Editorial politique
On l'appelle Eagle 4. Eagle, du mot anglais qui signifie aigle et four, comme le chiffre 4. Un amusant jeu de mot qui en français se prononce «Y gueule fort», c'est-à-dire qu'il fait beaucoup de bruit avec sa bouche, et pas toujours pour de bonnes raisons.
« Il », c'est Roger Marion, un homme qui a successivement gravi tous les échelons de la hiérarchie policière, avant de se retrouver, en 1990, chef de la DNAT, la Division nationale antiterroriste. Un homme qui aime les honneurs, la lumière et la célébrité, au point, racontent certains de ceux qui ont travaillé avec lui, de ne pas être très regardant sur les méthodes, pourvu qu'elles lui permettent de briller et d'apparaître comme l'incontournable, celui qui résout les problèmes de sécurité les plus complexes. Roger Marion a enregistré quelques succès avec ETA, et longtemps, jusqu'à ce que Nicolas Sarkozy mette fin à sa mission en 2002, son travail a fait illusion en Corse où, pourtant, les habitants n'appréciaient guère ce grand flic venu d'ailleurs pour désigner les méchants et tous ceux qui complotaient contre la République, avec cette capacité de caricaturer la réalité qui a conduit la justice à condamner deux hommes, Vincent Andriuzzi et Jean Castela, à trente ans de prison pour avoir commandité le meurtre du préfet Erignac, cela avant de les acquitter faute de preuves formelles, ce qui constitue un véritable camouflet et pour la DNAT, et pour les juges antiterroristes qui avaient choisi de donner corps aux errements de Roger Marion.
C'est grave. C'est une nouvelle fois la preuve, après l'affaire du préfet Bonnet, que face à l'impossibilité d'établir la vérité, certains n'hésitent pas à utiliser le mensonge et les demi-vérités pour réévaluer l'histoire de la Corse ou tout simplement la forcer à vivre ainsi que le décrit la légende, c'est-à-dire comme un lieu où les hommes ont toujours vu et voient toujours en l'autre, celui qui vient d'ailleurs, comme un envahisseur désireux de faire du Corse l'éternel vaincu, le perpétuel révolté, qu'il soit Grec, Phénicien, Romain, Arabe, Génois ou Français. C'est toute l'histoire des multiples colonisations de l'île, la raison pour laquelle les nationalistes - je veux parler des vrais nationalistes et non pas de ceux qui flirtent avec le banditisme -, pour ça, donc, que les nationalistes sont nationalistes, même si toutes les tentatives de colonisation se sont terminées dans une sorte de «syncrétisme» souligné par les historiens locaux, autrement dit dans un mélange de cultures, de doctrines et de systèmes dont ils ont su tirer profit, et auquel il ne semble pas vouloir fondamentalement renoncer aujourd'hui : on a pu notamment le constater avec l'affaire de la SNCM, il y a quelques mois. Affaire dans laquelle les nationalistes demandaient paradoxalement au gouvernement français de conserver le contrôle de la société de transport maritime.
Alors précisons tout de même qu'Andriuzzi et Castela ont été reconnus coupables d'attentats commis en 1994, mais que l'accusation qui leur avait valu une très lourde condamnation n'était étayée par rien, ou pas grand chose, si ce n'est un procès verbal antidaté et le simple fait qu'ils étaient considérés, par la DNAT, comme des militants d'une «cellule du nord», ce qui est bien léger a jugé la Cour d'assises spéciale de Paris, confortant ainsi, après l'affaire d'Outreau, l'idée d'un mauvais fonctionnement de la justice.
Voilà qui tombe mal. Car c'est désormais tout le travail effectué dans l'affaire Erignac qui est susceptible d'être remis en cause et tout particulièrement l'accusation concernant Yvan Colonna, soupçonné d'être le meurtrier alors qu'il a toujours nié.
par Patrice Biancone
[24/02/2006]
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