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Irak /Etats-Unis

Questions de souveraineté

par Monique Mas

Article publié le 22/08/2008 Dernière mise à jour le 22/08/2008 à 17:53 TU

Cinq ans après l’intervention de la coalition américaine en Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein, mais aussi à quelques mois du départ de l’administration Bush, Washington se devait de régler la question de sa présence militaire en Irak. Le terme du mandat onusien fixé à décembre 2008 impose en effet de définir un nouveau statut pour les troupes américaines en Irak dans le cadre d’un accord de sécurité ménageant la souveraineté irakienne et la marge de manœuvre militaire américaine. Une double préoccupation qui a fait traîner en longueur les négociations sur le fameux Sofa (Satus of forces agreement), l’accord sur le statut des forces déployées par les Etats-Unis en Irak en voie de finalisation « imminente ».

Tir d'un char américain Abraham M1A1 pendant une démonstration au centre de formation de Besmaya, en périphérie de Bagdad, le 17 août 2008. (Photo : Reuters)

Tir d'un char américain Abraham M1A1 pendant une démonstration au centre de formation de Besmaya, en périphérie de Bagdad, le 17 août 2008.
(Photo : Reuters)


Avant même qu’un accord dûment finalisé soit validé par les instances ad hoc, le chef des négociateurs irakiens, Mohammed al-Haj Hammoud, a tenu ce 22 août à faire savoir que le départ des quelque 142 000 soldats américains « peut avoir lieu avant 2011 et que la présence peut être aussi prolongée après 2011 en fonction de la situation ». Une promesse sans grand risque contenue, selon lui, dans une clause du projet d’accord avec les Etats-Unis. Mais surtout, de toute évidence, une manière pour Bagdad de proclamer à moindres frais que la souveraineté irakienne est prise en compte dans ces négociations. De fait, c’est aussi avec un autre habillage le discours de l’administration Bush. Celle-ci répugne à fixer une date précise, conditionnant justement le maintien de sa présence militaire à des progrès en terme de sécurité, mais aussi de stabilité politique, à l’instar d’ailleurs du Conseil de sécurité de l’Onu.

L'Irak veut être traité comme un Etat indépendant

Le 18 décembre 2007, dans leur résolution 1 790, c’est « en attendant avec impatience le jour où les forces irakiennes seront pleinement responsables du maintien de la sécurité et de la stabilité de leur pays », que les membres du Conseil de sécurité avaient renouvelé pour un an le mandat onusien validant la présence en Irak de la coalition militaire américaine – l’occupation, selon ses adversaires. A l’époque, l’Onu se réclamait d’une lettre rédigée dans ce sens par le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki. Celui-ci écrivait en effet, le 7 décembre 2007, qu’il estimait nécessaire de « proroger une dernière fois le mandat de la force » multinationale. Le Premier ministre Maliki réclamait au passage que l’Irak soit désormais « traité comme un Etat indépendant pleinement souverain », la résolution précisant à cet effet que le maintien de la force multinationale répond à une demande explicite des autorités irakiennes.

Tout au long du premier semestre 2008, Nouri al-Maliki s’est efforcé d’apporter la preuve d’une possible autonomie sécuritaire irakienne. Et cela au prix de plusieurs offensives dans lesquelles les forces armées et la police irakiennes ont quand même dû recourir à des appuis militaires américains déterminants. D’abord entre mars et juin 2008, à Bassorah, la métropole pétrolière du Sud, puis dans le quartier de Sadr-City, à Bagdad, et à Amara, à la frontière sud avec l’Iran, où Nouri al-Maliki a voulu déloger les miliciens de son concurrent chiite Moqtada Sadr. Dans la province de Diyala ensuite, au nord-est de Bagdad, où une opération américano-irakienne a pris pour cible en juillet dernier des combattants, souvent étrangers, se réclamant du réseau al-Qaïda.

Selon le général David Petraeus, commandant en chef des forces américaines en Irak et futur chef du commandement central de toutes les opérations au Moyen-Orient, la situation sécuritaire a considérablement progressé depuis un an et les forces irakiennes pourraient recouvrer le plein contrôle de leur territoire national d’ici fin 2009. Le général Petraeus ne peut pas en jurer, mais d’après lui « c'est quelque chose qui est de l'ordre du possible et si les conditions le permettent, évidemment [les Américains] appuieront cette solution ». En attendant septembre et la remise à la Maison Blanche d’un nouveau rapport, il indique que l’autorité militaire pourraient être rendue aux forces irakiennes dans deux nouvelles provinces d'ici la fin de l'année 2008, ce qui porterait à 12 (sur 18) le nombre de provinces revenues dans le giron sécuritaire irakien.

Un retrait américain possible mais pas certain fin 2011

Des manifestants chiites scandent des slogans contre la présence militaire américaine en Irak, dans le quartier de Sadr City à Bagdad, le 22 août 2008.(Photo : Reuters)

Des manifestants chiites scandent des slogans contre la présence militaire américaine en Irak, dans le quartier de Sadr City à Bagdad, le 22 août 2008.
(Photo : Reuters)


Le général Petraeus n’a de cesse de marteler que ses « recommandations seront basées sur les conditions et la situation » sur le terrain. A l’entendre, il n’est donc pas vraiment sérieux de prétendre fixer un calendrier de retrait comme l’en pressent les Irakiens. Ces derniers préfèreraient bien sûr que les Américains avancent une date précise même virtuelle pour leur retrait plutôt qu’un « horizon temporel » réaliste, comme Washington le souhaite en réponse à leurs protestations de souveraineté. Sur ce point, la finalisation de l’accord de Sofa aura été des plus âpres, chacune des parties cherchant la meilleure manière de contourner l’obstacle tout en sauvant les apparences. Au final, le négociateur irakien veut donc croire à un retrait de la coalition « à la fin de 2011 ». D’après lui, « les troupes de combat se retireront des villes irakiennes en juin 2009 ». C’est en effet peu ou prou ce qu’indiquait en début de semaine le général Petraeus. Mais si « les deux parties sont d'accord sur ce point », assure-t-il, tout dépendra des enjeux et de la situation du moment …

Dans ces négociations, les Etats-Unis ont gardé en tête les exigences de leur action militaire où l’implantation de leurs bases, mais aussi par exemple le survol du territoire, dépendent de la souveraineté de Bagdad, ce qui pourrait leur imposer d’afficher davantage d’esprit de coopération sinon un hypothétique zeste de subordination vis-à-vis des autorités militaires et politiques irakiennes. Le 21 août, lors d’une visite surprise – pour des raisons de sécurité – à Bagdad, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice indiquait en tout cas que toutes les questions pendantes avaient été abordées et qu’un projet d’accord était désormais en attente de finalisation. D’après elle, il restait encore des points à régler au matin du 22 août.

L'immunité des troupes américaines sera soumise à examen

L’immunité juridique des soldats américains en Irak a constitué un souci. Comme le souligne le juriste belge Eric David, il est habituellement admis dans les accords du genre qu’en cas d’infraction sur le territoire où elles opèrent, les forces étrangères restent soumises à leurs juridictions nationales. Une clause battue en brèche par les Irakiens à l’occasion des exactions et des bavures commises par les mercenaires des sociétés de sécurité privées, telle la compagnie américaine Blackwater expulsée d’Irak en 2007. « Dans les négociations sur le Sofa, le gouvernement irakien n'a accepté aucune immunité pour les compagnies de sécurité privées », réaffirmait le gouvernement irakien cette semaine, en indiquant qu’en revanche « plusieurs comités » devraient être mis sur pieds pour examiner les éventuelles « violations de la loi irakienne par des troupes américaines ».

Selon Eric David, le simple fait de négocier un accord met Bagdad et Washington sur un pied d’égalité, au plan juridique du moins. Ce n’est pas l’avis bien sûr du chef de file chiite, Moqtada Sadr, qui appelle « les plus hautes autorités du gouvernement irakien à ne pas signer d’accord » avec l’occupant américain. Avant d’entrer en vigueur, tout projet sur le Sofa devra d'abord être validé par le Conseil politique pour la sécurité nationale, un organe irakien regroupant le Conseil présidentiel (le président kurde, Jalal Talabani, et les deux vice-présidents chiite et sunnite), le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki et le président de la région autonome kurde Massoud Barzani. Il sera ensuite soumis pour adoption au Parlement dont la prochaine session est prévue le 9 septembre prochain.