par Danielle Birck
Article publié le 09/10/2009 Dernière mise à jour le 12/10/2009 à 14:23 TU
RFI : Sur la fiche technique du barrage, on peut lire les noms de consultants épigraphes, de trois calligraphes, d’un graphiste… Pour un barrage, c’est plutôt étonnant, non ?
L.W. : En fait, c’est un barrage qui n’est pas un barrage… Il s’appelle « barrage de la caserne » , et ça n’est ni un barrage, ni une caserne. C’est un équipement complètement poreux à l’eau, a l’opposé de la fonction de barrage, et un lieu complètement ouvert à la foule et au public, le contraire d’une caserne. Dans cette contradiction, entre ce nom ingrat « barrage de la caserne », au top de l’anti-séduction, et la réalité, il y a finalement une forme d’intériorisation et de discrétion de l’ouvrage.
Parce que c’est le génie du lieu qui gouverne tout cela et pas la fonction elle-même, on n’a pas fait une machine « autiste », mais une machine au service de l’environnement et elle n’a de sens que s’il y a symbiose avec le lieu, un lieu porteur de culture, d’une densité extrême, historique, géographique, imaginaire, spirituelle… Si cet ouvrage hydraulique n’a pas sa dimension culturelle intrinsèque, ça n’a pas de sens…
RFI : D’où les calligraphes et les alphabets romain, grec, arabe, hébreu et l’horloge cosmique – gravés dans le pupitre en bronze sur lequel on s’appuie pour regarder le Mont… comme, côté machinerie, les chiffres sur les dalles des vannes …
L.W. : J’essaie depuis longtemps de faire intervenir des artistes sur mes projets… Le métier d’architecte m’intéresse par sa dimension artistique - et non pas technique ou quantitatif - et j’ai découvert ce plaisir de donner du sens à quelque chose qui apparemment n’était que fonctionnel … Au Mont, je voulais aussi faire intervenir plein d’artistes. Je voulais que le pupitre des lettres soit composé de morceaux de bronze du monde entier. Je l’avais proposé dans le texte du concours et je me suis rendu compte que c’était complètement fou et trop subjectif (choisir tel artiste plutôt que tel autre) pour un lieu où c’était l’objectivité qui primait. Et ces quatre alphabets renvoient aux fondements de la civilisation occidentale, dont le Mont-Saint-Michel est un témoignage. Il n’y a pas d’ésotérisme, de sens caché, c’est juste l’inscription d’un sens dans la matière ou la réalité où on ne l’attendrait pas et faire en sorte que les gens demandent « qu’est-ce que c’est que cette lettre ? ».
La machine a longtemps été comme un mécanisme à clore la question, alors qu’elle peut ouvrir le questionnement. Il y a un plaisir plastique, de l’émotion à travailler sur un ouvrage comme celui-ci, qui au fond, a autant de sens qu’une école ou un stade… Je sais que le maître d’ouvrage est très questionné sur le coût de l’investissement, mais c’est moins cher qu’un stade de foot d’un club de première division...
RFI : L’exaltation de la dimension culturelle et artistique, si elle apparait évidente pour le Mont-Saint-Michel, l’est peut-être moins pour d’autres projets ?
L.W. : C’est une position que je sens de plus en plus et qui va de pair avec une affirmation de l’architecture comme un espace de production au service de l’intérêt général. Le hasard m’a fait travailler sur des ouvrages liés à l’eau, des stations d’épuration des eaux usées. J’appelle ça des « architectures de l’ingratitude »… Je me suis rendu compte que ce qui était considéré comme le rebut de notre société était en fait un vecteur de sens extraordinaire. Cette eau chargée en pollution est aussi chargé de tout ce que notre société ne veut pas voir et qu’elle révèle. A partir de là, une poétique peut naître, qui est en fait une interrogation par rapport à nos comportements…Quand j’ai eu cette opportunité, il y a presque vingt ans, de travailler sur un projet important de station d’épuration, puis à un autre, j’ai accédé à une échelle de projets que j’ai trouvé passionnante, et aussi à une certaine forme de vérité : on ne triche pas. Quand on fait une usine on est astreint à une certaine vérité que je trouve intéressante.
Ce qui est très particulier aussi – sinon je ne le ferais pas – c’est qu’on travaille avec des maîtres d’ouvrage publics qui disposent de beaucoup de moyens - les investissements sont tellement importants que la part de la qualité architecturale ne pèse relativement pas grand-chose - et sur des projets souvent dans des sites naturels magnifiques.
Comme Achères, avec les boucles de la Seine, la forêt de Saint-Germain-en-Laye, les coteaux, ou le Mont Saint-Michel et je me suis rendu compte qu’une des joies que j’avais sur des projets techniques, c’était aussi d’avoir ce rapport très direct à la nature. Une chose en entrainant une autre dans ce microcosme de l’architecture, j’ai été retenu récemment pour un projet de barrage sur la Seine à côté de Melun, dans un site magnifique.
RFI : qu’est-ce qui vous a poussé à faire de l’architecture ?
L.W. : J’étais en terminale, je préparais un bac C et mon père – qui n’avait aucun lien particulier avec l’architecture – m’a dit : tu es bon en dessin, en art, et bon en maths, tu devrais faire architecture. Il faut un esprit artiste, il faut anticiper, être un peu bohème, et en même temps il faut avoir les pieds sur terre pour gérer une réalité économique, technique, enfin toute une réalité assez complexe. Et ce qui m’intéresse, c’est la conjonction des deux : l’efficience du réel et en même temps l’ouverture d’une dimension d’un autre ordre. Cette idée de construire quelque chose qui peut contenir autre chose que sa fonction propre, sa finalité première, c’est au fond le fait même de l’architecture. Ce qui se limite à sa propre fonction est une construction, pas une architecture.
Pour le barrage, par exemple, si on s'en tient à sa fonction, c’est de l’ingénierie. Je me suis d’ailleurs fait reprocher par pas mal de monde, des ingénieurs, que le monument était le Mont-Saint-Michel et que ce que je faisais était trop beau ! C’est violent, quand on vous dit ça après cinq ans de travail sur un projet qu’on a gagné par concours. Pour le pupitre en bronze par exemple, on m’a dit que l’argent de l’Etat ne doit pas passer dans des trucs comme ça, pareil pour les lettres qui y sont inscrites. Et pourtant quand je vois la fierté des maîtres d’ouvrages quand ils font visiter la station d’épuration à Achères, en évoquant le fait qu’il y a un artiste qui s'y soit exprimé... Une fierté citoyenne. Pour moi c’est cela l’architecture. C’est un travail un peu missionnaire qu’on mène.
Mais tout est possible en fonction des opportunités : j’ai dessiné un luminaire, des meubles, fait des logements - à Rennes - des bureaux… Il n’y a pas d’échelle… On peut tout faire… mais je n’ai pas envie que mon agence grossisse trop, pour garder le contact avec le projet. Je ne suis pas un chef d’entreprise, mais un architecte, j’ai besoin d’être sur le chantier. Pour le pupitre du barrage, je suis allé à plusieurs reprises à Lyon pour le coulage du bronze, j’ai appris plein de choses avec le fondeur. Je me rends compte que je suis un artisan....
... Le reste c’est mon parcours artistique, personnel, qui est une recherche de conjonction entre le réel avec toute sa difficulté et une dimension de rêve et de spirituel qui est vitale pour tenir le coup dans ce monde difficile …
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