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Belgique

Procès Dutroux: retour en enfer

La première semaine du procès du violeur Marc Dutroux a ramené les victimes et leurs familles sept ans en arrière. La lecture de l’acte d’accusation et les premières auditions des accusés ont permis de rappeler le déroulement du calvaire des six jeunes filles enlevées et violées par Dutroux et ses acolytes. L’évocation de cette succession d’horreurs et de lâchetés est loin d’avoir fait éclater la vérité.
Marc Dutroux est bel et bien un grand manipulateur. Ses premières déclarations, lors de son procès qui a débuté le 1er mars, ont confirmé ce trait de caractère qui avait déjà été mis en valeur par les psychiatres qui l’ont examiné après son arrestation. L’homme le plus détesté de Belgique a choisi comme système de défense de présenter une nouvelle version des faits dans laquelle il se donne le moins mauvais rôle. A en croire ses affirmations revues et corrigées pour le procès, il ne serait qu’un simple exécutant dans cette affaire et aurait agi pour le compte du truand Michel Nihoul. Il affirme même qu’il n’a pas participé à l’enlèvement des deux premières petites filles, Julie et Melissa, et qu’il ne les a séquestré dans l’une de ses caches que pour leur épargner la prostitution à grande échelle dans un réseau orchestré par son acolyte. Dans ce scénario, il n’aurait ensuite enlevé An et Eefje que pour répondre à une nouvelle demande de Nihoul, furieux d’avoir été privé de ses deux premières victimes. Quant aux deux suivantes, Sabine et Laetitia, les seules rescapées de cette sordide affaire, il les aurait enlevées pour «agrandir sa famille». Dutroux ne reconnaît en outre, que les viols de Sabine, Laetitia, et Eefje. Quant aux quatre meurtres, il les nie et les attribue à ses complices. Son ex-femme, Michèle Martin aurait laissé mourir de faim Julie et Melissa. Michel Lelièvre, co-accusé dans le procès, et Bernard Weinstein, un truand français exécuté par Dutroux, auraient ensuite tué An et Eefje.

Face à de tels propos, les familles des victimes et leurs avocats ont oscillé toute la semaine entre dégoût et révolte. Maître Georges-Henri Beauthier, qui représente la jeune Laetitia Delhez, a d’ailleurs déclaré à propos de la nouvelle version des faits donnée par Dutroux: «J’ai envie de pleurer devant la lâcheté. C’est immonde, il n’a rien fait… Il nous prend pour des imbéciles». D’autant que tout ce qu’a affirmé Dutroux a été totalement contredit par les autres accusés présents dans le boxe. Et tout d’abord, par son ex-épouse Michelle Martin qui l’a enfoncé en affirmant que c’est bien lui qui a enlevé les petites filles pour les violer. Ce que Michel Lelièvre, le toxicomane qui a aidé Dutroux, a confirmé en déclarant que Michel Nihoul n’a jamais été impliqué dans les enlèvements. Michelle Martin a aussi affirmé que c’est bien Dutroux qui a drogué et enterré vivantes An et Eefje, même si elle reconnaît avoir laissé mourir de faim dans sa cave, Julie et Melissa, lorsque son mari était en prison. Un crime qu’elle explique par le fait qu’elle n’a «jamais osé» appeler la police.

«Un pervers manipulateur»

Dans un tel contexte, les quelques mots de regret prononcés pour la première fois depuis son arrestation par Dutroux sonnent faux: «J’ai fait des erreurs, j’ai même commis des crimes. Si on pouvait revenir en arrière… mais on ne peut pas». Car le parcours de cet homme, déjà condamné avant ces faits à 13 ans de prison pour viols sur mineurs, de même que le portrait psychologique dressé par les psychiatres qui l’ont décrit comme «un pervers manipulateur», montrent que Dutroux n’est pas homme à ressentir une émotion.

Le témoignage apporté durant les audiences par Jean-Marc Connerote, le juge qui a permis l’arrestation de Dutroux et la libération de Sabine et Laetitia, avant d’être dessaisi du dossier parce qu’il avait participé à un dîner avec les familles de victimes le 14 octobre 1996, confirme que les déclarations de Dutroux ont avant tout l’objectif d’aller dans le sens de la nouvelle stratégie de défense de ses avocats et que ses regrets ne sont que de pure forme. Le juge Connerote, qui est le premier à avoir entendu Dutroux, le décrit comme un «homme qui pense à tout». Pour preuve, la manière dont les caches dans lesquelles les jeunes filles se trouvaient ont été construites, montrait «un professionnalisme effrayant». «Il [Dutroux] avait construit un système de ventilation de façon à ce que les odeurs sortent par le haut. Les chiens n’ont pas pu sentir leur présence [des petites filles]». Il affirme aussi que Dutroux est un «manipulateur» qui avait réussi à convaincre Sabine et Laetitia qu’il les protégeait des «méchants». A tel point que lorsqu’elles ont été libérées par la police, les deux petites filles, voyant Dutroux, lui ont dit «merci», à la plus grande stupeur du magistrat.

Quant à l’implication de Michel Nihoul, en tant que représentant d’un réseau pédophile, pour le compte duquel Dutroux aurait enlevé les petites filles, le juge Connerote a rappelé qu’elle n’a jamais été évoquée ni par le principal accusé, ni par l’un de ses complices, au moment de leurs interpellations. Par contre, Jean-Marc Connerote qui a parlé de la «tentative de déstabilisation» dont il a fait l’objet et de la rétention d’informations importantes concernant Dutroux par les gendarmes, a largement dénoncé les dysfonctionnements qui ont abouti à laisser cet homme agir pendant un an, alors que des soupçons pesaient sur lui dès août 1995.



par Valérie  Gas

Article publié le 05/03/2004