par Caroline Lafargue
Article publié le 30/03/2009 Dernière mise à jour le 01/04/2009 à 14:09 TU
Directeur général de L’Atelier78, une entreprise de menuiserie d’art et d’agencement, Christophe Le Tahitien porte haut la couleur bleue de ses Compagnons menuisiers. Après 20 années de bonheur à l’établi, il a pris du galon et coordonne des chantiers de luxe à travers le monde, tout en transmettant les valeurs du compagnonnage : fraternité, équité et goût de l’effort pour le bien commun.
C’est à l’occasion de l’exposition Du cœur à l’ouvrage – Chefs d’œuvre des Compagnons du Devoir présentée jusqu’au 23 août 2009 au Musée des Arts et Métiers (voir article ci-contre) que RFI est allé à la rencontre de Christophe Lalla, alias Le Tahitien.
« Travail joyeux vaut paradis »
Juste avant le Paradis, il y a la Tour Eiffel. A ses pieds, brille une pépite dissimulée dans les murs élégants d’un hôtel particulier haussmannien, avec accès direct au Champ de Mars. Au centre de la bâtisse, un vertigineux escalier hélicoïdal en staff blanc vous mène au sommet des quatre étages surmontés d’un cloître. Cet ensemble de 1000 mètres carrés, alliant luxe et simplicité, est né de l’imagination de Pierre Yovanovitch, l’étoile montante de l’architecture d’intérieur.
Dans pareil écrin, la moindre erreur serait un sacrilège. « A part L’Atelier 78, il n’y a que deux ou trois menuiseries d’art sur la place de Paris, qui soient capables d’un tel niveau de précision et de finition », estime Xavier Charvet, architecte chargé de projets à l’Agence Pierre Yovanovitch, en visite sur le chantier ce jour-là. A côté de lui, Christophe Lalla, le directeur général de L’Atelier 78, contemple avec satisfaction les portes monumentales qui ouvrent sur le bar et la cave à cigares. « Je suis content parce que ce n’était pas gagné de faire des portes planes de cette dimension : 4.20m par 1.80m ! Pour éviter toute déformation dimensionnelle, ou que la porte ne se voile, on a fait une ossature métallique en acier, dans laquelle on a intégré du chêne, et en couverture, des panneaux de médium, un produit très dense fait avec des fibres de bois compressées. Et normalement ça ne doit pas bouger ! Notre métier nous oblige à beaucoup d’humilité, parce que le bois nous habitue au long de notre carrière à de mauvaises surprises qu’il faut savoir anticiper », explique-t-il.
Un exemple de réalisation d'hôtel particulier
Sa carrière, Christophe Lalla l’a commencée quasiment au berceau. Ses premiers souvenirs remontent à l’âge de 7 ans. « Je bricolais, je construisais des petits objets en bois, un oiseau ou un bout de cadre. J’ai du mal à expliquer pourquoi j’ai eu envie de ce contact avec la matière, mais je trouvais rigolo d’essayer de trouver des solutions pour assembler chaque pièce de bois. A l’époque j’habitais en Polynésie française, la maison était entourée d’une végétation dense, et je travaillais des bois comme le santal ou le coco », se souvient celui qui, logiquement, a pris par la suite le nom compagnonnique de Christophe Le Tahitien.
Captivé par ce matériau si varié et vivant, il quitte le lycée en première. « Je n’en pouvais plus d’être assis. J’ai trouvé un artisan menuisier qui m’a pris en apprentissage en Bretagne. Et puis ma mère a découvert le Musée du Compagnonnage de Tours pendant une classe verte avec ses élèves. Elle a ramené des prospectus et, curieux, j’ai contacté la Maison des Compagnons de Nantes. Ils m’ont envoyé à Troyes et c’est là que j’ai débuté mon Tour de France ».
Ses débuts avec le bois et comment il a découvert les CompagnonsEcouter Christophe Le Tahitien
« A cœur vaillant, rien d’impossible »
Son itinérance initiatique le mène à Marseille, Bordeaux, Nîmes, Lille, puis St-Rémy-les-Chevreuse, où il reçoit une bourse de la Fondation Coubertin, la prestigieuse « université ouvrière ». « On partageait le temps entre des cours théoriques, d’histoire de l’art par exemple, et la pratique dans l’atelier. J’y ai exploré des facettes inconnues de notre métier: l’arêtier ou la courbe qui sont des techniques nécessitant un art du trait suffisamment développé pour pouvoir exprimer un ouvrage par une épure et ensuite le réaliser », raconte Christophe Le Tahitien.
C’est encore à des courbes qu’il se confronte lors de la préparation de son travail de réception (autrement appelé « chef d’œuvre »), en fonction duquel les anciens déterminent si l’aspirant a l’étoffe d’un Compagnon du Devoir. « Je leur ai demandé de faire un travail qui puisse être utile et pas une maquette, comme c’était l’usage à l’époque. J’ai eu beaucoup de chance, ils m’ont envoyé à Château- Gonthier, en Mayenne, pour construire une porte cintrée en plan, c’est-à-dire qui épouse un arc de cercle, et aussi cintrée en élévation, pour équiper une tourelle», raconte-t-il. De quoi faire le cauchemar de tout menuisier, si doué soit-il.
A cette occasion, Christophe Le Tahitien a pu tester sa patience et son courage, deux qualités particulièrement prisées chez les compagnons. « En sortant de la réunion je me suis gratté la tête en me demandant par quel bout j’allais m’y prendre. Même si l’année d’avant, j’avais appréhendé la science du trait courbe, quand je me suis retrouvé seul face à un panneau de mélaminé pour faire mon épure, et qu’il était blanc de chez blanc, et qu’il fallait que je sois méthodique et logique, alors oui, ça a été un moment difficile. J’y ai passé des centaines d’heures ».
Car derrière sa physionomie toute en rondeur, se cache une personnalité impulsive et volontaire, obsédée par son propre perfectionnement. « Il y a des gens dans mon métier qui sont naturellement doués, mais moi c’était loin d’être le cas. Par contre, j’ai une qualité qui m’a permis de surmonter ces difficultés liées au métier et à sa compréhension, c’est le travail, je suis un bourreau de travail, d’ailleurs parfois mes proches me le reprochent », avoue-t-il, en totale cohérence avec l’enseignement compagnonnique, qui prône la nécessité de se surpasser. D’où l’intérêt de la vie collective, qui permet entre autre une saine émulation.
L'épopée de son travail de réception
« Ni se servir, ni asservir, mais servir »
Disert sur la pratique de son artisanat, Christophe Le Tahitien l’est peu sur sa vie compagnonnique, comme si l’on touchait à son intimité. « On essaie d’être discrets sur notre compagnonnage, c’est une de nos valeurs, on ne doit pas faire commerce de notre état de compagnon », se justifie-t-il. Aucun détail donc sur sa cérémonie de réception en 1989. Il accepte néanmoins de nous montrer sa couleur de compagnon menuisier, ce ruban de velours bleu frappé des symboles du compagnonnage, la Maison de la Mère (Marie-Madeleine), la Tour de Babel, la Pyramide (qui représente le sens de l’effort), le Temple, le Tombeau (symbole du sens du sacrifice), la Cathédrale, le Labyrinthe, etc. Dernier symbole frappé sur sa couleur, et pas des moindres : celui du Compagnon Fini. C’est la consécration, le couronnement d’une vie de Compagnon. La cérémonie de sa « finition » s’est tenue il y a quelques mois, mais là encore, Christophe Le Tahitien reste évasif. Tout au plus nous dira-t-il qu’il doit désormais s’occuper particulièrement de l'accueil et du placement des apprentis.
La transmission est en effet la clé de voûte de la vie collective du compagnon, qui signifie étymologiquement « celui avec qui on partage son pain »... mais aussi et avant tout son savoir. Et Christophe Lalla, en bon « singe » (l’employeur, dans le langage compagnonnique) ne faillit pas à son engagement. L’Atelier78 voit ainsi défiler de nombreux « lapins » (les aspirants compagnons).
« L’homme pense parce qu’il a une main »
A 44 ans, notre Compagnon Fini a certes troqué le largeot - ce pantalon de travail ample et très solide, en moleskine ou à grosses cotes de velours, pour un costume de business man. Il est certes habitué à négocier des chantiers somptueux avec les grandes familles du CAC 40, un cheik à Oman ou la jet-set de Moscou à Taïwan, en passant par New York. Mais il n’oublie jamais sa famille et ses racines compagnonniques, moins clinquantes. Il n’est jamais bien loin d’un établi… « Dans l’entreprise, l’atelier de production est juste à côté de mon bureau, donc j’ai toujours ces odeurs, ces bruits, je sens vivre l’atelier et je peux être au contact de la matière. Mais j’ai découvert des satisfactions différentes qui me nourrissent tout autant. Elles sont plus intellectuelles. Ça m’amuse beaucoup d’avoir à mettre en musique une opération, les relations commerciales avec le client et le décorateur. Notre métier est certes manuel, mais sans connexion entre la main et l’esprit, on n’y arriverait pas ! »
Mais attention, la main a toujours le dernier mot. « Car c’est bien la main qui va par exemple corriger une imperfection, c’est le petit détail tout à la fin au moment de mettre la dernière couche de finition, ce petit coup de main qui fait la différence, du coup ça contente l’esprit », rappelle Christophe Le Tahitien. C’est ce qu’affirmait le philosophe présocratique Anaxagore : « L’homme pense parce qu’il a une main. » La leçon vaut toujours.
De l'établi aux négociations commerciales
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