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Irak

L’Espagne abandonne la coalition

L'Espagne achève le retrait de ses troupes d'Irak. 

		(Photo: AFP)
L'Espagne achève le retrait de ses troupes d'Irak.
(Photo: AFP)
Le départ des troupes espagnoles d’Irak est un coup dur pour les Etats-Unis qui ne cessent depuis plusieurs mois d’appeler leurs alliés à venir renforcer la coalition dans ce pays mais n’obtiennent aucun écho. Au contraire, ils se heurtent à de nombreuses réticences, notamment depuis que le scandale sur les tortures dans la prison d’Abou Ghraib a éclaté. A quelques semaines de la date fixée pour le passage du pouvoir aux Irakiens, les Américains ont de plus en plus de mal à gérer la situation sur le terrain et à assurer les conditions de sécurité indispensables à une transition politique dans ce pays.

José Luis Rodriguez Zapatero, le nouveau Premier ministre espagnol, avait fait du retrait des soldats d’Irak un argument majeur lors de la campagne pour les élections législatives du 14 mars dernier. Après les terribles attentats de Madrid du 11 mars, toute la politique de soutien inconditionnel à une offensive militaire contre le régime de Saddam Hussein mise en oeuvre par son prédécesseur à la tête du gouvernement, José Maria Aznar, avait en effet été remise en cause. Le départ des troupes engagées aux côtés des Américains était donc la mesure la plus attendue par une population meurtrie et majoritairement hostile à la présence de son armée en Irak.

Malgré les tentatives de Washington pour convaincre le nouveau Premier ministre espagnol de la nécessité de laisser ses soldats en place, Zapatero est resté ferme et a maintenu sa décision. Ce sont donc quelque 1 500 hommes de troupes qui ont entamé vendredi leur repli vers la frontière koweïtienne, au sud de l’Irak. Cet abandon n’est pas le seul auquel les Américains doivent faire face. Le Honduras et la République dominicaine ont aussi décidé de rapatrier leur contingent de quelques centaines d’hommes. Il faut ajouter à cela une autre mauvaise nouvelle pour Washington, son plus fidèle allié, la Grande-Bretagne, est obligée de faire face à une opinion de plus en plus réticente et a décidé de reporter l’envoi d’un renfort de 3 000 soldats en Irak. Selon le Daily Mirror, Tony Blair a abandonné l’idée de faire partir de nouvelles troupes vers ce pays avant le mois de septembre, pour éviter de provoquer des réactions hostiles dans la population et de se trouver confronté à une opposition radicale des parlementaires travaillistes.

Washington en porte-à-faux

Les dernières semaines avant le passage du pouvoir à un gouvernement provisoire irakien, le 30 juin, sont décidément bien difficiles pour les Américains. Les affrontements directs avec les opposants se succèdent sans discontinuer dans la plupart des villes du pays, notamment avec les partisans du chef chiite Moqtada al-Sadr. Les groupes terroristes n’en finissent pas de défier la coalition. Le Mouvement de la résistance arabe, dirigé par le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui soupçonné d’être lié à Al Qaïda, qui s’était déjà illustré en enlevant et en assassinant un jeune civil américain Nicholas Berg, a revendiqué l’attentat qui a coûté la vie, le 17 mai, au chef de l’exécutif irakien, Ezzedine Salim, et promis de nouvelles actions.

L’affaire des tortures dans la prison d’Abou Ghraib, près de Bagdad, a aussi participé à compliquer la donne pour les Américains. Après la diffusion d’une première série de clichés des humiliations infligées aux détenus, de nouvelles photos encore plus choquantes ont été diffusées ces derniers jours. Elles montrent des militaires américains souriants près du corps sans vie d’un homme décédé pendant un interrogatoire. Malgré la condamnation à un an de prison de l’un des soldats impliqués dans ces sévices et l’accélération des vagues de libération de prisonniers d’Abou Ghraib –plusieurs centaines d’entre eux ont été relâchés en quelques jours-, Washington a de plus en plus de mal à justifier sa présence dans le pays au nom de la démocratie vis à vis d’une population irakienne traumatisée et révoltée par des abus injustifiables. D’autant qu’un autre épisode est venu aggraver la crise. Un raid sur un village proche de la frontière avec la Syrie a fait, le 20 mai, 41 morts dont un grand nombre de femmes et d’enfants. L’armée américaine affirme avoir mené une opération contre des combattants étrangers retranchés dans le village. Mais la population clame que les tirs ont touché les participants à un mariage.

Dans un tel contexte, l’annonce de la rupture avec le dirigeant du Conseil national irakien (CNI), le chiite laïc Ahmad Chalabi, l’un des principaux soutiens des Américains après la chute du régime de Saddam Hussein, a ajouté un nouvel élément à la confusion. Après avoir financé son organisation durant de nombreuses années et favorisé son retour en Irak, Washington a changé son fusil d’épaule. Le Pentagone a annoncé, le 19 mai, qu’il arrêtait de soutenir le CNI. Le lendemain, des militaires américains, accompagnés de policiers irakiens, ont perquisitionné dans les bureaux et au domicile d’Ahmad Chalabi. Si Washington a fait en sorte d’affirmer que cette opération était menée par la police irakienne dans le cadre d’une affaire de corruption, le dirigeant du CNI a riposté en mettant en cause les Américains et en annonçant qu’il rompait ses liens avec la coalition.

Ahmad Chalabi a récemment fait des déclarations critiques vis à vis de la stratégie des Etats-Unis qu’il a accusé de favoriser le retour des baassistes en Irak, allant même jusqu’à déclarer que cela «revenait à mettre des nazis au pouvoir dans l’Allemagne d’après-guerre». Ces attaques ajoutées à des soupçons concernant la fiabilité d’un homme plusieurs fois impliqué dans des affaires de fraudes, auraient amené Washington à décider de le lâcher. La chaîne de télévision américaine CBS a aussi affirmé que des «hauts responsables» disposaient de preuves des liens entre Chalabi et le régime iranien, auquel il aurait fait passer des «informations secret-défense» pouvant mettre en cause la vie d’Américains. Cette affaire qui semble ne pas émouvoir outre-mesure une population irakienne blasée sur les motivations des responsables politiques, risque tout de même de contribuer à priver le Conseil intérimaire de gouvernement (CIG), mis en place par les Américains et dont Ahmad Chalabi fait partie, de toute crédibilité.



par Valérie  Gas

Article publié le 21/05/2004 Dernière mise à jour le 21/05/2004 à 15:37 TU