par Bartholomé Girard
Article publié le 26/03/2009 Dernière mise à jour le 13/04/2009 à 15:52 TU
Aux XIVe et XVe siècles, Florence n’est pas le seul foyer de la Renaissance toscane : dans la cité de Prato, un réseau d’artistes se forme et contribue de façon décisive au rinascimento. Les figures emblématiques de cette créativité sont Filippo Lippi et son fils, Filippino. L’exposition au musée du Luxembourg présente, jusqu’au 2 août, cette période méconnue de l’Histoire de l’art.
En 1456, le moine Filippo Lippi (1406-1469) est nommé chapelain au convent de Prato, à 15 kilomètres au nord de Florence. Il y rencontre la religieuse Lucrezia Buti, de trente ans sa cadette, avec qui il a une liaison. Un an plus tard, apprenant qu’elle est enceinte, le couple s’enfuie du couvent. Tous deux relevés de leurs vœux ecclésiastiques, ils vivent avec leur fils, Filippino (1457-1504), et leur fille, Alessandra. Filippo Lippi, jusqu’alors influencé par les maîtres de la peinture gothique, insuffle plus de couleurs et de vie dans ses tableaux qu’auparavant. Bientôt, dans son travail et dans celui de son fils, à son tour peintre, de nombreux artistes trouvent des maîtres.
A l’ombre… ou à l’écart de Florence ?
La nouvelle exposition du Musée du Luxembourg est une première en France, parce qu’y figurent des tableaux et sculptures qui n’ont jamais été présentés dans l’Hexagone – et, pour la plupart, ne sont même jamais sortis d’Italie – et parce qu’elle met l’accent sur un épisode de la Renaissance peu connu. En effet, au XVe siècle, la ville de Prato vit dans l’ombre de Florence qui la domine et l’influence culturellement et artistiquement, notamment par le pouvoir de la famille des Médicis. L’évènement au musée est l’opportunité de réaffirmer le rôle de la ville de Prato dans l’Histoire de l’art et la richesse de ses nombreux échanges entre les artistes. Car la petite ville de province fut particulièrement innovante, en témoignent les quelque cinquante pièces présentées.
"Tabernacle figurant la Vierge à l'Enfant adorée par deux anges", Donatello (1415-1420).
© Archivio Museo Civico di Prato
Dès l’entrée dans un couloir où sont exposés des autels de dévotion privés, la moquette rouge et les murs assombris démarquent les œuvres, légèrement éclairées par des lumières tamisées pour faire ressortir les couleurs et dorures. Le premier temps de l’exposition permet ainsi d’apprécier un très beau tabernacle de Donatello, mais également des fresques et prédelles de Paolo Uccello, Andrea di Giusto Manzini ou encore Domenico di Michelino. Ces artistes confirment que Prato est bien « l’écrin des plus importantes commandes artistiques », comme l’explique Maria Pia Mannini, commissaire de l’exposition. C’est dans cette dynamique exceptionnelle que la peinture de Filippo Lippi trouve sa maturité.
Le réseau culturel qui se forme à Prato est porté par l’excellente santé économique de la ville, fleuron du commerce de textile et animée par un important échange entre artistes et commanditaires, privés ou institutionnels. Ainsi, Lippi est chargé de l’exécution des fresques du chœur de la cathédrale de Santo Stefano, et de nombreuses commandes provenant de riches commerçants florentins. Le second temps de l’exposition, consacré à l’œuvre des Lippi père et fils et leurs dialogues avec d’autres peintres, présente des toiles de grande envergure.
Un père, un fils : deux styles
"Autoportrait", Filippino Lippi (XVIIè s.).
© Gabinettio fotografico della soprintendenza per il patrimonio storico, artistico ed etnoantropologico e per il polo museale della citta di Firenze.
Aux couleurs chaudes et dorures des pièces du père, dont certaines sont reproduites – à l’instar de L’Annonciation avec saint Julien hospitalier, dont la copie par Trombetto est mise en évidence aux côtés de l’original – ou achevées par ses collaborateurs et disciples – au premier rang desquels Fra Diamante et Domenico di Zanobi –, répondent les teintes plus sombres des tableaux de Filippino Lippi. Témoin, le retable Vierge à l’Enfant avec saint Étienne et saint Jean-Baptiste, empreint de mélancolie. « Les personnages sont comme absents », poursuit Maria Pia Mannini. Pour la commissaire, directrice du musée municipal du Prato, et sa collègue, Cristina Gnoni Mavarelli, l’évolution de style est en grande partie liée à l’histoire personnelle des peintres. Et leur exposition de montrer ce va-et-vient incessant entre les scènes religieuses et la vie privée de leurs peintres : « L’exposition montre que l’histoire humaine se reflète dans les tableaux. Lippi est un artiste, certes, mais c’est aussi un homme ! »
Le père de Filippino, par exemple, se met en scène dans certains de ses tableaux. Et l’on peut déceler, dans l’une des plus grandes pièces de l’exposition, La Vierge à la ceinture, sous le visage doux et jeune de la sainte patronne du couvent, les traits de Lucrezia Buti. De même, l’expression du petit Jésus au centre du tableau Nativité avec Saint Georges et Saint Vincent Ferrer se veut représentative de celle d’un enfant de son âge ; or, ce tableau fait partie de la série des « Adorations de l’enfant » que Lippi peint dans les années 1450-1460, alors que ses deux enfants viennent de naître… Ainsi, au-delà même des impressions d’ensemble qui se dégagent respectivement des œuvres du père et du fils, liées à leurs caractères – Maria Pia Mannini, dans le catalogue, parle de « l’excès de son génie, son appétit de vivre, toujours à mi-chemin entre la normalité et la fureur […] un tempérament d’artiste excessif et insubordonné », au sujet du père –, des éléments directement empruntés de leurs vies se retrouvent dans leurs tableaux.
La commissaire invoque également la différence de contexte historique entre le père et le fils : le premier peint alors que la Renaissance est à son apogée ; le second est à la fin de la Renaissance, alors que les valeurs se dissolvent… « On dit de ceux qui ont vécu à cette époque qu’ils sont « nés sous saturne », et qu’ils étaient régis par la contemplation et la mélancolie ». Mais cet assombrissement n’empêche pas Filippino Lippi d’être également une inspiration pour ses contemporains. Ainsi, la dernière partie de l’exposition présente les œuvres de différents peintres – Luca Signorelli, Zanobi Poggini, Raffaellino del Garbo – marqués par le travail du père et du fils… Et l’exposition de rendre, ainsi, aux Lippi ce qui appartient aux Lippi.
Ce printemps, la peinture italienne est à l’honneur : le musée Jacquemart-André présente, jusqu’au 21 juin, Les Primitifs italiens qui ont précédé les artistes de la Renaissance.
kézako
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