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Nucléaire iranien

L’Europe agacée par les tergiversations de Téhéran

Hossein Moussavian, le représentant iranien auprès du Conseil des gouverneurs de l'AIEA. 

		(Photo : AFP)
Hossein Moussavian, le représentant iranien auprès du Conseil des gouverneurs de l'AIEA.
(Photo : AFP)
Le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est penché depuis lundi sur le programme nucléaire iranien, source d’inquiétudes pour l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne qui ont déposé devant cette instance un projet de résolution visant à faire pression sur Téhéran. Ce texte, qui pourrait être adopté dans la semaine, donne à la République islamique jusqu’à la prochaine session du Conseil -prévue fin novembre- pour faire toute la lumière sur ses activités nucléaires. L’Iran a toutefois d’ores et déjà fait savoir qu’il refusait de suspendre de manière illimitée l’enrichissement de son uranium.

La réunion du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui doit se poursuivre toute la semaine, promet d’être houleuse tant le régime de Téhéran semble plus que jamais déterminé à défendre ce qu’il considère être son droit à maîtriser la technologie nucléaire. Dès dimanche, le porte-parole de la délégation iranienne à cette réunion affirmait en effet que son pays refusait de s’engager à une suspension illimitée de l’enrichissement de l’uranium au sujet de laquelle il s’était pourtant montré favorable en octobre dernier à l’occasion d’une visite sans précédent à Téhéran des chefs de la diplomatie allemande, britannique et française. «Nous n’accepterons aucun marchandage pour une suspension illimitée de l’enrichissement de l’uranium, ni pour la fabrication de pièces de centrifugeuses» servant à enrichir ce matériau, a ainsi martelé Hossein Moussavian, visiblement exaspéré par les pressions dont a fait l’objet ces dernières semaines la  islamique.

 

Une grande partie de la communauté internationale, le trio européen en tête, multiplie en effet les initiatives pour convaincre l’Iran de renoncer à enrichir lui-même son uranium, officiellement destiné à alimenter ses futures centrales nucléaires. Ces pays craignent que le régime iranien ne détourne cette technologie pour mettre au point des armes atomiques. Leurs inquiétudes sur ce point ont été largement confortées par les tergiversations de Téhéran qui a effectué plusieurs retours en arrière sur les engagements pris en octobre dernier auprès des trois Européens parmi lesquels une coopération totale avec les inspecteurs de l’AIEA, la suspension de l’enrichissement de l’uranium et l’acceptation d’un contrôle renforcé de toutes ses activités. C’est ainsi qu’après avoir suspendu l’assemblage des centrifugeuses P2 en février dernier, l’Iran est revenu sur sa décision en juin et a repris la production de ces appareils. Téhéran a également annoncé son intention de convertir, avant la fin du mois de septembre, 37 tonnes de yellow cake –minerai concentré d’uranium naturel– en hexafluorure d’uranium (UF6), un gaz injecté dans les fameuses centrifugeuses.

 

Ces deux mesures ont été jugées particulièrement préoccupantes par l’AIEA qui les trouve disproportionnées au regard d’un programme nucléaire civil. Elles ont en tous cas apporté de l’eau au moulin de l’administration Bush qui plaide depuis des mois en faveur de sanctions internationales contre le régime de Téhéran qu’elle accuse de tromper le monde et de chercher à se doter de l’arme nucléaire.

 

Aucune preuve des accusations américaines

 

Mais même excédés par l’attitude de Téhéran, les Européens ont refusé de s’aligner sur Washington qui souhaite le vote d’une résolution sévère de l’AIEA, assortie d’un mécanisme automatique de saisine du Conseil de sécurité, premier pas vers des sanctions internationales contre le régime iranien. Dans leur projet de résolution présenté devant le Conseil des gouverneurs de l’agence onusienne, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont en effet proposé de faire le point «définitif» en novembre sur la question du nucléaire iranien. Le texte donne ainsi à Téhéran jusqu’au prochain Conseil, prévu le 25 novembre, pour apporter la preuve qu’il ne fabrique pas en secret des armes nucléaires. «Soit nos préoccupations demeurent (à cette date) et nous aurons alors la ressource de transmettre le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies, soit, et c’est ce que nous espérons, l’Iran jouera le jeu et cette affaire pourra être désamorcée à Vienne», a expliqué le chef de la diplomatie française Michel Barnier.

 

Cette attitude plutôt mesurée des Européens n’en inquiète pas moins le directeur de l’AIEA. L’Egyptien Mohammed el-Baradeï a en effet insisté sur le fait que son agence avait besoin de temps pour achever l’enquête technique sur le programme nucléaire iranien. «Il n’y a pas de date butoir artificielle à laquelle je pourrais dire : en novembre je peux promettre que tout sera terminé», a-t-il déclaré faisant valoir que l’enquête de ses inspecteurs est «très complexe». Le diplomate onusien a cependant reconnu que les Etats membre du Conseil des gouverneurs avaient toute «prérogative» pour imposer une décision politique qui fixerait à Téhéran une date butoir pour s’expliquer complètement. «Il n’y a pas de date magique mais si le Conseil voulait faire le point de la situation en novembre, je le leur fournirai un état des lieux», a-t-il déclaré.        

 

Le patron de l’AIEA a toutefois insisté sur le fait que les accusations américaines selon lesquelles l'Iran développe secrètement une arme atomique ne sont étayées par aucune preuve concrète. Il a cependant reconnu qu’il serait prématuré d’en conclure pour autant que le programme nucléaire iranien était entièrement pacifique. «Avons-nous vu des preuves de l'existence d'un programme d'armements ? Avons-nous détecté des activités non déclarées d'enrichissement d'uranium ? A ce jour, il est clair qu'il n'y a rien de cela. Mais sommes-nous en mesure de dire que tout cela est pacifique? Il est évident que nous n'en sommes pas là», a notamment affirmé Mohammed el-Baradeï, sans doute soucieux d’éviter que ne se reproduise le schéma irakien. Le diplomate égyptien s’était en effet vivement, mais en vain, opposé à l’administration Bush avant la guerre contre le régime de Saddam Hussein en contestant ses affirmations selon lesquelles le pouvoir de Bagdad cherchait à relancer un programme nucléaire interdit. 



par Mounia  Daoudi

Article publié le 14/09/2004 Dernière mise à jour le 15/09/2004 à 10:18 TU

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Thérèse Delpech

Directrice des affaires stratégiques au Commissariat de l'énergie atomique (CEA)

«Dans l'année qui s'est écoulée, vous avez tout un ensemble d'épisodes qui montrent que les Iraniens cherchent surtout d'une part à faire la part du feu, d'autre part à gagner du temps.»

[13/09/2004]

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