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Editorial sports

Hier rebelle, aujourd’hui héros

Gérard Dreyfus 

		(Photo RFI)
Gérard Dreyfus
(Photo RFI)
Franchement, il me paraissait difficile de passer sous silence cet anniversaire. Parce que ceux qui n’ont pas vécu l’événement ou vu le film When we are kings de Leon Gast et Taylor Hackford ne peuvent pas imaginer le retentissement qu’il a eu. Un championnat du monde en Afrique, entre deux Noirs, dans la catégorie des poids lourds. C’était à l’époque quelque chose d’impensable. Le patron tout-puissant du Zaïre en avait fait une sorte de slogan : un cadeau du président Mobutu au peuple zaïrois et un honneur pour l’Afrique. Une rencontre entre deux Noirs, dans un pays noir, organisée par des Noirs et attendue par le monde entier : voilà une victoire du mobutisme !

On était en pleine période de retour à l’authenticité, de zaïrisation. L’époque où les messieurs étaient des citoyens et les dames des citoyennes, les députés des commissaires du peuple, les ministres des commissaires d’Etat ; l’époque où les Zaïrois avaient abandonné leurs prénoms chrétiens et dénoué la cravate pour porter l’abacost (sorte de veste à col Mao), comprenez à bas costume. Une époque mélange d’arrogance, d’outrance et de flamboyance.

Convaincu par Don King, un ancien repris de justice qui n’allait pas tarder à devenir un des barons de la boxe mondiale, d’organiser « le combat du siècle », Mobutu avait, en quelque sorte saisi la balle au bond, peu de temps après la déculottée mémorable subie par son équipe de football à la Coupe du monde avec cette terrible défaite, zéro but à neuf contre la Yougoslavie. Il avait senti le gros coup.

En plus l’un des deux protagonistes n’était autre que Mohamed Ali, ex-Cassius Clay, rebelle parmi les rebelles, l’un des hommes les plus détestés des Américains. Objecteur de conscience, militant des droits civiques et de la désobéissance civile. Ali sortait de quelques années de bannissement pour avoir refusé de faire la guerre au Vietnam. Il était le symbole de la révolte des Afro-américains dans la ligne de Malcom X et des Black Panthers. On était dans les années post Martin Luther King, dans les années d’après-Vietnam, peu de temps après la démission forcée de Richard Nixon.

Ali était un militant et un combattant ; George Foreman tout l’inverse : un Américain noir, bien lisse qui quand John Carlos et Tommie Smith levaient le poing ganté de noir au moment de recevoir leurs médailles sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico, Foreman, lui s’enveloppait dans la banière étoilée pour célébrer son titre olympique des poids lourds.

Ce qu’Ali n’oubliera pas avant d’invectiver son champion du monde d’adversaire à l’heure de monter sur le ring de Kinshasa : « je vais sacrément botter ton cul de chrétien, sale garce de Blanc avec ton petit drapeau ». 

Outre son talent inégalable dont il devait régaler les amateurs du sport pugilistique, Ali avait la dent dure et la réplique fulgurante. Ce qui ne pouvait que plaire à Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga, entendez le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter.

Le 30 octobre 1974 – c’était un mercredi, pas un samedi – à trois heures du matin, télévision américaine oblige, Ali allait détrôner dans la moiteur de Kinshasa, un Foreman comme apeuré aux cris d’une foule déchaînée Ali, Boma ye, Ali Boma ye (Ali, tue-le, Ali tue-le !).

Une page d’histoire, et pas seulement sportive vous l’avez compris, venait d’être écrite. Foreman tomba à la huitième reprise pour ne plus se relever. Mohamed Ali reprenait la couronne qu’on lui avait volée six années plus tôt.

Les deux hommes sont toujours en vie. Et Ali, consacré sportif du siècle par le grand magazine américain Sports Illustrated, est un homme adulé dans une Amérique qui en a fait à jamais un de ses héros.

par Gérard  Dreyfus

[30/10/2004]

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