Guantanamo
Washington au pied du mur
(Photo: AFP)
Ce sont les premiers décès de Guantanamo : deux Saoudiens et un Yéménite se sont donnés la mort par pendaison, samedi 10 juin. George W. Bush qui a été immédiatement informé de cette affaire, a exprimé sa «profonde inquiétude». Il est vrai que le centre de détention de Guantanamo représente un sujet particulièrement préoccupant pour le président américain, empêtré dans une guerre contre le terrorisme, menée en Afghanistan puis en Irak, qu’il a de plus en plus de mal à justifier.
Alors qu’il organise, à Camp David les 12 et 13 juin, une réunion consacrée à l’Irak pour déterminer comment réussir un désengagement des troupes sur le terrain tout en aidant le nouveau gouvernement à rétablir la sécurité dans le pays, les suicides de Guantanamo ravivent la polémique sur la politique américaine d’intervention dans les Etats soupçonnés d’offrir asile aux terroristes d’al-Qaïda, et ses conséquences, dont fait partie le centre de détention installé sur la base cubaine. Il est vrai que Guantanamo représente l’exemple le plus criant d’un certain nombre de dérives auxquelles se sont livrés les Américains depuis 2002.
Seuls 10 prisonniers ont été inculpés
Cette prison qui regroupe aujourd’hui environ 460 détenus, mais en a abrité près d’un millier depuis sa création, existe en dehors de tout cadre juridique et presque de tout contrôle. Certains prisonniers y croupissent depuis des années sans qu’aucun chef d’inculpation ne leur ait été signifié, sans qu’il sache si cette situation va évoluer et s’ils peuvent espérer un jugement ou une libération. A l’heure actuelle, seuls 10 prisonniers de Guantanamo ont été inculpés et aucun n’a été jugé. Cette situation a été dénoncée de nombreuses fois par les avocats chargés de leur défense. Tout comme les conditions de détention de ces hommes.
A ce jour, le Comité international de la Croix-Rouge est la seule organisation humanitaire ayant été autorisée à se rendre à Guantanamo pour évaluer la situation des détenus. Mais elle est tenue à la plus grande discrétion et ne peut rendre publique ses conclusions dont elle ne fait part qu’aux autorités américaines. Il n’empêche que l’on dispose d’éléments qui permettent de penser que les conventions qui régissent les droits des détenus ne sont pas respectées dans le centre de détention mis en place par les Américains à Cuba, malgré l’assurance fournie par ces derniers sur le fait que les prisonniers sont traités «humainement». Des images de détenus en combinaisons orange, encagoulés et boulets aux pieds ont été diffusées dans le monde entier. Un rapport des Nations unies, de février, a été particulièrement sévère et a évoqué des «tortures». Le secrétaire général Kofi Annan fait d’ailleurs partie des personnalités qui ont demandé la fermeture du camp. La conduite des gardiens et les techniques d’interrogatoire ont aussi été mises en cause. D’anciens prisonniers ont affirmé qu’ils avaient été empêchés de prier et qu’un Coran avait été jeté dans les toilettes.
Isolement, mauvais traitements, humiliations combinent leurs effets pour accentuer le désespoir des détenus. Et si trois prisonniers ont réussi à se suicider, des dizaines ont tenté de le faire avant eux. Amnesty International estime donc que cette affaire est «un nouveau rappel tragique de ce que les Etats-Unis doivent mettre fin à l’état d’illégalité» à Guantanamo. Le Centre pour les droits constitutionnels (CCR), qui regroupent de nombreux avocats chargés de la défense des détenus, va dans le même sens. Il dénonce le fait que les prisonniers vivent «une détention aveugle, indéfinie, sans aucune possibilité de justice dans l’avenir».
Dans ce contexte, l’administration Bush a de plus en plus de mal à justifier le maintien de ce centre de détention qui ne respecte pas le droit international, alors même que les Etats-Unis prétendent agir contre le terrorisme et en faveur du respect des droits de l’homme. D’autant que dans l’opinion et la classe politique américaines aussi, Guantanamo est de plus en plus critiqué. Le président a d’ailleurs un peu assoupli, il y a quelques semaines, son discours sur la prison en admettant qu’il préférerait que le camp soit «vide». Reste à savoir comment procéder ? Plusieurs centaines de prisonniers ont déjà été libérés et renvoyés chez eux sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux. D’autres libérations du même type pourraient avoir lieu.
Les tribunaux militaires sont-ils légaux ?
Mais le gouvernement estime que la plupart des détenus considérés comme «dangereux» doivent être jugés. Et là, se pose une autre question : devant quelle instance ? Les tribunaux militaires d’exception mis en place par les Etats-Unis pour éviter de déférer les prisonniers devant des tribunaux civils, font l’objet de toutes les critiques et sont présentés par les associations de défense des droits de l’homme comme illégaux. L’un des détenus de Guantanamo, le Yéménite Salim Ahmed Hamdan, a d’ailleurs déposé un recours devant la Cour suprême pour contester leur validité. La décision devrait intervenir d’ici le mois de juillet. Elle sera très importante car si elle allait dans le sens du prisonnier, elle remettrait tout le dispositif américain en question.
Dans l’intervalle, certains observateurs attendent que l’Europe, qui dénonce le maintien de Guantanamo, accentue sa pression sur Washington pour obtenir la fermeture de ce camp. Notamment à l’occasion du prochain sommet, organisé à Vienne le 21 juin, entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
par Valérie Gas
Article publié le 12/06/2006Dernière mise à jour le 12/06/2006 à TU