La concentration des médias en Europe

C’est un événement qui bouleverse complètement l’équilibre médiatique en Allemagne qui vient de se produire avec le rachat par Axel Springer du groupe audiovisuel ProsiebenSat1. Springer, c’est l’éditeur du plus gros quotidien du pays, le Bild avec ses 4 millions d’exemplaires. C’est aussi un groupe influent sur le plan politique, grâce au Bild mais aussi à son quotidien conservateur Die Welt et à ses titres régionaux. Or le 5 août, ce groupe réputé proche de la CDU a mis la main sur un groupe de télévision qui représente le quart de l’audience télévisée du pays avec notamment ses deux chaînes grand public ProSieben et Sat 1. Pour cette opération de concentration inter-médias sans précédent, il n’a pas hésité à mettre sur la table la somme totale de 4,1 milliards d’euros.

Il y a un an en France, il existait un projet de rapprochement entre TF1 et le groupe Socpresse de Serge Dassault, propriétaire du Figaro. Finalement, le projet a échoué sur le montage capitalistique car TF1 espérait prendre une bonne partie du pouvoir dans les journaux de Dassault. C’est un peu l’inverse qui vient de se produire en Allemagne. Un des plus gros éditeurs du pays a pris le pouvoir à prix d’or dans la télévision. Cela inquiète beaucoup l’Union des journalistes allemands qui évoque la naissance d’un «monopole doté d’un pouvoir considérable sur l’opinion publique».

Certes, ce n’est pas la première fois que l’audiovisuel voit ainsi son sort lié à un empire de presse écrite puisque Bertelsmann possède en Europe à la fois le groupe RTL et les éditions Gruner und Jahr. Mais à la différence de Bertelsmann qui a une grande culture de la décentralisation des pouvoirs au point qu’on a pu lire, par exemple, un article très critique sur RTL dans son magazine Stern, le groupe Axel Springer, lui, est connu pour sa ligne éditoriale très conservatrice, pro-américaine et pro-israélienne et opposé au multiculturalisme. Tous les journalistes du groupe sont d’ailleurs censés adhérer à de tels principes. L’office anti-cartel allemand a maintenant quatre mois pour avaliser ou non ce méga-rachat.

Et en Italie aussi, le groupe Rizzoli Corriere de la Serra est au centre de toutes les attentions depuis l’entrée de l’homme d’affaires Stefano Rucucci. Va-t-on vers une prise de contrôle du groupe RCS, Rizzoli Corriere de la Serra ? C’est en effet la question que se posent les observateurs de médias.

Au mois de mai, un homme d’affaires italien controversé, Stefano Ricucci a pris plus de 20% de ce groupe qui possède non seulement le Corriere de la Serra mais aussi la Gazetta dello sport, la moitié des parts du quotidien espagnol El Mundo et les éditions Flammarion en France. Dans quel but ? C’est toute la question : on lui a d’abord prêté l’intention de prendre le contrôle du groupe RCS pour le céder à Berlusconi qui est déjà en position ultra-dominante sur la péninsule médiatique. Puis, la presse italienne a affirmé qu’il avait noué des contacts avec le groupe Lagardère qui cherche à se développer en Italie. Quoiqu’il en soit, ce groupe est aujourd’hui une cible parfaite pour un «raider» dans un pays où le pluralisme de la presse est déjà mis à mal par l’omniprésence médiatique de Berlusconi.

Certains diront qu’une telle concentration est nécessaire pour résister à Murdoch ou aux grands groupe anglo-saxons. Le problème c’est qu’elle peut aussi avoir un prix : l’instrumentalisation politique des médias par des groupes d’intérêt puissants et oligarchiques.

par Amaury  de Rochegonde

[20/08/2005]