Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Architecture

Luc Weizmann, ou la dimension spirituelle

par Danielle Birck

Article publié le 09/10/2009 Dernière mise à jour le 12/10/2009 à 14:23 TU

Introduire une dimension culturelle et artistique dans des ouvrages a priori techniques comme un barrage ou une station d’épuration des eaux, c’est la conception de l’architecture que s’est forgée Luc Weizmann et qu’illustre sa dernière réalisation, le nouveau barrage sur le Couesnon, dans la baie du Mont-Saint-Michel. RFI a rencontré l’architecte à cette occasion.
Luc Weizmann (Photo : Danielle Birck/ RFI)

Luc Weizmann
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

RFI : Sur la fiche technique du barrage, on peut lire les noms de consultants épigraphes, de trois calligraphes, d’un graphiste… Pour un barrage, c’est plutôt étonnant, non ?

L.W. : En fait, c’est un barrage qui n’est pas un barrage… Il s’appelle « barrage de la caserne » , et ça n’est ni un barrage, ni une caserne. C’est un équipement complètement poreux à l’eau, a l’opposé de la fonction de barrage, et un lieu complètement ouvert à la foule et au public, le contraire d’une caserne. Dans cette contradiction, entre ce nom ingrat « barrage de la caserne », au top de l’anti-séduction, et la réalité, il y a finalement une forme d’intériorisation et de discrétion de l’ouvrage.

Vue du Mont depuis le pont-promenade(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Vue du Mont depuis le pont-promenade
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

 Parce que c’est le génie du lieu qui gouverne tout cela et pas la fonction elle-même, on n’a pas fait une machine « autiste », mais une machine au service de l’environnement et elle n’a de sens que s’il y a symbiose avec le lieu, un lieu porteur de culture, d’une densité extrême, historique, géographique, imaginaire, spirituelle… Si cet ouvrage hydraulique n’a pas sa dimension culturelle intrinsèque, ça n’a pas de sens…

RFI : D’où les calligraphes et les alphabets romain, grec, arabe, hébreu et l’horloge cosmique – gravés dans le pupitre en bronze sur lequel on s’appuie pour regarder le Mont… comme, côté machinerie, les chiffres  sur les dalles des vannes …

Chiffres(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Chiffres
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

L.W. : J’essaie depuis longtemps de faire intervenir des artistes sur mes projets… Le métier d’architecte m’intéresse par sa dimension artistique - et non pas technique ou quantitatif -  et j’ai découvert  ce plaisir de donner du sens à quelque chose qui apparemment n’était que fonctionnel … Au Mont, je voulais aussi faire intervenir plein d’artistes. Je voulais que le pupitre des lettres soit composé de morceaux de bronze du monde entier. Je l’avais proposé dans le texte du concours et je me suis rendu compte que c’était complètement fou et trop subjectif (choisir tel artiste plutôt que tel autre) pour un lieu où c’était l’objectivité qui primait. Et ces quatre alphabets renvoient aux  fondements de la civilisation occidentale, dont le Mont-Saint-Michel est un témoignage. Il n’y a pas d’ésotérisme, de sens caché, c’est juste l’inscription d’un sens dans la matière ou la réalité où on ne l’attendrait pas et faire en sorte que les gens demandent « qu’est-ce que c’est que cette lettre ? ».

La  machine a longtemps été comme un mécanisme à clore la question, alors qu’elle peut ouvrir le questionnement. Il y a un plaisir plastique, de l’émotion à travailler sur un ouvrage comme celui-ci, qui au fond, a autant de sens qu’une école ou un stade… Je sais que le maître d’ouvrage est très questionné sur le coût de l’investissement, mais c’est moins cher qu’un stade de foot d’un club de première division...

RFI : L’exaltation de la dimension culturelle et artistique, si elle apparait évidente pour le Mont-Saint-Michel, l’est peut-être moins pour d’autres projets ?  

Bas-relief "Le cycle de l'azote" à la station d'épuration d'Achères(Photo : Hervé Abbadie)

Bas-relief "Le cycle de l'azote" à la station d'épuration d'Achères
(Photo : Hervé Abbadie)

L.W. : C’est une position que je sens de plus en plus et qui va de pair avec une affirmation de l’architecture  comme un espace de production au service de l’intérêt général. Le hasard m’a fait travailler sur des ouvrages liés à l’eau, des stations d’épuration des eaux usées. J’appelle ça des « architectures de l’ingratitude »…  Je me suis rendu compte que ce qui était considéré comme le rebut de notre société était en fait un vecteur de sens extraordinaire. Cette eau chargée en pollution est aussi chargé de tout ce que notre société ne veut pas voir et qu’elle révèle. A partir de là, une poétique peut naître, qui est en fait une interrogation par rapport à nos comportements…

Quand j’ai eu cette opportunité, il y a presque vingt ans, de travailler sur un projet important de station d’épuration, puis à un autre, j’ai accédé à une échelle de projets que j’ai trouvé passionnante, et aussi à une certaine forme de vérité : on ne triche pas. Quand on fait une usine on est astreint à une certaine vérité que je trouve intéressante.

Ce qui est très particulier aussi – sinon je ne le ferais pas – c’est qu’on travaille avec des maîtres d’ouvrage publics qui disposent de beaucoup de moyens -  les investissements sont tellement importants que la part de la qualité architecturale ne pèse relativement pas grand-chose - et sur des projets souvent dans des sites naturels magnifiques.

Le barrage de Chatou (Ile-de-France).(Photo : Luc Weizmann)

Le barrage de Chatou (Ile-de-France).
(Photo : Luc Weizmann)


Comme Achères, avec les boucles de la Seine, la forêt de Saint-Germain-en-Laye, les coteaux, ou le Mont Saint-Michel et je me suis rendu compte qu’une des joies que j’avais sur des projets techniques, c’était aussi d’avoir ce rapport très direct à la nature. Une chose en entrainant une autre dans ce microcosme de l’architecture, j’ai été retenu récemment pour un projet de barrage sur la Seine à côté de Melun, dans un site magnifique.

RFI : qu’est-ce qui vous a poussé à faire de l’architecture ?

L.W. : J’étais en terminale, je préparais un bac C et mon père – qui n’avait aucun lien particulier avec l’architecture – m’a dit : tu es bon en dessin, en art, et  bon en maths, tu devrais faire architecture. Il faut un esprit artiste, il faut anticiper, être un peu bohème, et en même temps il faut avoir les pieds sur terre pour gérer une réalité économique, technique, enfin toute une réalité assez complexe. Et ce qui m’intéresse, c’est la conjonction des deux : l’efficience du réel et en même temps l’ouverture d’une dimension d’un autre ordre. Cette idée de construire quelque chose qui peut contenir autre chose que sa fonction propre, sa finalité première, c’est au fond le fait même de l’architecture. Ce qui se limite à sa propre fonction est une construction, pas une architecture.

Pour le barrage, par exemple, si on s'en tient à sa fonction, c’est de l’ingénierie. Je me suis d’ailleurs fait reprocher par pas mal de monde, des ingénieurs, que le monument était le Mont-Saint-Michel et que ce que je faisais était trop beau ! C’est violent, quand on vous dit ça après cinq ans de travail sur un projet qu’on a gagné par concours. Pour le pupitre en bronze par exemple, on m’a dit que l’argent de l’Etat ne doit pas passer dans des trucs comme ça, pareil pour les lettres qui y sont inscrites.  Et pourtant quand je vois la fierté des maîtres d’ouvrages quand ils font visiter la station d’épuration à Achères, en évoquant le fait qu’il y a un artiste qui s'y soit exprimé... Une fierté citoyenne. Pour moi c’est cela l’architecture. C’est un travail un peu missionnaire qu’on mène.

Immeuble de logements à Rennes (Bretagne).(Photo : Jean-Marie Monthiers)

Immeuble de logements à Rennes (Bretagne).
(Photo : Jean-Marie Monthiers)

Mais tout est possible en fonction des opportunités : j’ai dessiné un luminaire, des meubles, fait des logements - à Rennes -  des bureaux… Il n’y a pas d’échelle… On peut tout faire… mais je n’ai pas envie que mon agence grossisse trop, pour garder le contact avec le projet. Je ne suis pas un chef d’entreprise, mais un architecte, j’ai besoin d’être sur le chantier. Pour le pupitre du barrage, je suis allé à plusieurs reprises à Lyon pour le coulage du bronze, j’ai appris plein de choses avec le fondeur. Je me rends compte que je suis un artisan.... 

... Le reste c’est mon parcours artistique, personnel, qui est une recherche de conjonction  entre le réel avec toute sa difficulté et une dimension de rêve et de spirituel qui est vitale pour tenir le coup dans ce monde difficile  …

Horloge pupitre(Photo : Bellenger)

Horloge pupitre
(Photo : Bellenger)

portrait

Post mortem

© Masson

Gérald Reisberg, thanatopracteur

C’est une pratique très ancienne que celle qui consiste à effectuer des soins sur le corps après la mort pour le conserver. En France, la profession a été organisée et réglementée en 1994 avec une formation et un diplôme en thanatopraxie.   

27/10/2009 à 14:11 TU

Design

(Photo : Romain Sellier)

La cabane de pêcheur de Kristian Gavoille

Lieu de rendez-vous des touristes ou résidents à Saint-Tropez, le quai Jean Jaurès aligne ses terrasses. Comme celle du Girelier, établissement cinquantenaire qui vient de se refaire un look.C’est dans une cabane de pêcheur que l’architecte et designer Kristian Gavoille a puisé son inspiration pour redessiner le lieu…

04/08/2009 à 15:51 TU

Gastronomie

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

François-Xavier Bogard, assiettes de couleur

Faire une cuisine « en symbiose avec le travail des jardins, en fonction du thème choisi chaque année par le Festival pour exprimer le paysage, l’art paysager contemporain », c’est le défi auquel est confronté depuis une dizaine d’années le chef du Grand Velum, le restaurant gastronomique du Festival international des Jardins de Chaumont-sur-Loire, dans le centre de la France

30/06/2009 à 16:08 TU

Botaniste urbain

Patrick Blanc(Photo : DR)

Patrick Blanc, inventeur des murs végétaux

En 1994, ce passionné de la végétation tropicale réalise son premier mur végétal pérenne au Domaine de Chaumont-sur-Loire, à l’occasion du Festival international des jardins. Quinze ans plus tard, il est de retour sur les lieux avec une œuvre inédite. Entre temps l’homme aux cheveux verts a fait fleurir ses murs à Paris et un peu partout dans le monde et poursuivi ses recherches sur l’adaptation des plantes tropicales en milieu urbain. RFI l’a rencontré à Chaumont-sur-Loire, au pied du mur…

30/06/2009 à 17:03 TU

Tandem

Bruno Domeau et Philippe Pérès.(Photo : Domeau et Pérès)

Domeau & Pérès, éditeurs de mobilier contemporain

En un peu plus de dix ans Bruno Domeau et Philippe Pérès ont fait de leur société un label synonyme de qualité et de confort. Le sellier et le tapissier ont uni leurs talents et mis au service de designers leurs compétences, leur savoir-faire, leur goût du « métier » et leur insatiable curiosité. Ils créent des pièces de mobilier contemporain, notamment des sièges destinés à l’habitat, mais aussi à l’aéronautique et l’automobile. Sans oublier le cinéma : c’est à Domeau & Pérès qu’on doit « l’interprétation » de trois sièges pour la reconstitution du décor de Mon Oncle, le film de Jacques Tati.

07/05/2009 à 16:30 TU

Politiquement correct

(Photo : Reuters)

Mon Oncle privé de sa pipe


Au nom de la loi "anti-tabac", un moulin à vent remplace la pipe de Jacques Tati / Mon Oncle sur les affiches du métro parisien…

22/04/2009 à 09:39 TU

Arts et métiers

(Photo : Caroline Lafargue/ RFI)

Christophe Le Tahitien, Compagnon menuisier

Directeur général de L’Atelier78, une entreprise de menuiserie d’art et d’agencement, Christophe Le Tahitien porte haut la couleur bleue de ses Compagnons menuisiers. Après 20 années de bonheur à l’établi, il a pris du galon et coordonne des chantiers de luxe à travers le monde, tout en transmettant les valeurs du compagnonnage : fraternité, équité et goût de l’effort pour le bien commun.

01/04/2009 à 14:09 TU

Gastronomie

Mathieu Viannay.(Photo : M. Davals)

Mathieu Viannay, ou comment faire évoluer la tradition

A 41 ans, le chef lyonnais (d’adoption) a repris le restaurant mythique de la Mère Brazier, créé en 1921 et qui a conservé pendant une trentaine d’années les trois étoiles acquises en 1933. Une véritable institution que Mathieu Viannay a entièrement rénovée et entend faire revivre entre tradition et modernité, en toute liberté mais avec rigueur.

Un pari réussi, puisque le guide Michelin vient de rendre à la Mère Brazier deux de ses trois étoiles...

09/03/2009 à 15:38 TU

Paris-Rome

(Photo : Pascal Gautrand)

Pascal Gautrand : pensionnaire «mode» de la Villa Médicis

Il est le premier « designer mode » à avoir été admis en résidence à la prestigieuse Villa Médicis, siège de l’Académie de France à Rome. Un séjour que Pascal Gautrand souhaite mettre à profit pour poursuivre la réflexion qu’il mène depuis une dizaine d’années sur le vêtement et le système de la mode. Une réflexion qu’il met en scène avec une exposition de chemises, présentée à Rome dans une galerie d’art contemporain du 1er au 20 février 2009.

02/02/2009 à 09:22 TU

A lire aussi

Que d'eau !

(Photo : Hervé Abbadie)

Des eaux bien traitées

02/12/2008 à 10:55 TU