectaculaire enlèvement des deux jeunes femmes et de deux de leurs collègues irakiens a paru minutieusement préparé. Les autorités de Bagdad ont d’ailleurs vu dans cet acte audacieux une «escalade dangereuse» aux graves conséquences «sur le plan sécuritaire mais aussi sur les plans politique et économique». Dix jours plus tard, deux ingénieurs américains et un de leur collègue britannique étaient enlevés à leur domicile dans des circonstances similaires par le groupe Tawhid wal Jihad du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui. Les deux Américains ont depuis été décapités et les vidéos de leur exécution diffusées sur des sites islamistes.

Ces enlèvements spectaculaires ne sont pas restés sans conséquence puisque la plupart des organisations humanitaires ont depuis quitté l’Irak. De nombreuses entreprises du Golfe, qui avaient investi dans le pays dès avril 2003, ont également cessé leurs activités.

Une nébuleuse de groupes extrémistes autonomes

Depuis le début de la vague d’enlèvements en avril, plusieurs groupes radicaux se sont manifestés sur des sites islamistes pour revendiquer ces rapts. Leur multitude, leur zone d’action, la stratégie qui les guide sont autant d’éléments qui contribuent à la difficulté de les cerner. Deux types d’idéologie distinguent toutefois les mouvements les plus extrémistes.

La doctrine défendue par des groupes comme Tawhid Wal Jihad d’Abou Moussab al-Zarqaoui ou Ansar al-Sunna, qui se réclame ouvertement d’Oussama Ben Laden, vise à porter le jihad, la guerre sainte, en Irak. Réputés pour leurs méthodes particulièrement cruelles –la plupart des prises d’otages qu’ils ont organisées se sont soldées par une fin dramatique–, ces mouvements semblent disposer de moyens considérables pour notamment médiatiser leur action. Tawhid wal Jihad, qui a la réputation d'exécuter la plupart de ses otages, a le premier assassiné devant une caméra l'Américain Nicholas Berg. Il a également revendiqué la mort de deux Turcs, de deux chauffeurs bulgares, d’un sud-Coréen, d’un Egyptien et plus récemment celle des deux ingénieurs américains enlevés au cœur de Bagdad. Il a entre les mains le sort du Britannique Kenneth Bigley, dont il a diffusé mercredi une nouvelle vidéo qui le montre enfermé dans une sorte de cage. Ansar al-Sunna a pour sa part revendiqué l'exécution des douze Népalais fin août. Ce groupe, qui se présente comme une alliance de plusieurs groupuscules islamistes, a revendiqué dans le passé plusieurs attentats, dont les attaques anti-kurdes qui ont fait le 1er février plus de cent morts à Erbil.

Tout aussi violente, l’Armée islamique en Irak –considérée comme l’un des mouvements les plus importants du pays avec une soixantaine de groupes impliqués dans des opérations contre les forces d’occupation– semble davantage obéir à une logique nationaliste. Se réclamant également d’un islam sunnite radical, ce groupe est implanté dans les régions sunnites au sud de Bagdad et à l’ouest du pays dans des villes comme Falloujah ou Ramadi. C’est l’Armée islamique en Irak qui a revendiqué l’enlèvement puis l’assassinat du reporter italien Enzo Baldoni. Les deux journalistes français seraient également entre les mains de ce mouvement. D’autres groupes drainant dans leurs rangs des fidèles de Saddam Hussein ou d’anciens membres de ses services de renseignement répondent à cette même idéologie nationaliste, qui cherche avant tout à mettre fin à la présence américaine, sans se réclamer forcément d’un islam sunnite radical.

Reste enfin la logique qui obéit à l’argent. L’Irak en proie au chaos est en effet devenu un marché florissant pour de nombreux groupes crapuleux qui ont trouvé là un nouveau moyen de s’enrichir.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 29/09/2004 Dernière mise à jour le 29/09/2004 à 16:45 TU