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Peinture

Francis Gruber, l’œil à vif

par Danielle Birck

Article publié le 12/06/2009 Dernière mise à jour le 15/06/2009 à 12:55 TU

<em>Hommage à Jacques Callot </em>(1942)© Adagp 2009, Paris.

Hommage à Jacques Callot (1942)
© Adagp 2009, Paris.


La ville de Nancy, dans l’est de la France, rend hommage à l’un des siens, avec une première exposition entièrement consacrée au peintre Francis Gruber, au musée des Beaux arts. Né à Nancy en 1912 et mort à Paris en 1948, fils de Jacques Gruber, le célèbre maître verrier de l’Ecole de Nancy, cet artiste a laissé, en dépit de la brièveté d’une vie fragilisée par la maladie - asthmatique il mourra de tuberculose - une œuvre importante, intense et douloureuse, marquée par la réalité tragique de l’Histoire, avec la montée des fascismes et la Seconde guerre mondiale.

<em>Le lit rouge </em>(1944)© MNHA Luxembourg.

Le lit rouge (1944)
© MNHA Luxembourg.

Une époque qui a aussi permis à Francis Gruber de côtoyer les plus grands : Braque, Picasso, Giacometti, Balthus … dont certains deviendront des amis, et dont l’influence se fera sentir dans certains oeuvres. Comme par exemple celle de Balthus dans la série Le Lit rouge. En fait, plus que d’influence il faudrait parler d’esprit d’ouverture, qui au delà de son attachement indéfectible à la figuration, le fait se confronter à des expériences artistiques diverses, comme en témoignent les 70 œuvres exposées, portraits, nus, paysages, compositions allégoriques.    

Des œuvres qui puisent aussi dans la tradition des maîtres anciens des écoles du Nord, Bosch, Grünewald ou le peintre et graveur Dürer, et bien sûr Jacques Callot, le célèbre graveur et dessinateur lorrain, de la première moitié du XVIIe siècle, auteur entre autres des Gueux et des Misères de la guerre. Cette dernière est une œuvre de résistance à l’invasion de la Lorraine, qu’il réalise après avoir refusé d’exécuter Le siège de Nancy demandé par le roi…

<em>Autoportrait (1942)</em>© Adagp 2009, Paris.

Autoportrait (1942)
© Adagp 2009, Paris.

C’est aussi un acte de résistance que signe Francis Gruber avec cet Hommage à Jacques Callot qu’il peint en 1942, pour une exposition dans une galerie parisienne où trente peintres avaient réalisé chacun un tableau évoquant leur maître  de prédilection. Derrière l’hommage respectueux au graveur, avec la représentation fidèle du « mendiant à la jambe de bois », issue de la série Les Gueux, il y a l’expression de la haine et de la souffrance infligées par la guerre. La censure allemande fera ôter du tableau, avant le vernissage, un bouquet tricolore que brandissait le personnage central. Mais l’occupant nazi, dont un aigle aux serres aiguisées symbolise très certainement l’étouffante présence, ne sera pas en mesure de déceler l’intensité de la charge et les allusions contenues dans ce « tableau manifeste ». Par exemple, le fait qu’un  Charles peut en cacher un autre : le Charles de Lorraine, lésé par Louis XIII et Louis XIV, n’évoquerait-il pas Charles de Gaulle ?

<em>Paysage de printemps</em> (1948)© Musée d'Art Moderne/ R.Viollet.

Paysage de printemps (1948)
© Musée d'Art Moderne/ R.Viollet.

C’est sa  manière à lui de résister, car pendant la guerre, malade, Francis Gruber  restera bloqué à Paris, tandis que ses camarades rejoignent la résistance ou fuient la capitale. Un isolement dont il souffre terriblement, car il est engagé depuis les années 1930, notamment au sein de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires puis de la Maison de la  culture, et après guerre sera adhérent, comme nombre d’artistes de sa génération, du Parti communiste français. Ce qui lui valut « d’être assimilé aux artistes qui de Boris Taslittzky à  Fougeron, allaient bientôt former sous la houlette de Louis Aragon les cohortes du Réalisme socialiste français », écrit Daniel Abadie dans le catalogue de l’exposition. Ce qui explique que reconnue et exposée avant guerre, l’œuvre de Francis Gruber ait subi ensuite une sorte d’éclipse, en dépit de son originalité et de sa force.

Cette rétrospective au Musée des Beaux arts de Nancy est donc la bienvenue.  Elle sera ensuite accueillie, du 19 septembre au 31 décembre 2009, au musée Roger-Quillot de Clermond-Ferrand.