par Danielle Birck
Article publié le 07/05/2009 Dernière mise à jour le 07/05/2009 à 16:30 TU
L’entrée se fait par l’atelier, au rez-de-chaussée, sur la cour pavée. On est tout de suite de plein pied avec le processus de fabrication, ses matériaux - bois, métal, cuir, tissus, mousse, etc.- et leurs odeurs mêlées sur fond sonore de machine à coudre… On ne fait que traverser l’atelier - on y reviendra plus tard – pour gagner l’étage où se trouvent les bureaux et le show-room, où sont exposées quelques réalisations du tandem. Le tandem, justement, comment est-il né ?
Une histoire de co-voiturage
Bruno Domeau raconte « Ça a commencé il y a presque quinze ans. On travaillait ensemble dans une entreprise et on a fait du co-voiturage, tout simplement. On avait trois quarts d’heure de route dans un sens, trois quarts d’heure dans l’autre sens. On a discuté ensemble de métier, de passion… et on est arrivé à cette conclusion que si on voulait demain faire quelque chose qui nous plaise vraiment, il fallait qu’on crée notre propre lieu de travail ».
"Quand Jim monte à Paris" (1995) un projet emblématique de Matali Crasset, édité par Domeau et Pérès. Cette « colonne d'hospitalité » se déplie et devient lit avec une petite lampe et un réveil.
(Source : Matali Crasset)
Une rêverie d’abord, dont le sellier (Bruno Domeau) et le tapissier (Philippe Peres) vont faire une réalité : « on travaille les mêmes matériaux souples mais dans des domaines différents. L’objectif c’était qu’on s’associe, pour casser un peu ces barrières et ces codes et être ouvert au plus large éventail de propositions dans le domaine de la création, qu’elles émanent de plasticiens, designers, décorateurs, stylistes… » En février 1996 la société Domeau & Peres voyait le jour, bientôt installée à la Garenne-Colombes, dans un box de 30 mètres carrés qui allait s’agrandir au fur et à mesure que des locaux alentours se libéraient.
Le siège : de la silhouette à la réalisation
Au cœur de leur activité, le siège, objet auquel s’appliquent par excellence les matériaux souples - cuir et tissu - du sellier et du tapissier et qui constitue une part importante de la création des designers, « la chaise ou le fauteuil étant plus souvent médiatisé que d’autres créations », souligne Philippe Pérès. Des sièges qui répondent à leur double exigence de confort et d’esthétique, avec un savoir faire qui, s’il est omni présent dans leur travail, sait se faire discret au service des designers : « Tous ces créatifs nous amènent des ‘silhouettes’ de sièges. Dans la silhouette on ne voit pas la structure, l’impact que peuvent avoir les matériaux de garnissage – mousse, ressorts ou crin. On met notre pratique et notre savoir faire au service de cette silhouette, pour aller à l’essentiel du dessin et pas à l’ornementation décorative ». Bref, un travail proche de l’épure, « toujours à la recherche de plus de moins », pour reprendre la formule de Philippe Pérès.
D’autant plus que Domeau & Pérès travaillent avec des designers à « fort tempérament », comme, entre autres, Ronan et Erwan Bouroullec, Matali Crasset, Christophe Pillet, Andrée Putman … Mais des designers qui sont aussi le résultat d’un « choix artistique » tient à préciser Philippe Pérès. Car Domeau & Pérès ne sont pas seulement de « bons façonneurs », comme on les présente parfois, et leur savoir-faire va de pair avec une réflexion esthétique. : « On est curieux de tout et insatisfaits de ce qu’on sait faire et aussi on a envie de surprendre les créateurs avec qui on travaille » ! Sans « courant qui passe », sans « alchimie » avec le designer, impossible de mener à bien un projet. « La force du designer, c’est de nous faire rêver, explique Bruno Domeau, et nous on est là pour bâtir le rêve avec nos métiers et notre capacité à construire. Le designer ne fait que proposer une idée à travers son dessin … C’est là où se joue notre complémentarité et où peut se faire – ou pas – l’alchimie ».Et de citer en exemple leur travail avec Eric Jourdan : « Eric sait redessiner si quelque chose ne va pas, c’est son métier, comme le nôtre c’est de refaire une pièce. Il redessine, et si on est dans l’atelier, tout de suite on prend un morceau de tissu ou de cuir qu’on coud à la machine, ou un morceau de bois qu’on va couper, coller, et faire un essai, pour tenter de formaliser l’idée, de la construire ». Tout un long processus d’échange et de dialogue, jusqu’à la réalisation de l’objet.
En l’occurrence ce fauteuil réalisé avec Eric Jourdan, un siège pour u club de golf et destiné à rester en permanence dehors. A cette contrainte, s’ajoutait aussi celle de « goût » que Domeau et Pérès avait perçue chez le client, « quelqu’un qui aime bien les années 1940/1950, le style ‘art minimal’, précise Bruno Domeau. On est donc parti sur un siège basique, assez rustique, fait avec des planches fixées avec des vis apparentes en inox, équipé de petits coussins fixes en mousse imputrescible recouverts d’un tissu séchant assez vite et résistant aux intempéries ».
Ergonomie et confort
Un côté rustique qui, comme on peut le constater en s’asseyant dans le fauteuil, n’exclut pas le confort. Bruneau Domeau enchaîne : « Avant de parler confort, il faut parler d’ergonomie : l’inclinaison d’une assise, d’un dossier, la position des bras sur les accoudoirs, tout cela, c’est à dire la position sur le siège relève de l’ergonomie, qui participe du confort, qu’on peut accentuer avec des coussins. Mais si l’ergonomie est ratée, ce ne sont pas les coussins qui vont créer le confort. Celui-ci dépend au final de la structure même du siège ».
L’ergonomie nous amène aux réalisations de Domeau & Pérès pour l’aéronautique. « Les matériaux utilisés sont souvent normés et obligatoires, donc on doit faire avec. Les encombrements aussi sont définis, c’est donc à nous de trouver comment travailler », indique Philippe Pérès. Par contre, comme « le choix du décor intérieur – le garnissage des voûtes et l’habillage des sièges – se fait souvent bien en amont de la construction de l’appareil, le siège est donc, pour le client, l’occasion d’une première appropriation de son avion. Et ça c’est très agréable ».
Ils viennent justement de terminer l’aménagement d’un avion pour « un très grand couturier » - on n’en saura pas plus. Un travail effectué avec Marc Newson, le designer australien installé à Londres pour qui ils ont réalisé récemment la boutique Chaussure d’Azzédine Alaïa à Paris. Un designer qui leur fait « énormément confiance » et dont de leur côté ils admirent le travail et l’esthétisme, d’où, c’est Philippe Pérès qui parle, « une espèce de complicité très agréable parce qu’elle nous permet de lier notre passion pour la création et notre passion pour le savoir faire et on a l’impression d’avoir des ailes, d’aller très loin »…
La passion du cuir
On redescend sur terre, et même au rez-de-chaussée, dans l’atelier, où l’on se trouve nez à nez avec … une Fiat 500 rutilante, « clin d’œil amical aux italiens » et une façon de montrer leur compétence à l’occasion du salon de Milan. Une Fiat 500 qu’ils ont « lookée » à leur façon, avec une peinture blanc porcelaine, « qu’on n’a trouvée que chez Rolls Royce ! Et un flash d’or 14 carats sur toutes les parties métalliques extérieures ». A l’intérieur, leur cœur de métier avec : « quelque chose de très naturel, un cuir havane de veau un peu gras, traditionnellement utilisé pour le harnachement, et qui va se patiner ».
Le cuir, justement. Bruno Domeau est intarissable sur le sujet. Devant des peaux entières empilées sur des tréteaux, il évoque les différents types de cuir utilisés, toujours « des peaux d’animaux destinés à la viande, à la consommation ». Ils se fournissent auprès de tanneurs ou de revendeurs, en France ou à l’étranger, le métier de tanneur se faisant « de plus en plus rare en France à cause de la pollution », avec le rejet de chrome dans les rivières.
De grandes peaux teintes en blanc, « du taurillon, un cuir assez épais, presque 3mm d’épaisseur – le standard étant de 1,2 mm », précise-t-il. Une épaisseur qui permet paradoxalement de travailler « plus en finesse », par exemple « de dégraisser le cuir en périphérie pour faire des coutures ou des rebords sans qu’on sente de surépaisseur ». On admire le cuir « pleine fleur », le « grain naturel » et ses variations sur le corps de l’animal, « à l’arrière de la bête, la peau est la plus belle, en allant vers la tête on va avoir des ‘rides’, les rides du cou du taureau »…
Il y a aussi de la vache, de la vachette, du petit veau, du cheval ou du buffle. Voici justement « un buffle traité en bronze, pour une voiture - une Mercedes Pagode 230 SL de 1964 - qu’on va ‘looker’ avec nos yeux, nos goûts et notre passion… En harmonie avec la couleur de la carrosserie : ça va être une voiture monochrome, et ce qui va ressortir, ce seront les chromes et… les passagers »!
« C’est vrai – et c’est Philippe Pérès qui prend la parole - on a l’impression qu’il y a un réel phénomène de mode autour du cuir. Contrairement à l’époque où nous avons commencé à travailler… Pour les gens, un tissu reste un tissu, même s’il est cinq ou dix fois plus cher que le cuir ».
Un artisanat du XXIe siècle
Plutôt que de « luxe », chez Domeau & Pérès on préfère parler « de produits de qualité, bien maîtrisés, bien réfléchis, avec une destination bien précise. C’est vrai que ça a un coût », constate Bruno. Philippe approfondit le sujet « Toute la difficulté c’est de savoir si le luxe est synonyme de marque, là c’est un autre problème. On achète une sacoche de marque de luxe en plastique et on la jette au bout de deux ans. Ça c’est une logique de consommation ». Et ce n’est pas leur culture, ni leur formation, au sellier et au tapissier, issus de milieux plutôt modestes et qui ont commencé le métier très jeune, « à 14 ans », précise Philippe. Un métier qui « a fait office d’éducation ».
Domeau & Pérès sont des artisans. « Je suis content d’être à mon établi, travailler mon morceau de cuir, mon bout de tissu, et je me sens plus créatif à cet endroit là qu’ailleurs », constate Bruno. Mais des artisans en contact permanent avec la création, qui travaillent avec des designers, des architectes ou des artistes. « On vit notre artisanat au XXIe siècle », renchérit Philippe. «On est à la page, on sait ce qui se passe, et on sait communiquer, parce que c’est un outil de travail ».
On confirme. Après deux heures passées avec eux, humour et sérieux mêlés, oui, ils savent communiquer…
Les sièges de la Villa Arpel : une entreprise paradoxale |
Pour Domeau & Pérès, Bruno et Philippe, leur « interprétation » - ils tiennent beaucoup à ce terme - des sièges de Mon Oncle, à l’occasion de la reconstitution de la villa Arpel, décor et vedette du célèbre film de Jacques Tati, a été l’occasion d’une réflexion sur la société et leur métier.
Une entreprise paradoxale, en effet, que celle qui les a contraints à « travailler sur l’inconfort. Car ces sièges qui jouent un rôle dans le film et ont été fabriqués pour l’occasion, explique Bruno Domeau, sont liées à l’inconfort, puisque Tati voulait dénoncer une manière de paraître des personnages qui veulent avoir l’air ‘moderne’. On a donc travaillé à l’encontre de notre métier ».
Pour les éditeurs de mobilier contemporain que sont Domeau & Pérès, l’opération Tati a aussi été « une forme d’autocritique » par rapport à leur métier et le « snobisme » qui entoure parfois la création contemporaine. « Il y a des designers tellement pointus dans leur idée, jusqu’au-boutistes, qu’on arrive à des fauteuils qui n’en sont pas parce qu’on ne peut pas s’asseoir dessus », constate Bruno Domeau, en soulignant qu’il y a toujours eu « des meubles d’apparat » uniquement destinés à donner de l’importance à ceux qui les possédaient. « Nous aussi on joue avec ça, on n’en est pas dupe. Nous ne sommes pas seulement des fabricants qui fabriquent pour fabriquer. On cherche, on réfléchit par rapport à un univers, un style de vie, un art de vivre et on essaie de défendre cette idée là ». Ecouter Philippe PérèsTati a au moins 40 ans d'avance Ecouter Bruno DomeauOn s'est fié à notre oeil pour interpréter les sièges de Tati |
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