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Immigration

Rumeurs sahariennes

<i>«A Abéibara, j'ai une forte impression d'être dans un bled assiégé par les montagnes...»</i>(Cartographie: RFI)
«A Abéibara, j'ai une forte impression d'être dans un bled assiégé par les montagnes...»
(Cartographie: RFI)
Quatrième volet du «carnet de route» de Serge Daniel sur les pas des candidats à l’immigration en Europe. Aujourd’hui, reportage aux portes de l’Algérie.

De notre envoyé spécial

Abéibara, localité malienne plus au nord de Kidal, plus proche de la frontière avec l'Algérie. Pour parcourir le trajet, j'ai mis trois heures. Le désert dressait des obstacles devant le véhicule : très grosses pierres noires, sable chaud qui faisait de temps en temps danser le moteur du véhicule. Sur le chemin, il y a avait aussi des arbustes, des arbustes rebelles, suis-je tenté de dire. Ces arbustes nous barraient le chemin un peu comme des coupeurs de route. Coups de frein et de volant nécessaires. Pas trop de problèmes, mon chauffeur est un as du volant.

Bref, tout est rentré dans l'ordre, puisque je suis arrivé à Abéibara. Arrivé, mais fatigué. Las, comme le sont généralement les Africains tentés par le rêve européen, qui passent par le même chemin, mais dans des conditions de traversée plus difficiles que la mienne.

À Abéibara, j'ai une forte impression d'être dans un bled assiégé par les montagnes. En réalité, Abéibara est un village encastré dans des montagnes. Oui, parce qu'il y a des montagnes aussi dans le désert. Mais le village s'étend vers la plaine. Abéibara est un peu équidistant de trois localités maliennes: Kidal, Tiné, Sako, Tinzawati à la frontière algérienne. Devant une concession de la localité, je vois un homme dans un turban kaki. Il est membre de l'unité méhariste. Les méharistes sont les «gendarmes» du Sahara. Leurs ancêtres dans ce boulot s'appelaient les «goumiers». C'était au temps colonial. Ils montent sur des chameaux pour assurer une police dans les zones désertiques. Les méharistes, c'est une idée de la France. C’est elle qui les forme. La France, la douce France, qui débourse de l'argent pour l'entretien des chameaux et la formation des hommes qui travaillent sur leur dos.

«Les gens iront toujours en Europe»

Donc, revenons à Abéibara, avec notre unité méhariste. On la voit se déplacer dans toute la région. C’est plutôt rassurant pour la population. A Appui-bras, sur la route qui mène en Algérie, il y a davantage de chameaux et d'animaux que d'hommes. Les animaux sont les premiers amis des nomades. Le premier de ces amis est le chameau. Il boit beaucoup d'eau et passe des semaines sans boire.

Appui-bras est aussi connu pour ses chèvres. Elles sont visibles, du côté adjacent au poste de contrôle. Belle robe de couleur noire, elles sont très prisées, pour leur lait, pour leur laine, mais aussi pour leur endurance. Mais elles ont beau être résistantes aux aléas climatiques, il leur faut quand même boire de temps en temps, brouter aussi. Mais contrairement à Kidal, ici, l'hivernage n'a pas été excellent, tous les pâturages ne sont pas verts, il n'y a pas assez d'aliments pour bétail, donc on croise les doigts.

J'ai en face de moi, un troupeau de chèvres. J'ai l'impression d'être en face d'une forêt noire. En plein air, les petits cherchent à téter. Qui a dit que l'amour est le refuge le plus sûr de la liberté ? Après nous avoir offert une chèvre dont la viande est tendre, un officiel emmitouflé dans le boubou, regard d'acier, n’y va pas par quatre chemins: «L'immigration, on ne peut rien faire. Renvoyez les gens, affréter les avions, les gens iront toujours en Europe», lâche un responsable de l'unité méhariste qui apprend le but de mon séjour temporaire dans le bled.

Des nouvelles et des cadeaux

Ensuite, il nous fait du thé. Pour les non-initiés, si vous débarquez dans la zone, on vous offrira du thé, à coup sûr. Ne partez jamais sans avoir bu une seconde tournée de thé. Votre geste peut signifier : «je m'en vais pour éviter de boire le deuxième verre de thé, parce que le premier n'était pas bon». Donc, je bois le premier, le second verre, pour arroser des morceaux de viande déjà avalé comme un glouton.

Les candidats à l'immigration clandestine qui passent par ici, n'ont pas de problème. Pas de tracasseries. La seule chose, c'est qu'on prend la précaution de les enregistrer dans un gros cahier, enveloppé de poussière. Abdoul, un habitant reparle des candidats à l'aventure. Parfois, la chance leur sourit. Il se souvient qu'il y a deux ans, un aspirant au départ, de passage à Abéibara, bien reçu, a donné de ses nouvelles, une fois arrivé en Europe. Des nouvelles et des cadeaux.

Dans le massif de l'Adrar, chez les Iforas. Les Iforas, c'est la chefferie traditionnelle locale. Quand on veut rentrer dans les détails de la communauté touarègue de la région, on parle de «tribu», puis de «fraction». Ainsi vous avez des Touaregs de la tribu des Idnane, des Imghad, des Taghat malat, des Iradiamaten. La liste n'est pas exhaustive. Retenez qu'ils sont tous de la même grande famille. Ils ont même selon les livres d'histoire le même ancêtre, Aïta, géniteur de tous les chérifs.

L'Algérie est frontalière à la région de Kidal. Mais pourquoi les autochtones ne partent-ils pas aussi à l’aventure en Europe ? Cheikh répond : «C'est un fait culturel». Je rebondis : «Pourtant vous êtes des nomades, et en principe vous devez aimer les voyages ?». La réponse de Cheikh fuse : «Les voyages, oui, mais pas l'aventure». Il ne veut pas non plus condamner les véritables grappes humaines qui prennent le chemin de l'Europe, illégalement. Il ne juge pas, il constate seulement.

Boys à Tamanrasset

À dix minutes de mon départ de Abéibara, un camion privé chargé d'hommes et de marchandises arrive sur les lieux. Il vient de Tamanrasset. Il y a du monde. Des Algériens, mais aussi trois Africains. Deux Maliens et un Sénégalais. C’est la première fois que je rencontre un Sénégalais qui ne parle pas un mot de français. Rien de grave, ça peut arriver.

Tous les trois sont clairs : ce ne sont pas de clandestins ayant échoué dans leur départ, mais ils travaillaient comme boys à Tamanrasset, mais à cause du climat d'insécurité pour les ressortissants africains, ils ont décidé de partir, leur baluchon sur la tête. J'aurais du commencer par une autre nouvelle plus affligeante. Avant de quitter «Kidal la belle», «Kidal la rebelle», des témoins de retour d'Algérie ont déclaré la mort de deux hommes, entre la ville algérienne de Tamanrasset et la frontière avec le Mali.

Les deux jeunes quittaient la «nouvelle vie dure» faite aux ressortissants africains à Tamanrasset. Ils sont rentrés volontairement dans un camion. Direction la frontière malienne. Déjà fatigués, ils ont succombé. La chaleur aussi a fait son effet. Loin de leur Guinée natale, ils ont été enterrés dans le désert Algérien.

Quand je questionne l'un des témoins, sur l'endroit exact où ces deux pauvres jeunes gens ont été inhumés en territoire algérien, il répond texto : Quand on quitte Tamanrasset pour la frontière avec le Mali, c'est le désert, tout droit, derrière, partout.

J'ai compris, les enterrements se sont sûrement déroulés un peu trop rapidement. Il fallait pour les autres passagers encore vivants, fuir ce désert qui avale un peu ses propres fils.

Demain, j'espère, les portes de l'Algérie s'ouvriront pour moi.


par Serge  Daniel

Article publié le 20/10/2005 Dernière mise à jour le 20/10/2005 à 11:34 TU