Côte d'Ivoire : cacao et instabilité politique
Jean-Pierre Boris
(Photo RFI)
L’implosion politique de la Côte d’Ivoire et la privatisation de la filière café cacao de ce pays ouest-africain ont-elles quelque chose à voir. On peut se poser la question. Le pays a en effet commencé à sombrer dans les troubles politiques, coups d’état et violences inter-ethniques en décembre 1999, quelques mois seulement après que l’Etat ait perdu le contrôle de la principale ressource économique du pays. La Côte d’Ivoire n’a pas de pétrole. Elle a du cacao. Lancée par les colonisateurs français, l’activité s’est amplifiée après l’indépendance. Le président Houphouet Boigny en a fait une arme de gestion économique et de contrôle politique du pays. Les paysans recevaient une rémunération garantie par l’Etat. Des territoires de plus en plus vastes étaient gagnés sur la forêt pour y créer des plantations de cacao. Ces territoires drainaient des populations jeunes et nombreuses et une abondante main d’œuvre venue de pays frontaliers, en particulier du Burkina Faso. La Caisse de Stabilisation contrôlait cette activité, affectant à des entreprises exportatrices et à des proches du pouvoir des quotas de cacao.
En 1999, Houphouet Boigny enterré depuis longtemps, pour erradiquer la corruption, pour éliminer une ponction jugée excessive de l’état sur les recettes, les fonctionnaires de la Banque Mondiale imposent le démantèlement de la Caisse de Stabilisation. Les géants mondiaux de la transformation du cacao, les Américains ADM et Cargill, le suisse Barry Callebaut en profitent pour prendre le contrôle de l’essentiel des exportations de cacao. Les paysans eux, sont soumis aux fluctuations et aux incertitudes des cours mondiaux.
Dans un rapport rédigé il y a un an, le ministère français des affaires étrangères estimait qu’en ne contribuant ni à l’amélioration des conditions de vie des ruraux ni à l’endiguement de la crise urbaine, ces réformes libérales à courte vue avaient laissé le champ libre aux frustrations sociales et aux dérives ethniques. Ces politiques de libéralisation, affirme ce rapport, ont eu comme effet indirect de stigmatiser les migrants burkinabés comme bouc émissaires de la crise foncière. En effet, l’abandon brutal et massif des politiques de soutien au secteur agricole et rural et la croissance de l’insécurité économique en milieu paysan ont contribué, écrivent encore les rapporteurs français, à rendre visible la réussite relative de ces exploitants burkinabés et à cristalliser la question foncière autour de l’occupation des terres par les étrangers. » La crise foncière, latente depuis de longues années, venait de la disparition de la forêt ivoirienne et donc des zones où l’on pouvait renouveler les plantations de cacao. Confrontés à la crise économique et à la ruine de l’état en ville, sans solution de repli dans les campagnes, les Ivoiriens étaient donc des proies faciles pour la violence. On le constate aujourd'hui.
par Jean-Pierre
Boris
[29/03/2004]