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Mois de la Photographie

Lee Miller : une traversée du XXe siècle

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 03/11/2008 Dernière mise à jour le 11/11/2008 à 14:59 TU

Women with Fire Masks (Downshire Hill, London - 1941)© Lee Miller Archives

Women with Fire Masks (Downshire Hill, London - 1941)
© Lee Miller Archives

Novembre, en France, coïncide avec le mois de la photographie. L’occasion de faire le plein d’images. En attendant le salon de la photo qui mettra mi-novembre le Japon en haut de l’affiche, honneur à Lee Miller dont on peut actuellement redécouvrir tout le travail au Jeu de Paume à Paris. L’art de Lee Miller, l’intitulé de cette exposition, vise, explique Marta Gili, la directrice de l’établissement, « à faire connaitre cette femme fabuleuse dont l’existence a été en soi une façon d’art, à une époque où les femmes ne jouaient pas un rôle très important ». 

Si Lee Miller (1907-1977) donne la sensation, à force de déménagements et de sujets abordés, d’avoir embrassé plusieurs vies (impression rehaussée par la projection d’un extrait du Sang d’un poète, film de Cocteau dans lequel elle incarne plusieurs personnages), son existence reste toutefois indissociable de la photographie. Très tôt, dès la fin de l’adolescence, elle est déjà modèle, notamment pour son père avant que sa très grande beauté n’inspire les photographes de mode. En 1927, elle devient le mannequin vedette du magazine américain Vogue. Deux ans plus tard, elle quitte New York pour s’installer à Paris où elle rencontre Man Ray. Elle envisage de se mettre elle-même à la photographie, son apprentissage auprès de l’artiste surréaliste sera déterminant : c’est la découverte par accident de la technique dite de solarisation que l’un et l’autre vont expérimentée notamment pour les portraits. Mais, reprend Marta Gili, « à partir de cette période aux côtés des surréalistes, elle n’aura de cesse de travailler la réalité d’une façon magique, cherchant toujours à imaginer d’autres récits possibles ».

Portrait de l’espace (1937)© Lee Miller Archives

Portrait de l’espace (1937)
© Lee Miller Archives

En studio ou en extérieur, comme ce sera le cas en Egypte où, en 1934, elle suit son époux le temps d’un bref premier mariage, elle restitue à chaque fois une vision poétique du monde qui l’entoure, y compris quand, délaissant le portrait, elle photographie les paysages et l’architecture des pyramides d’un point de vue le plus souvent et inattendu et d’une grande beauté. Elle qui s'était jusqu'alors illustrée dans le détail, le portrait, fait preuve d'un sens du cadrage remarquable. L’une des images exposées et qui représente un trou dans un voile faisant penser à une improbable porte sur le désert a d’ailleurs inspiré le peintre belge René Magritte : « On y voit comme un rêve d’infini et, au-delà probablement aussi, cette contradiction qu’elle porte en elle entre d’un côté, sa très grande indépendance et de l’autre, cet enfermement dans son corps, objet de désir des hommes qui sera finalement sa manière de se libérer du rôle traditionnel dévolu aux femmes ».

Et d’ailleurs le rôle d’épouse coincée au Caire loin de ses proches ne durera pas. A l’été 1937, lors d’une courte escapade en Europe, elle tombe amoureuse du peintre anglais Roland Penrose (qui deviendra son second mari) et en 1939, alors que des rumeurs de guerre grondent sur le vieux continent, elle tourne le dos à l’Egypte et s’installe à Londres. Les événements vont bientôt la précipiter dans le photojournalisme. En 1940, elle est engagée par l’édition britannique de Vogue. Outre les portraits qu’elle continue de réaliser, elle décrit aussi le quotidien difficile des anglais avec, là encore, un souci évident de théâtralisation. Témoin, la photographie qui sert d’affiche à l’exposition où l’on peut voir deux jeunes femmes en train de bricoler avec des masques qui évoquent davantage un jeu que la guerre.

En décembre 1942, Lee Miller obtient son accréditation de correspondante de guerre de l’armée américaine et, à ce titre, rejoint le continent en juin 44 pour suivre le débarquement des Alliés et sera, quelques mois plus tard, aux côtés des troupes américaines qui libéreront les camps de concentration de Buchenwald et Dachau. Ses photographies, publiées en juin 45 dans l’édition américaine de Vogue, ont fait la notoriété de celle qui fut la seule femme à rendre compte de l’horreur des camps. Pour Marta Gili, « si Lee Miller n’avait pas été surréaliste, si elle n’avait pas été habitée par l’idée que la réalité peut aller au-delà de la réalité, elle n’aurait jamais pu photographier ce qu’elle a vu. […]. C’est encore ce regard qui lui donnera l’idée étonnante de se faire photographier dans la baignoire d’Hitler ».

Garde SS mort dans un canal ( Dachau, Allemagne - 1945)© Lee Miller Archives

Garde SS mort dans un canal ( Dachau, Allemagne - 1945)
© Lee Miller Archives

Il n’empêche, « ce moment crucial tant du point de vue intime que physique et professionnel qu’a représenté la guerre pour elle » est présenté à part dans l’exposition, et surtout replacé dans son contexte : « Il faut se souvenir que ces photographies correspondaient à un travail de commande qui n’était pas destiné à être exposé mais publié avec des textes, des textes qu’elle signe d’ailleurs elle-même et qui sont essentiels pour comprendre les photographies ». Les exemplaires du magazine Vogue sont donc exposés, ce qui permet effectivement au visiteur de lire l’émotion de Lee Miller comme lorsqu’elle titre, avec un dégoût patent l’un de ses reportages, Ainsi sont les Allemands.

Le choc sera tel pour l’ancien mannequin qu’elle abandonnera la photographie en 1953, s’adonnant, tant bien que mal, à son nouveau rôle de mère (son fils est né en 1947) dans la ferme qu’elle et son mari ont achetée dans le Sussex et où elle s’amusera encore quelques temps à photographier ses amis illustres, les Picasso, Ernst et autres Steinberg, en train, qui de donner à manger aux cochons, qui de désherber, qui d’enrouler un tuyau d’arrosage… Les invités au travail sera le titre de cet ultime reportage et la signature en quelque sorte de celle pour qui l’humour et l’incongruité furent érigés en art de vivre.

A travers le parcours tantôt impulsif tantôt tâtonnant de Lee Miller, à travers ses différentes existences qui la feront passer de mannequin à portraitiste, de photographe surréaliste à reporter de guerre, c'est finalement à une traversée du XXe siècle que le visiteur assiste, pour le meilleur et pour le pire.

Autoportrait (1932)© Lee Miller Archives

Autoportrait (1932)
© Lee Miller Archives

L'Art de Lee Miller, une rétrospective à visiter au Jeu de Paume à Paris jusqu'au 4 janvier 2009.

Quant au Mois de la Photo, il a retenu cette année comme thématique « La photographie européenne, entre tradition et mutation ».  

Enfin le salon Paris-Photo se tiendra donc du 13 au 16 novembre au Carroussel du Louvre.