Afrique du Sud
La province du Cap occidental et la ville du Cap
(Photo: South African Tourism)
(Photo: South African Tourism)
Le Cap tient ses promesses. A la croisée des routes maritimes, c’est une vigie océanique et peut-être même un navire à quai. Adossée à l’Afrique, un œil vers l’Asie, un autre vers l’Amérique, la ville offre à l’amateur d’histoire la profondeur d’une mémoire en mosaïque hantée par l’Europe lointaine. Les sportifs aimeront chevaucher sur ses plages, escalader la Table ou la Tête du Lion et surfer sur les dunes. Capitale sud-africaine de l’art de vivre, de la mode et de la gastronomie, elle est aussi le théâtre d’une rare symbiose entre l’homme et la nature : ses habitants savent la chance qu’ils ont de vivre entre terre et mer, sur une péninsule dont la variété florale (fynbos) dépasse celle de toute la Grande-Bretagne, enivrés par la treille muscate et l’abondance des crustacés. La douceur méditerranéenne en Afrique, il n’y a rien de mieux…
La péninsule des Hottentots
Pendant longtemps, l’histoire sud-africaine a commencé en 1652, avec l’arrivée de Jan van Riebeeck dans la baie du Cap. Mais les paléontologues savent que la région est occupée depuis au moins le Ve siècle ap. JC par une population de type mongoloïde aux origines discutées, les Hottentots. Chasseurs-cueilleurs pratiquant l’élevage des moutons et des bovidés, ces Khoikhoi vivent au sein de communautés réduites dont la population moyenne est estimée à quatorze personnes, selon les peintures rupestres du Cap. En développant leurs troupeaux, et en se sédentarisant progressivement, les Hottentots poussent leurs frères Bochimans -San ou Bushmen- restés exclusivement chasseurs-cueilleurs, à s’éloigner des côtes. Lors du débarquement des premiers colons, au milieu du XVIIe siècle, trois clans nomadisent sur la péninsule: les Goringhaikona, commandés par le chef Autshumao, qui vivent essentiellement des produits de la mer; les Goringhaiqua et leur chef Gogosoa; les Gorachoqua placés sous la férule du chef Coeree. Ces clans installés à proximité de la ville actuelle répondent à l’autorité du grand chef Soeswa, leader des Chainoqua, implantés à une cinquantaine de kilomètres plus à l’est, par-delà les monts Hottentots-Holland.
Remontons l’échelle du temps en accéléré : le climat méditerranéen prédomine au Cap depuis 5 millions d’années; les populations de l’âge de la pierre récent (Early Stone Age) sont présentes depuis 20000 ans; la poterie et l’élevage des moutons sont attestés au Ve siècle ap. JC; les Européens sont installés à demeure depuis trois cent-cinquante ans.
Portugais, Hollandais
Les premiers à entrer en scène sont les Portugais, lancés sur la route de l’Orient. Le 6 juin 1488, Bartolomeu Dias de Novaes érige un padrao, une colonne de pierre aux armes du Portugal, sur un éperon rocheux qu’il baptise «Cabo de Boa Esperança». Bientôt, les marins prennent l’habitude de déposer des lettres sous des pierres (à voir au Cultural History Museum) ou dans les arbres. Courageux, Antonio de Saldanha grimpe au sommet de la montagne de la Table en 1503. Durant tout le XVIe siècle, l’escale de la baie de la Table sert au ravitaillement et au repos des équipages mais personne ne songe à une colonie: les Hottentots n’ont-ils pas tué le premier vice-roi des Indes portugaises Francisco de Almeida, ainsi qu’une soixantaine de ses compagnons ?
Forte du monopole du commerce à l’est du Cap et à l’ouest du détroit de Magellan, la Compagnie hollandaise des Indes orientales, la VOC, créée en 1602, prend le relais des caravelles portugaises. Pour les riches armateurs bataves, l’extrémité méridionale de l’Afrique devient l’escale obligée entre l’Europe et l’Asie. Un naufrage en 1647 change le cours de l’histoire : les infortunés du Nieuw Haarlem doivent séjourner douze mois à terre. Le jeune marchand Leendert Janszen écrit un rapport très encourageant : «Tout y existe en quantité suffisante : poissons, antilopes et steinbocks fourmillent en abondance». Toujours sans intention de créer une colonie, la VOC décide d’ouvrir au Cap une station officielle de ravitaillement. C’est la responsabilité d’un certain Jan van Riebeeck, débarqué du Dromaderis le 6 avril 1652. Il doit construire un fort, planter un potager et se fournir en viande auprès des éleveurs hottentots sur la base du troc. Quatre ans plus tard, la Compagnie autorise les premiers «citoyens libres» à cultiver, à condition qu’ils vendent leur production à prix fixe. Ces freeburghers disposent bientôt de concessions de terres pour vingt ans, ce qui leur permet de commercer directement avec les 5000 à 6000 personnes qui font escale dans la baie chaque année. La main-d’œuvre venant à manquer, le commandant décide dès 1658 de faire venir des esclaves d’Asie, de l’océan Indien et d’Afrique noire. Ironiquement, les premiers Noirs du Cap sont donc «importés». Leur nourriture est composée de pingouins et de langoustes. L’année suivante, Jan van Riebeeck se réjouit de presser du vin avec des raisins du Cap.
(Photo: South African Tourism)
Des viticulteurs huguenots
Prenant la suite de van Riebeeck, le Mauricien Simon van der Stel conçoit que l’avenir du poste dépend du développement de la population européenne : le 3 octobre 1685, le «Conseil des Dix-Sept» de la VOC décide, afin d’encourager l’agriculture, d’envoyer au Cap «un grand nombre de réfugiés français, en particulier ceux qui savent cultiver les vignes et fabriquer le vin, le vinaigre, et distiller le brandy». Quinze jours plus tard, Louis XIV révoque l’Edit de Nantes, entraînant la fuite en Hollande de dizaines de milliers de protestants français. Ceux-ci retrouvent des familles huguenotes installées sur place depuis de longues années, comme les Du Toit, depuis 1605. L’appel de la Compagnie est entendu par environ trois cents huguenots qui s’embarquent, parfois avec femme et enfants, pour une nouvelle vie à la pointe australe de l’Afrique. D’avril 1688 à mai 1689, huit navires conduisent au Cap ces premiers «vrais» colons. Ils découvrent un embryon de ville, constitué d’une centaine de maisons couvertes de chaume gardées par un fort à cinq bastions (à visiter). Leur arrivée ne passe pas inaperçue, car leur nombre forme le quart du total de la communauté blanche déjà installée. Envoyés dans les terres, avec mission de cultiver ardemment, les huguenots français gagnent bientôt une forme d’autonomie, en particulier dans les opérations de troc avec les Hottentots.
Le Barbier de Séville
Durant la guerre d’Indépendance américaine (1775-1783), la France est une fois de plus en guerre contre l’Angleterre. La Hollande affaiblie s’allie provisoirement aux Français afin de défendre la route militaire du Cap. En juin 1781, Suffren mouille dans la baie de la Table et débarque le régiment de Pondichéry. Ce séjour de quelques mois apporte un brin de fantaisie dans l’austère colonie: la première pièce de théâtre donnée au Cap est Le Barbier de Séville. Toujours à cette époque, un autre militaire français, le lieutenant Louis-Michel Thibault, décide de mettre ses talents d’architecte au service de la Compagnie. Nommé inspecteur des Travaux publics, puis contrôleur en chef des Bâtiments, ce spécialiste du génie construit des édifices monumentaux qui comptent, aujourd’hui encore, parmi les plus beaux du pays. On doit notamment à cet élève de Jacques-Ange Gabriel -le concepteur à Paris de la place de la Concorde, de l’Ecole militaire, de l’Opéra de Versailles et du Petit Trianon- le fabuleux cellier de Groot-Constantia (à ne pas manquer), la façade du musée huguenot de Franschhoek et le Drostdy de Graaff-Reinet.
Métissages
Au quotidien, la vie n’est pas facile : il y a environ une femme pour dix hommes au Cap ! C’est ainsi qu’apparaissent les premiers métis, issus des unions entre colons blancs, femmes hottentotes ou jeunes esclaves africaines. Désignés comme race à part entière par les architectes de l’apartheid, les Coloured constituent aujourd’hui la population dominante de la région du Cap, quasi exclusivement afrikaanophone et plutôt conservatrice. Dès la fin du XVIIe siècle, la colonie héberge également un certain nombre d’activistes musulmans, expulsés de l’actuel archipel indonésien par les autorités de Batavie. Les descendants des Malais du Cap forment de nos jours une communauté religieuse très soudée, parfois perméable aux sirènes fondamentalistes.
(Photo: South African Tourism)
«Un Gibraltar de l’océan Indien»
En prenant définitivement possession du Cap en 1806, à la faveur de la faillite de la vieille Compagnie hollandaise des Indes orientales, les Anglais héritent d’un territoire immense et incontrôlé. Les freeburghers sont devenus des trekboers libres de toutes attaches qui marchent vers le nord et l’est, le fusil dans une main, la Bible dans l’autre. Le poste de ravitaillement De Kaap a pris rang de cité sous le nom de Kaapstad puis de Cape Town. Au tournant du siècle, la ville et ses environs comptent plus de 20 000 Européens, répartis à parts égales entre burghers citadins, Boers sédentaires et trekboers nomades. Les esclaves, eux, sont au nombre de 26 000 et les Hottentots estimés à 20 000. A Londres, le Colonial Office se félicite de posséder un «Gibraltar de l’océan Indien» pour verrouiller la route des Indes. Les missionnaires de la London Missionary Society prennent pied en terre d’Afrique pour faire appliquer l’abolition de l’esclavage, votée par les députés. La grande fracture entre les descendants des colons hollandais et français et ces messieurs les Anglais date de cette période fortement marquée par les principes du mouvement philanthropique. Ainsi, Le Cap voit fuir ses gros bras les plus rudes, qui préfèrent se lancer dans le grand Trek, à la conquête de l’Afrique inconnue. Ceux qui demeurent au pied de la montagne de la Table bénéficient durant tout le XVIIIe siècle d’un climat de relative tolérance morale et raciale. L’atmosphère actuelle du Cap, et la vie artistique qui fleurit autour de la péninsule, portent toujours la marque de la liberté; cette empreinte fonde le particularisme libéral de la seule ville créole d’Afrique du Sud.
Une province d’avenir
La ville du Cap accueille aujourd’hui le Parlement d’Afrique du Sud et dispose donc d’un statut un peu particulier de «capitale». Déjà fortement ancrée dans l’histoire coloniale, la rivalité avec le duo Johannesburg-Pretoria ne fait que grandir au fil des années. Et si les députés pliaient leur maroquin pour rejoindre le nord ? Du coup, la métropole au tempérament «sudiste» développe des projets qui témoignent d’une réelle volonté d’autonomie par rapport au pouvoir central. Et si un jour… si un jour, il fallait faire sans le nord ? Sujet tabou qui hante les pensées. Pour l’heure, la province présente ses chiffres : 4,5 millions d’habitants (54 % de métis, 21 % de Noirs, 21 % de Blancs) sur 129 370 km2 (10,6 % du pays), 89 % d’urbanisés, 72 % d’alphabétisés. Record continental: 97 % de la population a accès au téléphone. Les langues natales déclarées sont l’afrikaans (60 %), le xhosa (20 %) et l’anglais (20 %). C’est la seule région d’Afrique australe à avoir un climat méditerranéen propice à la culture du raisin et de l’olive. www.gocapetown.co.za
Avec Michel Bôle-Richard, l’ancien correspondant du Monde en Afrique du Sud, nous sommes d’accord pour dire: «Inutile de se précipiter. Avant tout, il est impératif de s’installer dans la géographie compliquée de ce bout du monde. Une ville, certes, mais aussi, et surtout, une vaste zone mouvementée avec le cap de Bonne-Espérance pour fleuron, la montagne de la Table pour curiosité et l’Interland, l’arrière-pays, comme récompense. Une sorte d’accroche-cœur planté dans l’océan et dont la boucle enserre une baie parfaite. Vue de la mer, la côte est impressionnante: une barrière de rochers abrupte au sommet parfaitement plat, d’où dévalent, en cascade, des nuages aussitôt dispersés par la chaleur».
(Photo: South African Tourism)
Cape Peninsula National Park
N’est-ce pas le but de tout voyage au Cap que de voir enfin cette pointe rocheuse quasi mythique ? A l’entrée de cette réserve de 7750 hectares, on vous remettra une carte détaillée des routes et des pistes. Pour conserver l’effet de surprise, je dirais simplement que le paysage (fynbos-antilopes-babouins-autruches) est à mi-chemin entre la terre et la lune. En prenant la direction du Cape of Good Hope, remarquer les différents tons de bleu des deux océans, l’Atlantique à droite et la False Bay à gauche (la «Fausse Baie» qui, géographiquement, fait aussi partie de l’Atlantique, mais qui reçoit surtout les courants chauds de l’océan Indien). On bifurque sur la droite pour atteindre le cap en longeant la côte. La pureté de l’air vous fait gagner dix ans de vie ! Après l’arrêt photo devant le panneau indiquant que vous êtes bien au point le plus sud-ouest de l’Afrique, en route pour Cape Point d’où la vue est beaucoup plus spectaculaire. On grimpe à quarante dans le funiculaire pour gagner la station météo. La colonie de babouins Chacma installée à demeure à la pointe du Cap doit être considérée avec intérêt car son mode de vie est un bel exemple d’adaptation au milieu. Ainsi, à marée basse, il n’est pas rare de voir les grands singes quitter leurs rochers pour aller se nourrir des coquillages sur la plage. Ne les nourrissez surtout pas car ils deviennent rapidement collants et agressifs au point que certains d’entre eux ont dû être abattus. Du parking, un sentier conduit à la plage du cap de Bonne-Espérance. Si vous disposez d’une heure, et d’un peu d’énergie, voilà une promenade que vous n’oublierez jamais. La plupart des visiteurs montent au phare (le plus puissant du pays - portée 34 miles), achètent une carte postale et s’en vont; le trail est beaucoup plus impressionnant. Le chemin commence donc sur la droite, en contrebas du parking; à la patte-d’oie, prendre à droite sur les lattes de bois qui longent l’à-pic; s’engager ensuite dans l’escalier très raide (prudence) à gauche. En cinq minutes, vous êtes sur une plage du début du monde, avec Cape Point à votre gauche et le cap de Bonne-Espérance à votre droite. Sous le soleil, l’océan prend une teinte extraordinaire, comme un lait au curaçao. La baignade est très dangereuse. Dans la réserve, deux sites sont conseillés pour la baignade et les pique-niques : Buffelsbaai et Bordjiesdrif. Si l’on a décidé de consacrer une bonne partie de sa journée à cette visite, je suggère d’aller explorer la côte au nord de la réserve. Il faut reprendre la route vers la sortie et tourner à gauche en direction d’Olifantsbosbaai. Là-bas, vous pourrez emprunter le splendide sentier côtier au milieu du fynbos. En marchant vers le sud, on atteint Olifantsbospunt, un cap particulièrement dangereux pour la navigation. A marée basse, voir les restes du Nolloth, échoué en avril 1965. On aperçoit plus facilement le Thomas T. Tucker; ce Liberty Ship s’est perdu dans le brouillard en novembre 1942, alors qu’il transportait du matériel pour les Alliés engagés dans le désert de Libye.
par Vincent Garrigues
Article publié le 12/04/2004 Dernière mise à jour le 14/04/2004 à 13:10 TU
Cet article a été initialement publié dans le guide le Petit futé: Afrique du Sud
Réalisation multimédia : Marc Verney/RFI