par Elisabeth Bouvet
Article publié le 26/01/2009 Dernière mise à jour le 26/01/2009 à 08:32 TU
Vue de Hillbrow vers le Nord depuis le toit du Mariston Hotel (Johannesburg - Afrique du Sud).
(Photo : Guy Tillim)
« L’appareil photographique est un outil idéal pour dépasser les frontières », raconte le photographe sud-africain, né à Johannesburg en 1962 et qui, dans les années 1980 alors que l’Apartheid divise encore son pays natal, décide justement de franchir cette barrière raciale, et d’aller voir, lui le blanc, ce qui se passe de l’autre côté, en « jouant » au photographe-reporter. Depuis Guy Tillim, passé professionnel en 1986, poursuit ce travail d’exploration-introspection sur tous les continents, à commencer par l’Afrique. Ce sont précisément quelques-uns de ses reportages réalisés en Afrique du Sud et dans un certain nombre de pays de la moitié sud du continent africain que présente actuellement la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris.
La visite remonte le temps. Elle commence au 1er étage de la Fondation par la série baptisée, Avenue Patrice Lumumba, un travail personnel effectué en 2008, et pour la première fois présenté en France. Que reste-t-il du leader nationaliste qui dirigea le Congo avant d’être assassiné et qui aujourd’hui fait figure de héros ? Nombre de villes africaines ont donné son nom à des places, des rues, des avenues. Guy Tillim a parcouru certaines de ces capitales, en débutant son périple par le pays natal de Patrice Lumumba, la République Démocratique du Congo.
Mais de Kinshasa à Maputo en passant par Luanda ou Tananarive, partout, que ce soit dehors ou dedans, dans les vestiges d’un grand hôtel abandonné, les oripeaux de l'époque coloniale ou dans les bureaux de l’administration, partout donc le même vide sidéral, un vide, qui plus est, en lambeaux : piscines assèchées, rideaux déchirés, chaises pas franchement dernier cri, dossiers empilés et jaunis pratiquement réduits en poussière, et personnel comme figé - devant des bureaux sur lesquels sont posés des tampons que l'on imagine desséchés -, comme en attente de quelque chose ou de quelqu'un (Godot ?). Pour autant, explique Guy Tillim, « ce travail ne vise pas à dresser un bilan politique de l'Afrique post-coloniale, il cherche à définir une identité à partir de ces territoires en friche ». Du reste, il se défend de vouloir juger, préférant donner à voir, ici un rêve suspendu, là une ville en pleine transition à savoir Johannesburg.
C’est au 2e étage. La série intitulée tout simplement Jo’burg est le fruit d’un travail qui remonte à 2004. A l’entrée, une photographie du centre de la ville natale de Guy Tillim, un ensemble de hautes tours sous un ciel chargé voire menaçant (d'Apocalypse ?). C’est là, dans ses tours insalubres que nous allons pénétrer, dans les pas du photographe : « Au lendemain de 1991 et de la fin de l’Apartheid, les noirs sont massivement arrivés dans les villes. Les blancs ont fui le centre et se sont déplacés vers la périphérie. Ils se sont installés dans ces tours désertées par les blancs et dont les pouvoirs publics se sont totalement désintéressés. Du coup, tout s’est dégradé, un climat d’insécurité et de violence s’est installé dans le centre de Johannesburg ». Des townships au centre de Jo'burg, la même exclusion. Mais là encore, insiste-t-il, les images de destruction, de brisure, d’insalubrité, de saleté dans les parties communes et dans les appartements ne sont pas « une métaphore ». En revanche, observe-t-il, « décrire l’environnement permet de comprendre les gens qui vivent dans ces tours ». Dans ces tours où a vécu sa grand-mère, Guy Tillim a passé cinq mois pour vaincre les réticences ou les incompréhensions des habitants, et parvenir à franchir les portes de certains appartements. A la fois près et loin de son sujet, dans cette distance qu'il s'impose, refusant toute espèce d'intrusion. Et pourtant, les scènes sont frontales et le spectateur se retrouve quasiment dans l'incapacité de s'échapper. Visages épuisés, murs suintants, espaces rafistolés : peu de couleurs vives dans ce chaos, la tonalité a plutôt à voir avec le clair-obscur. Une seule exception à ce tableau sombre, cette photographie de deux jeunes hommes faisant la sieste sur le toit d’un immeuble, presque indifférents, serions-nous tentés d’ajouter, à la décomposition ambiante. Pour compléter ce panorama, la Fondation Henri Cartier-Bresson présente également, non plus aux cimaises, mais sous une vitrine deux autres reportages publiés dans des magazines, l’un (Congo Democratic) sur les premières élections présidentielles libres en RDC (juin 2006), l’autre sur un village du Malawi (Petros village) situé à 50 km de la capitale Lilongwe. Manière dans un cas comme dans l’autre de tourner le dos aux clichés et d’appréhender autrement ce continent. Tout le sens des quelques mots de Guy Tillim que le visiteur peut lire en guise d’exergue à ce périple, « La terre où je suis né m’est devenue étrangère au fur et à mesure que je la découvrais ».Guy Tillim. Jo'burg/Avenue Patrice Lumumba, c'est à voir à la Fondation HCB jusqu'au 19 avril. Quant à Guy Tillim, il est représenté par la galerie Michael Stevenson au Cap.
kézako
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