par Elisabeth Bouvet
Article publié le 28/05/2009 Dernière mise à jour le 29/05/2009 à 13:18 TU
Vingt ans déjà que le festival Etonnants Voyageurs célèbrent cette « littérature monde », selon l’expression lancée il y a deux par une poignée d’écrivains - au nombre desquels, le prix Nobel de Littérature, le Français Jean-Marie G. Le Clézio -, et qui dit bien son refus de se limiter aux salons germanopratins. A l’origine de cette manifestation qui a jeté l’ancre à Saint-Malo, en Bretagne, Michel Le Bris, écrivain lui-même et qui publie, pour ce vingtième anniversaire, son autobiographie, Nous ne sommes pas d’ici. Portrait d’un insatiable amoureux de la littérature.
Avant de donner la parole à Michel Le Bris, s’assurer que rien ne vous presse. Le fondateur des Etonnants Voyageurs a en effet la faconde des conteurs. De flots en déferlantes, c’est par vagues incessantes qu’il répond, et nul besoin de le relancer, comme on dit dans le jargon, il n’est jamais ni à sec ni à court. Et ce qui est vrai en interview, l’est également dans la vie de tous les jours. Il faut avoir assisté à des dîners, au bord du fleuve Niger le temps d’une délocalisation malienne du festival, pour comprendre que Michel Le Bris roule les mots comme il roule sa bosse. A l’infini. Et même un dos cabossé, même une douleur intenable dans les reins ne réussiront ni à le clouer sur place, ni à lui clouer le bec. Souvenir d’un départ pour Bamako où l’on vit Michel Le Bris monté dans l’avion raide comme un piquet, mais bavard comme un pic vert.
Stevenson en vignettes
L’origine de cette boulimie, déjà sensible à l’œil nu si l’on s’en tient à ce physique tout en rondeur qui témoigne a priori d’un bel appétit, est peut-être à chercher dans une enfance tout sauf aisée. Né à Tréourhen, dans le Finistère, il est élevé par une mère qui a tout sacrifié pour s’occuper d’une grand-mère grabataire et de ses enfants. Côté ressources, c’est plutôt la dèche avec, en guise de toit, une maison pourrie sans électricité ni eau courante. « Pour me sauver, écrit-il, il y avait le monde autour de moi. La mer, surtout ». Une double révélation : celle du « Grand Dehors » et celle du rythme océanique « qu’épousent mes phrases », stigmate donc de cette fascination enfantine pour le ressac de la mer et son mouvement perpétuel.
S’il écrit ses premiers livres vers l’âge de dix ans, c’est avec Stevenson - dont il est aujourd’hui l’un des spécialistes – qu’il connait ses premiers émois, grâce aux images de L’île au trésor - qu’une vieille voisine qui habitait une maison trop petite pour y loger tous ses livres, lui prête alors qu’il ne sait pas encore lire. « Je l’ai intensément rêvée, enrichie de mille aventures […] Aussi quelle déception, à ma première lecture… », raconte-t-il dans son autobiographie. La providence qui décidément veille sur le petit Michel le place sur la route d’un professeur de français qui, refusant de le voir « finir » comme instituteur, l’envoie au lycée en région parisienne. Ce départ de la Bretagne, vécu comme un déchirement, sera toutefois sa planche de salut. Même si ce fut pour décrocher, en 1967, un diplôme d’HEC, contre son gré lui qui rêvait de philosophie. Qu’à cela ne tienne, cet exil lui ouvre d’autres portes, depuis jamais refermées : il découvre le jazz et le roman noir américain, au moins aussi important que les romantiques allemands, ses (autres) livres de chevet. De clubs en polars, il devient en 1968 rédacteur en chef de la revue Jazz Hot et participe dans le même temps au lancement du mensuel, Le Magazine Littéraire.
De Paris à Couffoulens
C’est également à cette période « révolutionnaire » qu’il reprend La cause du peuple, à la suite de l’arrestation de son précédent directeur, Jean-Pierre Le Dantec. Une aventure du côté des maoïstes qui ne durera que quelques mois : en avril 1970, Michel Le Bris est à son tour arrêté et condamné à 8 mois de prison. A sa sortie, il se retrouve dans le comité de rédaction du journal J’Accuse, où se croisent Jean-Paul Sartre, Michel Foucault ou encore Jean Rolin. Une effervescence intellectuelle dont le quotidien Libération, dissidence issue des rangs de J’Accuse, constitue aujourd’hui l’ultime, témoignage, l’unique trace. Quoi qu’il en soit, en 1971, lassé par les luttes de pouvoir et autres dissensions, Michel Le Bris tourne le dos à Paris et à un journal dans lequel il ne se retrouve plus. Direction Couffoulens, un petit village du Languedoc.
C’est là, avec l’appui de Jean-Paul Sartre qui le recommande auprès de Claude Gallimard, qu’il se lance dans la collection La France sauvage. « J’avais en tête le rêve des grands reporters-écrivains américains, les chroniques de Ring Lardner, les textes d’Ernie Pyle sur l’Amérique des pauvres, les reportages d’Hemingway : l’idée d’une nouvelle écriture du réel », peut-on lire page 109. Il écrira ainsi un livre sur l’Occitanie puis un second sur le Larzac avant de rejoindre, en 1978, sa chère Bretagne, asphyxié par le nationalisme ambiant.
A partir de cette date, outre ses collaborations à l’hebdomadaire Nouvel Observateur qui s’achèveront en 1986, son statut de conseiller littéraire aux éditions Grasset (jusqu’en 1981), il s’adonne à une forme d’écriture plus personnelle, publiant coup sur coup ou presque L’Homme aux semelles de vent, Le Paradis perdu et Le journal du Romantisme. Le voilà aussitôt classé parmi les « nouveaux philosophes », étiquette malheureuse dont il n’aura de cesse dès lors de se défaire. Et un malentendu de plus qui l’amènera à s’éloigner une fois encore d'un monde marqué bientôt, qui plus est, par une sorte de retour à l'ordre. Ce sera le début de sa ruée vers l’or.
California dream
Au printemps 1982, Michel Le Bris embarque femme et enfant, en l’occurrence sa petite fille, pour un voyage de trois mois sur les routes de Californie. Un marqueur dans sa vie : « Je ne me doutais pas que cette découverte me conduirait si loin - puisque tout ce qui devait suivre, et jusqu’à aujourd’hui, livres personnels, travail d’édition, compagnonnage avec Stevenson, revue, festivals, en découle ». Même l’un de ses tout derniers romans La Beauté du monde qui l’an passé était en lice pour le prix Goncourt appartient à cette longue lignée d’ouvrages nés, conçus à la suite de ce périple à commencer par La Porte d’or (1986) ou encore Les Flibustiers de la Sonore (1998). A son retour, il se lance également dans la publication d’ouvrages d’écrivains-voyageurs oubliés ou méconnus, notamment pour le compte des éditions Payot. S’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait incontestablement Nicolas Bouvier dont l’œuvre, à commencer par son Usage du monde, est aujourd'hui porté aux nues.
Porté par le mouvement qui, s’il s’appuie sur les écrivains anglo-saxons, voit aussi en France au tournant des années 1980 l’émergence d’un nouveau courant littéraire « aventureux », Michel Le Bris imagine « un lieu où réunir les petits-enfants de Stevenson et de Conrad ». L’acte de naissance du festival Etonnants Voyageurs qui, pour sa première édition, accueillera, entre autres personnalités, Ella Maillart et bien sûr Nicolas Bouvier. Rien moins. Au fil des années, ils sont des centaines à avoir fait escale à Saint-Malo, constituant ainsi une sorte de bande, de famille. D’ailleurs, c’est une coutume : les écrivains invités arrivent ensemble, par le même train.
« Une littérature monde »
Il aura certes fallu batailler pour refuser de se laisser enfermer dans le ghetto des littératures ethniques, régionales ou folkloriques. L'émergence de nouvelles plumes bientôt reconnues et récompensées à l'instar d'un Alain Mabanckou, et surtout, l’attribution, à l’automne dernier, du prix Nobel de la littérature à l’un de ces « étonnants voyageurs », Le Clézio, ayant définitivement contribué à couronner cette idée d’une « littérature monde » défendue dans un manifeste datant de 2007 et signé par une cinquantaine d’écrivains de langue française. De Saint-Malo à Bamako, au Mali, en passant par Port-au-Prince, en Haïti, la caravane du festival a multiplié les rendez-vous, les escales. Toujours cet irrésistible appel du large.
« J’ai rêvé ma Bretagne comme une frégate immense ». Ainsi commence L’Homme aux semelles de vent. Et de fait, Michel Le Bris arbore, avec sa barbe fournie et ses cheveux un peu longs, un de ces capitaines au long cours que rien, pas même un triple pontage, ne réussira à détourner de cette ligne d’horizon, sans cesse repoussée.
Nous ne sommes pas d'ici de Michel Le Bris, aux éditions Grasset.
Monde en crise, besoin de fiction est la thématique retenue cette année pour la 20e édition des Etonnants Voyageurs.
portrait
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