Géorgie

Le pays prépare la révolution en Ossétie du Sud

Manifestation anti géorgienne à Tkviavi, en Ossétie du Sud, le 1er juin 2004.
(Photo: AFP)

Le président Saakashvili poursuit son entreprise de restauration de l’intégrité territoriale de la Géorgie, priorité de son mandat. Après avoir poussé Edouard Chevardnadzé à la démission lors de la «révolution des roses», en novembre 2003, après avoir chassé en mai dernier, par les mêmes méthodes révolutionnaires, le chef de l’Adjarie, Aslan Abashidzé, qui avait fait de cette région du Sud-ouest du pays un fief personnel, l’énergique président géorgien s’attaque à la république indépendante de facto d’Ossétie du Sud.

Le président géorgien Mikhaïl Saakashvili.
(Photo: AFP)

De notre correspondant en Géorgie

On ne change pas une méthode qui marche. Depuis, deux bonnes semaines, suivant des pratiques bien rodées par la «révolution des roses», à Tbilissi en novembre 2003, et sa réplique en mai dernier en Adjarie, le fief régional d’Aslan Abashidzé, Mikhaïl Saakashvili et son entourage «révolutionnaire» manient la carotte et le bâton pour faire revenir l’Ossétie du Sud, 70 000 habitants, dans le giron constitutionnel de la Géorgie.

Si la nouvelle équipe dirigeante de Tbilissi a fait savoir, dès son entrée en fonction en janvier dernier, son intention de reprendre le contrôle des régions séparatistes perdues lors des conflits sécessionnistes au début des années 90, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, «l’offensive pacifique» actuellement en cours n’en demeure pas moins un phénomène surprenant. Voilà douze ans que le conflit avec l’Ossétie du Sud était gelé. En juillet 1992, un cessez-le-feu était signé après deux années de guerre, sur fond de haine ethnique, qui auraient fait un millier de morts et contraint 60 000 personnes à fuir cette région de la chaîne du Grand Caucase, à la frontière russe.

 A Tbilissi, politiciens, observateurs et diplomates estiment que «l’Ossétie du Sud est mûre». «Les présidents Poutine et Saakashvili se sont mis d’accord pour dégeler ce conflit, assure un diplomate, maintenant, il faut juste un peu de temps pour ménager une sortie convenable au pouvoir sécessionniste et que le Kremlin apparaisse comme un bienfaiteur après avoir soutenu Tskhinvali [la capitale ossète] pendant des années».

Lutter contre la contrefaçon

Le 31 mai, Tbilissi déploie des troupes du ministère de l’Intérieur à proximité de la zone «de conflit». Le pouvoir ossète s’émeut, appelle à l’aide son protecteur, la Russie. Celle-ci convainc Tbilissi de reculer. Le Parlement ossète demande son rattachement à la Fédération de Russie, via celui avec la République d’Ossétie du Nord. Mais le Kremlin, sans faire la sourde oreille, semble bien avoir lâché Tskhinvali. Le 10 juin, le président de la république indépendantiste, Edouard Kokoev, tente d’entrer à la Douma pour convaincre des députés de le soutenir. Les portes lui sont fermées.

Du côté de Tbilissi, on assure que ces mouvements de troupe n’ont qu’un but: lutter contre la contrebande. «C’était en effet une des principales raisons du gel de ce conflit, estime Aleko Kupatadzé, du Transnational Crime and Corruption Center, des personnalités de haut rang en Russie, en Ossétie du Sud et en Géorgie, jusqu’au départ de Chevardnadzé, maintenaient le statu quo, ils monopolisaient le commerce de cigarettes, de farine, d’essence, de voitures volées et même d’armes».

Dans le même temps, comme en Adjarie un mois plus tôt, l’«attaque humanitaire» bat son plein. Distribution d’engrais et d’aide médicale, organisation d’un match de football avec les vétérans du Dynamo de Tbilissi (annulé), organisation de spectacles de chants d’enfants géorgiens, diffusion d’un programme en langue ossète de la première chaîne de télévision, promesse de distribution de retraites etc.

Pour ne pas heurter la population locale, le président géorgien utilise l’expression «Ossétie du Sud», pourtant adoptée par les séparatistes. Dans son sillage, tout le pays renonce à parler de Samachablo, nom géorgien de la région. Le 26 mai, jour de la fête nationale géorgienne, Mikhaïl Saakashvili prononce quelques mots en ossète, ainsi qu’en abkhaze, lors de son discours.

Moins symbolique, Tbilissi semble disposé à reconnaître les erreurs de la Géorgie lors du conflit de 1990-1992. «Il est capital de passer par cette étape, explique Paata Zakareichvili, politologue au Caucasus Institute for Peace, Democracy and Development, la situation est différente de l’Adjarie par exemple. Dans le cas de l’Ossétie, il y a eu une guerre. Sans reconnaissance de ses fautes de la part de la Géorgie, il est impensable que ce conflit puisse réellement, profondément, être réglé» Le problème est de savoir comment faire admettre à ces personnes qu’il faut à nouveau vivre avec les Géorgiens, fut-ce dans une République jouissant d’une large autonomie au sein d’une fédération de Géorgie.

par Régis  Genté

Article publié le 20/06/2004 Dernière mise à jour le 20/06/2004 à 08:27 TU