Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Littérature

«Merdre!», il y a 100 ans Alfred Jarry quittait le peloton

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 26/10/2007 Dernière mise à jour le 26/10/2007 à 15:11 TU

DR

DR

« Mère Ubu, tu es bien laide aujourd’hui… ». Pas de quoi pavoiser, en effet, en ce 1er novembre, jour choisi par Alfred Jarry (1873-1907) pour rendre l’âme, il y a 100 ans, à l’âge de 34 ans. Car comment croire au hasard ? Mourir à la Toussaint quand on s’appelle Jarry, pas de doute, la mort était préméditée. Et comme le créateur de la pataphysique était décidément un drôle d’oiseau, inutile de chercher sa tombe. Moins de dix ans après avoir été inhumé au cimetière de Bagneux, il était délogé, la concession ne durant que cinq ans. Ni fleurs ni couronne donc pour ce centenaire mais une résurrection, les mains sur le guidon. Car, Alfred Jarry n’était pas qu’alcoolique, il était aussi cycliste. Et pas qu’un peu. Témoin, cet ouvrage publié cette année aux éditions Le Pas d’oiseau, Ubu cycliste, une compilation de tous les textes que la petite reine a inspiré au Mayennais de naissance . Portrait à la force du mollet. Conseillers techniques, Nicolas Martin, l’auteur de la préface d’Ubu cycliste et Frédéric Martin, des éditions Viviane Hamy qui, l’an passé, ont republié Le Surmâle.

Domaine publique

Domaine publique

Fait pas très chaud en ce premier jour du mois de novembre. On les compte d’ailleurs sur les doigts d’une main les dossards qui font des ronds aux abords de l’hippodrome de Longchamp. A peine une dizaine d’athées en tenues fluorescentes, genre lucioles poussant leurs rutilants vélos aux tubulures ultra-légères, alliage de fibres de carbone et de titane. Le genre dernier cri maquillé comme un arc-en-ciel. Quand en 1896, Alfred Jarry a acquis sa « Clément Luxe 96 course sur piste », un engin à deux roues dont les descendants du marchand Trochon (Troccon, sous la plume du voleur de bicyclette) attendent toujours, soit dit en passant, qu’il leur soit réglé, l’auteur scandaleux d’Ubu Roi a décidé de se mettre à l’exercice. Et, depuis un siècle, c’est donc au bois de Boulogne qu’il file volontiers se vider la tête sur sa « machine à décerveler ». Et accessoirement ses rencards, mettant ainsi à l'épreuve notre aptitude, nous, à lui filer le train. Et d’ailleurs, c’est lui qui arrive, apparemment euphorique, ballerines aux pieds et chaussures de ville, accrochées dans le dos. Son costume de cycliste crotté sur le paletot, les deux jambes de son pantalon serrées « à l’aide d’une pince de homard ». Bon pied, bon œil, le voilà qui fonce sur moi, « Rigide comme un cyclamen, chevauchez votre cycle, Amen ! », me crie-t-il, citant à tue-tête Alphone Allais. Ni une ni deux, j’enfourne le vélib qui me sert de monture et me mets tant bien que mal à sucer sa roue.

DR

« J’ai un mal de plafond », nous lance-t-il, en guise de préambule. Pour pédaler avec la célérité qui est la sienne, on se disait bien qu’il n’avait pas bu que de l’eau claire, « Ma-da-me. Nous avons fait du quaran-te ! Nous ne sommes nullement fourbu car nous mangeâmes, hier, la grosse entrecôte, et nous bûmes près de quatre litres de vin blanc, plus notre absinthe pure ». Lui, aussi a donc succombé à la recherche effrénée de la performance, comme il s’est pourtant plu à la critiquer, en 1903, dans Le Surmâle. Faut-il mettre cet oubli sur le compte de son ébriété ? Et de se retourner, l’air chiffonné, pour rappeler « en langue aboyée » que dans son Cyclo-guide Miran illustré, il s’était déjà expliqué sur la question et qu’au « tourisme des sites et monuments, sans comparaison, [il préférait] l’émotion esthétique de la vitesse dans le soleil et la lumière, les impressions visuelles se succédant avec assez de rapidité pour qu’on n’en retienne que la résultante et surtout qu’on vive et ne pense pas ». Et de redonner un coup de pédale rageur à sa « Clément luxe », plus pantin mécanique que jamais. Et l’air de vouloir s’échapper pour de bon. C’est sûr qu’Alfred Jarry n’aurait jamais pu écrire La mécanique d’Ixion ou La Passion considérée comme course de côte à l’ère du vélib. On n’imagine assez mal le Jésus de La Passion, grimpé sur un de ces lourds vélos utilitaires pour tenter de faucher compagnie à deux larrons sous l’œil de l’arbitre, Pilate. Avec pareille bicyclette, l’histoire aurait vite tourné court et il n’y aurait pas eu besoin d’« un semis d’épines » pour le clouer sur place, le Jésus. Et citant la fin de l'histoire, « On sait aussi qu’il continua la course en aviateur… », reprend notre poète pataphysicien, assez peu porté, ça n’aura échappé à personne, sur le culte mais rêvant tout de même toujours, et tout haut, à une envolée belle, loin des contingences terrestres et de la perpétuelle répétition. Chercher l’absolu sur un deux roues, il fallait effectivement avoir un sens certain de l’absurde.

Une certaine prescience aussi de ce qui allait advenir. Le Surmâle, à cet égard, a traversé le siècle, avec une piquante ironie. « ‘Cornegidouille !’ comme dirait le père Ubu », s’esclaffe, furax, Alfred Jarry avant de dégainer son revolver et de tirer un coup dans ma direction, pulvérisant littéralement ce qui, il y a encore une poignée de secondes, ressemblait à un rétroviseur, ce qui a pour effet immédiat de mettre nos pédaleurs des jours fériés en émoi et même en fuite. Silence de mort… à l’exception du pédalier grinçant du « squelette extérieur », surnom dont notre écrivain, à l’ire exaltée et pétaradante, a affublé son double pneumatique. « Madame, maintenant que la glace est rompue, nous pouvons causer… », reprend, apparemment refroidi, l’auteur de La course des dix mille milles. Et de rappeler qu’à l’époque de la parution du Surmâle, ses contemporains ont encore cru à une nouvelle bouffonnerie, une enième provocation de sa part. Et pourtant… L’idée que « l’amour est un acte sans importance puisqu’on peut le faire indéfiniment », l’idée encore du « Perpetual-Motion-Food [qui] retarderait  indéfiniment, la réparant à mesure, la fatigue musculaire et nerveuse » de l'équipe cycliste, l'inénarrable « quintuplette », chargée de battre un train sur la distance Paris-Irkoutsk, aller et retour... La logique du dépassement et du rendement à tout (voire n’importe quel) prix, quelle trouvaille un siècle ou presque avant le viagra, l’EPO, et même, le « travailler plus pour gagner plus ». « Haha ! », tonne alors le Lavallois, zigzaguant sur sa bécane à deux roues à force de se gondoler, hilare et rebelle. 

Roman moderne, pouvait-on, de fait, lire en 1903 sous le titre  définitivement prémonitoire de Surmâle, se souvient-on effectivement avant de s'apercevoir, brutalement, que l'insaisissable Alfred Jarry n'est déjà plus qu'une ombre acrobatique à l'horizon, ayant profité de cette réflexion a posteriori pour prendre la poudre d'escampette, en cycliste aliéné, et néanmoins averti, qu'il était. Quant à savoir ce qu'il en pense d'avoir crevé, il y a cent ans... Aux chiffres, cet Ubu cycliste a toujours préféré les lettres.   

portrait

Théâtre

(Photo : Cosimo Mirco Magliocca)

Catherine Hiegel : «J’apprivoise les planches»

La comédienne monte L’Avare à la Comédie-Française. Des retrouvailles avec Molière, un auteur qu’elle a joué et mis en scène à maintes reprises en quarante ans de maison. Doyen du Français, Catherine Hiegel se définit avant tout comme « une travailleuse acharnée ». Voire obstinée.

14/10/2009 à 08:41 TU

Rentrée littéraire

Marie NDiaye(Photo : C. Hélie/ Gallimard)

Marie Ndiaye, une écrivaine atypique

Quotidiens, magazines, critiques... Tous font du nouveau roman de la Française l'un des événements de la rentrée 2009. Trois femmes puissantes (Gallimard) est le titre de ce nouveau récit qui entrecroise trois destins de femmes entre l'Afrique et l'Europe. Rencontre avec une auteure à part.   

31/08/2009 à 08:38 TU

Cinéma

© Studio Canal

Sandrine Bonnaire, sans fard et sans reproches

Elle illumine ce début de mois d’août où on la retrouve à l’affiche de Joueuse, le premier long-métrage de Caroline Bottaro. Elle c’est Sandrine Bonnaire, la talentueuse actrice française révélé dans A nos amours de Maurice Pialat. Rencontre.

14/08/2009 à 13:22 TU

Photographie

Ferdinando Scianna.(Photo : E. Scianna)

Ferdinando Scianna : hommage à ses compagnons de voyage

Le photographe italien occupe le premier étage de la Maison européenne de la photographie, à Paris, où est présentée une rétrospective de son œuvre intitulée La géométrie et la passion. La première jamais montée en France. Quand l’image se fait histoire, rencontre avec un conteur aux accents siciliens.

31/07/2009 à 13:48 TU

Rencontres d'Arles

Robert Delpire© Sarah Moon

Robert Delpire, passeur d’images

Editeur, organisateur d’expositions, Robert Delpire est à l’honneur des 40e Rencontres photographiques d’Arles (7 juillet-30 septembre). A 83 ans, il est l’une des personnalités incontournables de l’histoire de la photographie. Retour sur soixante ans d’un album photos riche en découvertes.

13/07/2009 à 07:15 TU

Littérature

© Grasset

Michel Le Bris, l’homme aux semelles de vent

Du 30 mai au 1er juin, le festival Etonnants Voyageurs fête ses vingt ans d’existence. L’occasion de pousser sur le devant de la scène, son président et fondateur, Michel Le Bris, 65 ans, qui publie par ailleurs une autobiographie, Nous ne sommes pas d’ici. Aux éditions Grasset.

29/05/2009 à 13:17 TU

Littérature

(Photo : J. Sassier/ Gallimard)

Chamoiseau ou portrait de l’artiste en militant de la créolisation

L'écrivain martiniquais publie un nouveau roman, Les neuf consciences du Malfini. Si l'ancien Prix Goncourt - c'était en 1992 pour Texaco - poursuit son oeuvre littéraire, il n'en reste pas moins un ardent militant de la cause créole. Retour sur un parcours entre poétique et politique.  

11/05/2009 à 14:49 TU

Photographie

Marc Riboud© Martin Argyroglo

Marc Riboud : «Je n’ai pas arrêté de faire des photos»

Qu’on se le dise : Marc Riboud, 85 ans, est toujours aussi curieux. Cinquante ans à sillonner les routes du monde entier n’ont pas entamé son envie de photographier… et encore moins de parler. Le micro allumé, les anecdotes foisonnent.

01/04/2009 à 15:36 TU

Salon du livre

© Gallimard

Carlos Fuentes, romancier de la ville et du temps

Locomotive de la délégation mexicaine invitée, cette année, du salon du livre de Paris, Carlos Fuentes est l'une des principales vedettes de cette 29e édition. A 80 ans, il publie un recueil de nouvelles, Le Bonheur des famille. Portrait d'un patriarche. 

16/03/2009 à 08:33 TU

Cinéma

Miou-Miou(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Miou-Miou : la vie devant soi

L’actrice française est à l’affiche d’un premier film, Pour un fils, sur les écrans à partir de ce 4 mars. Quarante ans après ses débuts sur les planches du Café de la Gare, Miou-Miou ne cultive pas la nostalgie. A 59 ans, elle préfère parler de ses projets plutôt que d’égrener ses souvenirs.  

13/03/2009 à 08:53 TU