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Cinéma

Karin Albou ou la caméra à fleur de peau

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 15/12/2008 Dernière mise à jour le 17/12/2008 à 13:42 TU

© Pyramide Films.

© Pyramide Films.

C’est au Festival de Cannes que Karin Albou avait pour la première fois fait parler d’elle. En 2005, elle présentait dans le cadre de « La semaine de la critique », La petite Jérusalem, son premier long-métrage, décrivant les émois et les désirs de liberté d’une jeune fille, dans une famille juive de la banlieue parisienne, plutôt très traditionnelle. Ce qui avait séduit tenait dans cette attention toute particulière accordée au regard féminin et dans cette sensualité qui affleurait dans tous les plans ou presque, que ce soit à travers deux mains s’effleurant dans une rame de métro ou, dans un cadre plus intime, une jeune fille se déshabillant, dans sa chambre.

Le chant des mariées, ainsi que l’indique le féminin du titre de son nouveau film qui sort ce mercredi, s’inscrit dans cette même veine. N’était l’époque, non plus contemporaine mais historique - l’action se passe en Tunisie en 1942 -, la caméra de Karin Albou ne quitte pas les deux héroïnes de son nouveau film : Nour, la musulmane et Myriam, la juive, 16 ans et amies depuis l’enfance. Elles vivent dans la même maison, inséparables et à ce tournant de leur existence où l’on envie forcément la destinée de l’autre. C’est la scolarisée et émancipée Myriam qui aimerait rencontrer l’amour, c’est la promise Nour (qui doit épouser son cousin) qui rêve d’apprendre à lire. Myriam dispense donc des leçons à son amie tandis que Nour la sollicite pour lui permettre de rencontrer son fiancé en catimini. Mais l’occupation allemande jusque dans la capitale tunisienne va bientôt entamer les projets de l’une et l’autre, et même éloigner les deux amies en raison de la montée de l’antisémitisme d’un côté et de l’autre, favorisée par les nazis, l’émergence d’un sentiment nationaliste dans la population arabe. Délation, trahison, mariage d’amour, noces de raison… L’amitié des jeunes femmes résistera-t-elle à ce climat délétère ?

© Pyramide Films.

© Pyramide Films.

Le second film de Karin Albou aborde toutes ces thématiques sans pour autant renoncer au parti-pris qui était donc déjà le sien dans son précédent long-métrage, en se focalisant même davantage encore sur les corps, la peau dans une approche moins visuelle que sensorielle de la catastrophe qui se joue sous les fenêtres des deux héroïnes, à un niveau quasi épidermique qui est celui de la sortie de l’adolescence quand le monde se découvre encore à fleur de peau, justement. On peut lire également dans cette approche la mue finalement qui attend les jeunes filles arrivées, en ces années 1940 et en ces terres encore extrêmement traditionnelles, à un tournant de leur vie de femme au-delà duquel elles risquent de se perdre de vue. Ambitieux dans son propos, le film de Karin Albou évoque toutes les pesanteurs inhérentes à la condition de femme, sans a priori et même avec une justesse qui, si elle épingle les hommes, du moins certains, n’épargne pas pour autant les mères. Sans oublier le contexte de l’occupation dans les colonies françaises, réalité assez peu montrée d’ordinaire. Est-ce ce trop-plein ou cette approche par trop charnelle avec des scènes d’une longueur parfois redoutable, toujours est-il que Le chant des mariées ne réitère pas le miracle de La petite Jérusalem. Ce qui n’enlève  rien à l’originalité de la démarche de Karin Albou qui, à ce titre, mérite une attention au moins égale à celle qu’elle dispense à l’égard de ces adolescentes et de cet âge qu’elle ne cesse d’interroger avec sensibilité.  

© Pyramide Films.

© Pyramide Films.