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Koweït

Autopsie d'une crise<br>

L'invasion du Koweït en a surpris plus d'un. Pourtant, nombreux étaient les signes avant-coureurs d'une grave crise entre l'émirat et son puissant voisin. Et l'option militaire n'était pas la plus improbable.
Il est cinq heures du matin, le jeudi 2 août, lorsque la radio koweïtienne annonce que, trois heures auparavant, les troupes irakiennes ont commencé d'envahir l'émirat. Aux premières heures de la matinée, les membres de la famille régnante fuient le Koweït en direction de l'Arabie Saoudite. En moins de trois heures, les chars irakiens atteignent la capitale, Koweït-ville.

La veille, la tension a brusquement monté d'un cran : dès l'annonce de la rupture des négociations irako-koweïtiennes qui se tenaient à Djeddah en Arabie Saoudite, Bagdad a annoncé la fermeture de la frontière le long de laquelle 100 000 soldats étaient massés depuis plusieurs jours.

Le 17 juillet, dans un discours à la radio à l'occasion de l'anniversaire de son accession au pouvoir, le président Saddam Hussein s'en était violemment pris à la politique pétrolière de certains Etats arabes, accusés de «poignarder l'Irak dans le dos avec une lame empoisonnée». Et Saddam Hussein avait ajouté : «Si les mots ne suffisent pas à nous protéger, nous n'aurons d'autre choix que de recourir à une action efficace pour remettre les choses en ordre et recouvrer nos droits». La veille, le ministre irakien des Affaires étrangères, Tarek Aziz, a écrit au secrétaire général de la Ligue arabe pour dénoncer le comportement du Koweït, accusé de voler depuis 1980 le pétrole irakien en pompant sous la frontière dans le gisement de Roumaïla, de refuser l'annulation de la dette irakienne et d'avoir délibérément inondé le marché pétrolier pour faire baisser les cours afin d'asphyxier l'Irak. La lettre se termine par cet avertissement : «le comportement du gouvernement koweïtien équivaut à une agression militaire

Des buts de guerre à géométrie variable


Exsangue au lendemain de sa guerre avec l'Iran (1980-1988) l'Irak en voulait au Koweït de n'avoir pas annulé sa dette et de contribuer, par sa surproduction pétrolière, à ses difficultés économiques. Mais cette pression économique n'explique pas tout : depuis l'indépendance de l'émirat en 1961, l'Irak n'a jamais véritablement admis que le territoire abandonné par les Britanniques ne lui revienne pas de droit. Durant la guerre Iran-Irak, Bagdad a en vain demandé aux Koweïtiens la cession ou le prêt de Warba et Boubiyan, deux îles commandant l'accès au seul port irakien en état de fonctionnement, Oumm Qasr. Persuadés que si l'Irak s'y installait, ce serait pour y rester, les Koweïtiens refusèrent.

Au lendemain de l'invasion, l'Irak, qui prétendait pêtre intervenu à la demande de «patriotes koweïtiens» institua un «gouvernement provisoire» fantoche tout en promettant de se retirer. Mais quelques jours plus tard, l'émirat était annexé en tant que 19e province. Les buts de guerre irakiens allaient changer. Le 10 août, Saddam Hussein lance un appel au jihad (guerre sainte) et appelle à libérer La Mecque des Américains et des sionistes. Le 12, il établit un lien entre l'occupation irakienne du Koweït et l'occupation israélienne de la Palestine. Cet appel rencontre un écho considérable dans le monde arabe. De même, la dénonciation des «riches koweïtiens» donne au président Saddam Hussein l'image d'une sorte de Robin des bois du XXème siècle dans de nombreux pays en développement.

A l'évidence, avant l'invasion, les dirigeants koweïtiens ont sous-estimé la menace d'intervention militaire. Mais après celle-ci, c'est le président irakien qui sous-estime le risque d'une riposte occidentale. Evaluant mal les circonstances de l'après-guerre froide, il n'avait pas anticipé l'alignement de Moscou sur Washington. De même, il a mal jugé la réaction des opinions publiques et des gouvernements à la prise d'otages de leurs concitoyens, pariant sur un assouplissement, alors que cet acte de guerre a provoqué une radicalisation. Selon de nombreux témoignages, jusqu'à l'ultime instant, début janvier 1991, il n'a pas cru à l'intervention militaire de la coalition. Enfin, Saddam Hussein a mal apprécié les réalités de la guerre électronique : il était persuadé que, inférieur durant la phase aérienne, ses soldats prendraient le dessus lors de l'offensive terrestre et que les opinions publiques occidentales, américaine en particulier, basculeraient vers le pacifisme avec l'arrivée des premiers cadavres de soldats.

Rien de tout cela ne s'est produit et, à la fin de février, l'infrastructure de l'Irak ayant été détruite, Saddam Hussein a dû accepter à la fois d'évacuer le Koweït, de démanteler ses armes de destruction massive et de soumettre son pays à la tutelle internationale la plus humiliante de l'histoire.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 10/08/2000