Politique française
Chirac promet plus de «justice sociale»
(Photo AFP)
Dans cette optique, le président a annoncé qu’il avait donné des indications au nouveau gouvernement pour qu’il tienne compte des mécontentements sur les dossiers sociaux. Sa première requête concerne la suspension des mesures concernant l’Allocation spécifique de solidarité (ASS), jusqu’à présent accordée aux chômeurs en fin de droit sous certaines conditions, dont la suppression pour un grand nombre des personnes concernées avait provoqué de vives protestations. L’objectif du gouvernement doit désormais être de «mieux aider, mieux accompagner les chômeurs dans le retour à l’emploi».
De la même manière, Jacques Chirac a expliqué qu’il avait demandé au gouvernement de revoir sa copie sur «la répartition des postes entre statutaires et contractuels» qui a provoqué un mouvement de protestation sans précédent des chercheurs. Le gouvernement Raffarin II avait, en effet, diminué le nombre de contrats à durée indéterminée au profit de contrats de mission, au grand dam des scientifiques qui avaient dénoncé une précarisation de leur filière. Dans le conflit avec les intermittents du spectacle, le président a aussi estimé que «les conséquences sur les jeunes artistes» avaient été mal appréciées, tout en précisant que la faillite du système d’indemnisation et l’existence de nombreux abus rendaient une réforme indispensable. Il a donc demandé au gouvernement «de prendre tous les contacts» pour trouver une solution.
«Déghettoïser» la France
Au-delà des concessions sur les dossiers douloureux, le chef de l’Etat a voulu marquer son engagement en faveur de la «justice sociale» en confiant à Jean-Louis Borloo la tâche de coordonner les actions gouvernementales en faveur de la «cohésion sociale». Il lui a d’ailleurs d’emblée assigné comme objectif principal de lutter contre l’exclusion et la pauvreté qui, comme l’a rappelé Jacques Chirac, n’a pas diminué depuis dix ans en France. Il s’agit donc de mener une politique d’intégration dans le but de «déghettoïser» le pays.
Cette tentative pour calmer les esprits s’est aussi traduite par un engagement de ne pas recourir aux ordonnances en vue d’imposer la réforme du système d’assurance maladie, une tentation largement dénoncée par l’opposition. Le chef de l’Etat qui a prôné la «transparence» a déclaré que sur cette question fondamentale, il était nécessaire d’obtenir un «accord national». Il a même lancé un appel aux partenaires sociaux et à l’opposition pour qu’ils travaillent avec le gouvernement afin de mettre au point une réforme qui permette le redressement d’un système dont la faillite [le déficit de l’assurance maladie est estimé à 15 milliards d’euros pour 2004] frapperait les Français «les plus modestes». Il a aussi insisté sur «l’urgence» de la situation et a estimé que sans réforme, «nous allons dans le mur».
C’est d’ailleurs pour éviter une dégradation de la situation économique qui serait, selon le président, préjudiciable à la conservation des acquis sociaux en France, qu’il a confirmé que la baisse des impôts, critiquée par l’opposition, allait se poursuivre. Jacques Chirac a ainsi expliqué que l’augmentation des impôts décourageait «l’initiative, la croissance, le développement, l’emploi, le projet social». En contrepartie, le chef de l’Etat a annoncé que la maîtrise des déficits publics était l’un des grands défis que le nouveau ministre de l’Economie, Nicolas Sarkozy, «un homme de grande qualité», aurait à relever. En guise d’encouragement aux fonctionnaires à accepter la chasse au gaspi, la «reprise en main des mauvaises habitudes» et la modernisation des méthodes, il a pris l’exemple des entreprises privées en déclarant : «Si elles avaient accepté de ne rien changer depuis trente ou cinquante ans, il est certain que la France aurait pratiquement cessé d’exister».
Conscient que le gouvernement risque de se heurter à de vives oppositions, malgré les concessions annoncées, Jacques Chirac a plaidé pour que la culture du dialogue remplace bientôt en France celle de la confrontation. Il n’est pas sûr que son message ait été largement entendu sur ce point. Car ses propositions ont été immédiatement critiquées par ses adversaires. Julien Dray, le porte-parole du Parti socialiste, a ainsi déclaré que le chef de l’Etat «ne semble pas avoir entendu le message des urnes» puisqu’«à aucun moment, il n’a remis en cause le contenu de sa politique». Gérard Aschiéri, le secrétaire générale de la FSU, la première organisation syndicale de la Fonction publique, s’est quant à lui étonné du «silence assourdissant» du président sur les questions «du système éducatif, de l’avenir du service public, la décentralisation, la précarité», ou encore sur la réforme des retraites, qui a provoqué des grèves à répétition dans l’Education nationale en 2003. La nouvelle présidente de la région Poitou-Charente, la socialiste Ségolène Royal, a mis en avant l’absence de mesures concrètes dans les propos du chef de l’Etat : «Des problèmes ont été cités, sans aucune annonce précise sur la façon dont il allait rectifier le tir».
La performance de Jacques Chirac, dont certains ont estimé qu’elle ressemblait plus à l’intervention d’un Premier ministre qu’à celle d’un président, n’a donc pas fait l’unanimité. Mais surtout, elle n’a pas vraiment permis de mieux asseoir l’autorité d’un Jean-Pierre Raffarin déjà fragilisé par les résultats des régionales. En pointant les problèmes et demandant des réajustements, Jacques Chirac a d’une certaine manière entériné l’idée que des erreurs ont bel et bien été commises dans la gestion des dossiers. Certes, le président a affirmé que le gouvernement Raffarin III n’était pas en sursis, car on ne nomme pas «un gouvernement pour une durée déterminée mais pour atteindre des objectifs». Mais on peut se demander tout de même si dans le cas du Premier ministre, le contrat d’objectifs n’a pas été assorti d’une clause non négociable : enrayer la débâcle électorale aux européennes de juin.
par Valérie Gas
Article publié le 02/04/2004 Dernière mise à jour le 02/04/2004 à 15:05 TU